MÉMOIRESD’ORION chapitre 2 PubliĂ© par la-PG le 9 juin 2019 9 juin 2019. Merci de votre soutien ! Sethi Sun et Gwin Ogh. Sara Maya reconnut immĂ©diatement la justesse du choix de Shinta Naya Horus Kron. Sethi Ă©tait un ĂȘtre exceptionnel fort respectĂ© non seulement sur Sirius mais Ă©galement dans de nombreux systĂšmes. Grand historien et Ă©rudit, il Ă©tait souvent appelĂ©
Bonjour, Cet article n'est pas de moi, je l'ai trouvĂ© sur Ultim40k sur ce lien, mais il devrait aider les personnes qui souhaitent Ă©crire un historique pour leur chapitre maison. Je vous en propose ici la version de dĂ©but mai 2012 de Nash Ă  qui tout le crĂ©dit de la traduction de l'article originel revient, version qui sera/a Ă©tĂ© Ă©ditĂ©e par lui. DĂšs que j'aurai 5 minutes je corrigerai les liens morts. Si j'ai bien suivi l'appendice 3 est entiĂšrement de lui. Je rĂ©pĂšte l'article n'est pas de moi I didn't write it j'ai juste ajoutĂ© une remarque apparemment non pertinente sur la Raven Guard. Il est une suite plus dĂ©veloppĂ©e de l'article que j'avais prĂ©cĂ©demment Ă©crit sur la crĂ©ation de chapitre perso. J'ai volontairement laissĂ© les liens dans le texte permettant de retourner sur le forum dont il est issu, vous avez ainsi la possibilitĂ© de rĂ©agir aux articles. Ce qui suit est, pour une grande partie, une traduction d'un article collectif en anglais créé sur le site Bolter & Chainsword, mis Ă  jour, corrigĂ© et Ă©tendu par mes soins. Toute personne qui dĂ©sire crĂ©er son Chapitre Space Marine "maison" y trouvera une sĂ©rie de conseils et d'informations sur le fluff officiel des Space Marines qu'il est nĂ©cessaire de prendre en compte... Ce sujet est reservĂ© aux articles d'aide Ă  la crĂ©ation de Chapitre et a donc Ă©tĂ© vĂ©rouillĂ©, pour tout commentaire ou toute question voir ce sujet... Introduction Comme toute personne qui a dĂ©jĂ  dĂ©cidĂ© de crĂ©er son propre Chapitre le sait, la partie la plus dure est de trouver quelque chose d'original, plein de caractĂšre et qui n'a pas dĂ©jĂ  Ă©tĂ© fait un million de fois auparavant. Cette liste a Ă©tĂ© créée pour aider ceux qui dĂ©sirent crĂ©er leur chapitre et leur permettre d'Ă©viter les piĂšges et les clichĂ©s qui sont apparus au fil des ans et ainsi crĂ©er des chapitres intĂ©ressants qui s'intĂšgrent dans les 25 ans de fluff officiel. Car aprĂšs tout, c'est ce qui fait ce qu'est 40k aujourd'hui. Cette liste ne constitue pas des rĂšgles immuables mais plutĂŽt un guide. En fait, il y a des occasions oĂč briser l'une des "lois du fluff" de 40k peut s'avĂ©rer valoir le coup et permettre de crĂ©er quelque chose d'unique... Mais cela nĂ©cessite de connaitre son sujet parfaitement. Je tiens Ă  remercier tous les membres de B&C qui ont participĂ© Ă  l'Ă©laboration de cette liste. [Et tout particuliĂšrement ses rĂ©dacteurs Rogue Trader, Aurelius Rex, Kurgan_the_Lurker, Commissar Molotov et Several Concerned Cricketers -NdT] Les choses Ă  faire... Je le rĂ©pĂšte, cette liste ne constitue pas de vĂ©ritables rĂšgles mais plutĂŽt des indications. Ceci dit, les 2 rĂšgles d'or qui suivent sont ce qu'il y a de plus proche de rĂšgles pures et dures... ++ RĂšgle d'or n°1 Soyez aussi original que possible. On dit souvent qu'il n'y a pas d'idĂ©es originales, quelqu'un, quelque part aura toujours pensĂ© Ă  la mĂȘme chose que vous. Mais cela ne signifie pas que votre chapitre maison ne peut pas ĂȘtre original. S'inspirer d'un chapitre existant, d'un livre, d'un film, d'une pĂ©riode de l'histoire, d'une culture ou quoi que ce soit d'autre est une bonne idĂ©e. Cependant, ne copiez pas l'idĂ©e de dĂ©part en entier; ajoutez quelque chose, retirez quelque chose, jouez avec un moment, vous serez probablement surpris du rĂ©sultat final... ++ RĂšgle d'or n°2 Soyez prĂȘt Ă  accepter la critique de vos idĂ©es, et Ă  corriger votre Index Astartes en consĂ©quence. Si vous postez votre IA, c'est que vous voulez l'amĂ©liorer. Le but principal est de partager vos idĂ©es avec d'autres personnes dans la mĂȘme situation et d'obtenir autant de points de vue que possible pour vous aider dans votre processus crĂ©atif. Vous n'ĂȘtes pas obligĂ© de prendre en compte l'intĂ©gralitĂ© des conseils et suggestions qui vous seront donnĂ©es, vous n'ĂȘtes pas obligĂ© de les aimer, mais il est inutile de poster un IA si vous n'ĂȘtes pas prĂȘt Ă  considĂ©rer sĂ©rieusement les idĂ©es et suggestions qui seront prĂ©sentĂ©es par ceux qui auront lu votre IA. La majoritĂ© des gens qui rĂ©pondent et prĂ©sentent leur avis le font dans le but de vous aider, souvenez-vous de cela. L'autre face de cette piĂšce est que l'on attendra de la part de ceux qui rĂ©pondent d'apporter des critiques constructives et argumentĂ©es, et non pas coller une Ă©tiquette "ridicule" ou "sans valeur" sur vos idĂ©es. Votre chapitre maison c'est votre bĂ©bĂ©, nous comprenons tous cela car nous avons tous Ă©tĂ© dans cette situation un jour ou l'autre. Mais il est important de savoir lĂącher une idĂ©e quand son potentiel s'est effritĂ© au-delĂ  de toute rĂ©cupĂ©ration. N'ayez pas peur de laisser tomber une idĂ©e ou de la retravailler pour qu'elle "colle". Au pire, vous pourrez toujours utiliser une idĂ©e abandonnĂ©e pour crĂ©er un autre chapitre maison, plus tard. Un bon IA se dĂ©veloppera presque de lui-mĂȘme, prenant vie, n'ayez pas peur de le laisser grandir... ++ Ayez un thĂšme bien dĂ©fini pour votre chapitre et suivez le jusqu'au bout. La partie la plus dure et la plus vitale dans la crĂ©ation d'un chapitre maison est de lui donner un thĂšme, de lui donner une identitĂ© ou un objectif unique et ensuite de "broder" ce thĂšme au cƓur de chacun des aspects de leur caractĂšre. Une fois ce thĂšme dĂ©fini vous pourrez vous pencher sur les autres aspects de votre chapitre, comment son nom, son monde d'origine, son histoire, sa doctrine de combat, son organisation, ses relations avec l'extĂ©rieur et son cri de guerre peuvent y ĂȘtre reliĂ©. En faisant cela, le chapitre commence Ă  devenir plus rĂ©aliste, et en fait bien plus facile Ă  dĂ©crire, au lieu de n'ĂȘtre qu'un ensemble disparate d'idĂ©es jetĂ©es ensemble. Si vous avez une idĂ©e que vous aimez mais qui ne cadre pas avec le thĂšme de votre chapitre, mettez-la de cotĂ© pour plus tard. Son temps viendra sĂ»rement pour un autre projet... ++ Lisez autant de fluff que possible. Cela parait Ă©vident mais le plus vous lirez de fluff, le plus vous pourrez vous faire une idĂ©e de ce qui est ou pas possible Ă  l'intĂ©rieur du cadre narratif dĂ©fini par GW pour l'univers de 40k. Ainsi vous serez plus Ă  mĂȘme d'Ă©crire un background pour votre chapitre qui soit, non seulement plausible, mais aussi "fluffique". Et il n'y a rien de plus gratifiant que de savoir que l'on vient de crĂ©er un IA qui se fond complĂštement dans l'univers 40k. ++ Faites des recherches sur ce que vous avez dĂ©cidĂ© pour votre chapitre. Renseignez-vous sur le Secteur dans lequel vous voulez baser votre chapitre. Vous trouverez ainsi les Ă©vĂ©nements qui ont marquĂ© ce secteur, quels systĂšmes et planĂštes le composent, quels types d'ennemis votre chapitre aura le plus de chances de rencontrer... Renseignez-vous sur le patrimoine gĂ©nĂ©tique que votre chapitre utilise, y a-t'il quelque chose d'inhabituel Ă  son propos, une mutation mineure d'un des organes Raven Guard, ou des organes qui manquent Imperial Fists? [Voir l'Appendice 3 Chapitres Successeurs et Patrimoine GĂ©nĂ©tique pour de plus amples informations Ă  ce propos. -NdT] ++ Commencez par faire un rĂ©sumĂ© de vos idĂ©es. CrĂ©er un bon IA est un processus holistique, au fur et Ă  mesure qu'une partie se dĂ©veloppe, elle peut inspirer des idĂ©es qui affecteront directement d'autres parties. Il est donc souvent plus utile de dĂ©velopper l'IA dans son ensemble plutĂŽt que de passer du temps Ă  dĂ©velopper, par exemple, la section sur le monde d'origine avant de passer aux doctrines de combat pour finalement vous rendre compte que vous avez eu une idĂ©e durant la rĂ©daction des tactiques qui nĂ©cessite un changement au niveau du monde... Commencer avec les bases ne peut pas vous faire de mal Quel est leur patrimoine gĂ©nĂ©tique? Quelle est leur fondation? Quel est le symbole du chapitre? Ses couleurs? A quoi ressemble leur monde d'origine et quel type de culture abrite-t-il? Est-ce un monde-ruche? Un monde Sauvage? etc OĂč dans l'Imperium sont-ils basĂ©s? Cela aide particuliĂšrement Ă  dĂ©finir leurs ennemis les plus courants. Quelle est leur doctrine de combat? PrĂ©fĂšrent-ils le corps Ă  corps ou Ă©craser l'ennemi sous des tirs massifs? Comment sont-ils organisĂ©s? Suivent-ils le Codex Astartes Ă  la lettre ou sont-ils un peu diffĂ©rents? Quelles sont leurs croyances? ++ Restez simple, rien ne bat des idĂ©es simples. Une idĂ©e simple et bien Ă©crite est infiniment prĂ©fĂ©rable Ă  une intrigue complexe mais moins bien conçue. De plus, il est en fait bien plus simple d'Ă©crire Ă  propos d'une idĂ©e simple, ce qui est un bonus intĂ©ressant. Vous vous rendrez aussi compte qu'une fois que vous aurez posĂ© les bases clairement, les idĂ©es commenceront Ă  se dĂ©velopper d'elles-mĂȘmes en quelque chose de plus complexe. ++ Laissez le fluff dicter les traits et non pas le contraire. Commencez par Ă©crire votre IA, puis dĂ©cidez des traits qui collent Ă  votre fluff. Il est prĂ©fĂ©rable de faire de cette façon que de tenter de faire coller votre background Ă  vos traits prĂ©fĂ©rĂ©s. Vous vous retrouveriez le plus souvent avec une version bancale de votre vision originale du chapitre parce que vous aurez dĂ» "bidouiller" le fluff pour que ça colle. La derniĂšre chose que vous vouliez est d'investir du temps et de la sueur dans l'Ă©criture d'un IA complet, juste pour vous rendre compte que vous n'ĂȘtes pas content du rĂ©sultat final parce qu'il ne correspond pas Ă  ce que vous vouliez pour commencer. ++ Utilisez un patrimoine gĂ©nĂ©tique stable. Le fluff officiel nous apprend que les 2/3 des chapitres furent créés en utilisant le patrimoine gĂ©nĂ©tique des Ultramarines. Il y a donc de fortes chances que ce soit le cas de votre chapitre, cela ne vous oblige pas Ă  en faire des sosies des UM pour autant. [Cf. Mortifactors par exemple -NdT] Le patrimoine gĂ©nĂ©tique suivant par ordre d'utilisation est celui des Imperial Fists. Puis viennent ceux des White Scars, Salamanders et Iron Hands, tous utilisĂ©s assez rĂ©guliĂšrement. Par contre ceux des Blood Angels et Raven Guard sont plus rarement utilisĂ©s Ă  cause de leurs anomalies gĂ©nĂ©tiques. Celui des Dark Angels, bien que pur est rarement utilisĂ© pour des raisons "politiques". Et enfin, celui des Space Wolves n'a plus Ă©tĂ© utilisĂ© depuis les problĂšmes rencontrĂ©s par les Wolf Brothers peu aprĂšs la Seconde Fondation. ++ Rappelez-vous que l'ambigĂŒitĂ©, au bon endroit, peut ĂȘtre une bonne chose. AmbigĂŒitĂ©, conjecture, thĂ©ories de conspiration... UtilisĂ© correctement tout cela peut amener un air de mystĂšre Ă  votre chapitre. Vous insĂ©rerez ainsi une intrigue juteuse qui chatouillera le lecteur. Par exemple, les gens se posent toujours des questions Ă  propos des deux lĂ©gions disparues, il y a des conjectures Ă  propos de l'implication de l'Inquisition et de l'Officio Assassinorum dans la chute des Celestial Lions durant la 3Ăšme guerre pour Armageddon et la destruction de la forteresse-monastĂšre des Crimson Fists... Et qu'en est-il des mains mĂ©talliques de Ferrus Manus, les doit-il Ă  un combat contre un C'tan? Tout comme un magicien, ne rĂ©vĂ©lez pas tous vos secrets... ++ Bien sĂ»r ce sont des hĂ©ros, mais assurez vous qu'ils restent crĂ©dibles. Votre chapitre est votre point de focale narrative, les "hĂ©ros" si vous prĂ©fĂ©rez, et il est clair que leurs actions et batailles doit ĂȘtre prĂ©sentĂ© sous un angle positif, mais assurez-vous de rester crĂ©dible. Si vous affirmez qu'ils ont annihilĂ© une lĂ©gion renĂ©gate largement supĂ©rieure en nombre sans subir la moindre perte, puis qu'ils donnĂšrent une fessĂ©e Ă  Abaddon avant de lui voler son EpĂ©e-DĂ©mon, alors vous avez dĂ©passĂ© les bornes et n'espĂ©rez pas d'autre rĂ©ponse que "Ouais, c'est ça... " ++ Utilisez un des chapitres GW si vous le dĂ©sirez. GW crĂ©e un nombre important de chapitres et souvent n'y accorde ensuite plus aucune attention, fournissant ainsi l'opportunitĂ© au crĂ©ateur de chapitre maison novice d'en prendre les rennes. Ces chapitres peuvent ĂȘtre divisĂ©s en 2 catĂ©gories les chapitre "Ă©tablis", pour lesquels un nom, un schĂ©ma de couleurs et un peu de fluff existent les White Consuls par exemple et ceux qui ne sont qu'un nom et un schĂ©ma de peinture comme beaucoup de ceux de l'Insignum Astartes ou de cette liste par exemple. Une chose importante Ă  retenir en choisissant l'un de ces chapitres est que GW peut un jour dĂ©cider de dĂ©velopper plus ce chapitre, balançant ainsi votre beau boulot par la fenĂȘtre. Mais, si vous ĂȘtes prĂȘt Ă  prendre ce risque, alors dĂ©velopper un de ces chapitre peut-ĂȘtre une expĂ©rience gratifiante. ...et celles Ă  ne pas faire +++ Patrimoine gĂ©nĂ©tique +++ ++ N'affirmez pas que votre chapitre a Ă©tĂ© créé en utilisant un patrimoine gĂ©nĂ©tique d'une LĂ©gion RenĂ©gate. Il n'y a aucune raison de faire cela, l'Imperium possĂšde des stocks bien fournis d'Implants loyalistes, et bien qu'ils possĂšdent aussi des stocks d'implants de traitres, ils sont gardĂ©s dans des chambres Ă  stase fermĂ©es. Bien sĂ»r, il n'y a aucune raison qui vous interdise l'option que votre chapitre ne connaisse pas ses origines Ă  cause de la perte ou de la destruction de leurs archives par exemple et de suggĂ©rer sans jamais le dire clairement qu'il ait pu ĂȘtre créé Ă  partir d'un patrimoine gĂ©nĂ©tique de traitre... [Cf. le lien supposĂ© Blood Ravens/Thousand Sons -NdT] ++ N'utilisez pas le patrimoine gĂ©nĂ©tique des Space Wolves pour votre chapitre. D'une certaine façon, cela rejoint le problĂšme des Implants de Traitres. Un seul autre chapitre fut créé en utilisant les gĂšnes des Space Wolves, les Wolf Brothers, et ils n'existent plus. AprĂšs cela l'utilisation du patrimoine gĂ©nĂ©tique des Space Wolves fut interdite. La seule façon "fluff" qui vous permettrait de contourner ce problĂšme est de crĂ©er un chapitre de la Fondation Maudite 21Ăšme ou de la Fondation Obscure 13Ăšme, mais il est trĂšs improbable qu'un tel chapitre connaisse l'origine de ses implants. Il est souvent bien plus simple d'utiliser les rĂšgles des Space Wolves et de renommer l'Ă©quipement et trouver une nouvelle idĂ©e pour justifier l'utilisation de ces rĂšgles. [Depuis la sortie du Codex Dark Angels V5 le paragraphe suivant n'est plus vraiment valide. Cependant certains de ses conseils peuvent toujours ĂȘtre intĂ©ressants pour ceux qui souhaitent coller au "vieux fluff"... -NdT] ++ N'affirmez pas que votre chapitre successeur des Dark Angels chasse les DĂ©chus. Le fluff officiel Ă©tabli clairement que seul les chapitres d'ImpardonnĂ©s les Dark Angels et leurs 3 chapitres successeurs de la 2nde Fondation sont au courant de l'existence des DĂ©chus. Aucun des chapitres de la 3Ăšme fondation, ni des fondations suivantes, ne sont au courant. Votre chapitre n'est pas une exception. Si vous utilisez les rĂšgles des Dark Angels, il existe plein d'explications alternatives possibles pour la rĂšgle "La Traque des DĂ©chus". Soyez crĂ©atif! ++ Ne touchez pas aux patrimoines gĂ©nĂ©tiques. La modification et le mĂ©lange des Implants est une mauvaise idĂ©e, dans les rares occasions oĂč la manipulation d'Implants a Ă©tĂ© tentĂ©e cela a abouti Ă  de mauvaises choses pour le chapitre en question voir les Lamenters ou les Relictors par exemple. Le patrimoine gĂ©nĂ©tique est le saint des saints, il est la part du Primarque implantĂ©e dans un Marine pour le rendre surhumain. Diluer ou manipuler les saints restes d'un Primarque est probablement la plus grande hĂ©rĂ©sie possible. La seule occasion ou vous pouvez vous en sortir avec un patrimoine gĂ©nĂ©tique hybride et de crĂ©er un chapitre de la Fondation Maudite 21Ăšme ou Obscure 13Ăšme, et mĂȘme dans ce cas, je ne le recommanderais pas. ++ N'affirmez pas que votre chapitre a rĂ©solu la MalĂ©diction de Sanguinius. Le patrimoine gĂ©nĂ©tique de Sanguinius affecte ceux qui le reçoivent de façon encore plus forte que tout autre. En plus de gagner une grande longĂ©vitĂ©, ils hĂ©ritent de la MalĂ©diction de la Rage Noire et de la Soif rouge qui a dĂ©jouĂ© toutes les tentatives de leurs Apothecaria pendant dix mille ans. Et bien que les manipulations peu judicieuses de la Fondation Maudite aie modĂ©rĂ© ses effets, cela a engendrĂ© de sĂ©rieux effets secondaires. [Cf. Lamenters -NdT] Les successeurs des Blood Angels devraient toujours utiliser les rĂšgles du Codex Blood Angels et non pas les traits de chapitre... +++ Origine du Chapitre +++ ++ N'affirmez pas que votre chapitre est l'une des LĂ©gions disparues. Une partie du charme de l'univers du 41Ăšme millĂ©naire vient du fait que l'on ne sait pas tout. Nous ne savons pas ce qu'il est advenu des deux LĂ©gions manquantes, nous ne savons mĂȘme pas pourquoi elles-ont Ă©tĂ© effacĂ©es des archives ImpĂ©riales. C’est une bonne chose, et GW sait trĂšs bien que s'ils nous rĂ©vĂ©laient chaque petit dĂ©tail, nous perdrions tout intĂ©rĂȘt assez vite. ++ N'affirmez pas que votre chapitre est constituĂ© des membres restĂ©s loyaux d'un LĂ©gion ayant trahi durant l'HĂ©rĂ©sie. Il semble Ă©vident que tout groupe aux couleurs d'une LĂ©gion renĂ©gate qui pointerait le bout de son nez dans l'espace ImpĂ©rial serait reçu au son des canons et ne survivrait pas assez longtemps pour pouvoir convaincre qui que se soit de sa loyautĂ©... [Peut-ĂȘtre voir ce qu’en disent les livres de l’HĂ©rĂ©sie d’Horus, notamment ceux concernant Garro, notamment Sword of truth » qui sortira en dĂ©cembre 2012] ++ N'affirmez pas que votre chapitre date de la Seconde Fondation. La Seconde Fondation est plus ou moins bouclĂ©e, la seule brĂšche reste les chapitres successeurs des Ultramarines, l'Apocryphe de Skaros affirme que 23 chapitres furent créés mais GW n'en a nommĂ© que 15. [Mais il y a de fortes chances que GW se dĂ©cide Ă  citer les 8 autres un jour, vous plaçant alors dans la mĂȘme situation peu confortable qu'avec d'autres gĂ©nomes... -NdT] ++Ne formez pas de nouveaux chapitres Ă  partir des compagnies perdues/oubliĂ©es d'un autre chapitre. Une compagnie ou un dĂ©tachement d'un chapitre qui disparait ou est "oubliĂ©" par le chapitre "pĂšre" ne crĂ©e pas son propre chapitre mĂȘme s'ils dĂ©cident de repeindre leur armure et de changer leur nom. Une compagnie de Dark Angels sĂ©parĂ©e du chapitre peu importe le temps reste des Dark Angels, et se verrait tout simplement rĂ©intĂ©grĂ©e au chapitre quand elle entrerait en contact avec le Roc... [Cf. la nouvelle Deathwing dans le livre du mĂȘme nom. -NdT] ++ N'affirmez pas que votre chapitre fut créé par un autre. Que la section de commandement du chapitre "Y" soit, Ă  l'origine, formĂ© par des membres du chapitre "X" est raisonnable, mais un chapitre augmentant ses effectifs jusqu'Ă  ce qu'il y ait 1000 Marines surnumĂ©raires pour ensuite les laisser former leur propre chapitre ne tient pas debout... ++ N'affirmez pas que votre chapitre fut créé par insĂ©rez votre Primarque favori ici en secret avant l'HĂ©rĂ©sie. Il n'y avait pas de raison pour que cela arrive. Avant l'HĂ©rĂ©sie les Marines Ă©taient organisĂ©s en LĂ©gions. Pourquoi un Primarque aurait il choisi de diluer son pouvoir plutĂŽt que de simplement ajouter plus d'hommes Ă  sa LĂ©gion? Pour ĂȘtre encore plus clair avec l'existence de 20 LĂ©gions, il n'y avait tout simplement aucun besoin de chapitre "secrets", ils avaient toute la "main d'Ɠuvre" nĂ©cessaire. ++ N'affirmez pas que votre chapitre fut fondĂ© par un 21Ăšme Primarque secret. Il y avait 20 Primarques. Ni plus, ni moins. N'essayez pas de briser 25 ans de fluff en crĂ©ant votre propre Primarque secret, c'est ridicule et sans intĂ©rĂȘt. Quand vous crĂ©ez un chapitre maison, vous pouvez dĂ©finir le caractĂšre de votre chapitre comme vous le voulez, le patrimoine gĂ©nĂ©tique ne joue qu'un rĂŽle mineur. CrĂ©er un nouveau Primarque et un nouveau patrimoine gĂ©nĂ©tique ne fait rien d'autre que retirer toute crĂ©dibilitĂ© Ă  votre chapitre. Et, pour les mĂȘmes raisons, n'affirmez pas que votre chapitre Ă  Ă©tĂ© créé en utilisant le patrimoine gĂ©nĂ©tique de l'Empereur. Seuls les Custodes peuvent le prĂ©tendre [cfr Le premier HĂ©rĂ©tique] ++ Ne tentez pas d'usurper le rĂŽle d'une autre organisation ImpĂ©riale. Habituellement, c'est l'Officio Assassinorum, pour une raison qui m'Ă©chappe. Le rĂŽle des Space Marines n'est pas l'assassinat des dirigeants ennemis, ni de discrĂštement chasser les hĂ©rĂ©tiques, ni de policer une planĂšte ni tout autre rĂŽle dĂ©jĂ  rempli par l'un des organes de la machine ImpĂ©riale respectivement Officio Assassinorum, Ordo Hereticus et Adeptus Arbites au cas oĂč vous vous poseriez la question!. Les Space Marines sont les Anges de la Mort de l'Empereur, une force de frappe chirurgicale composĂ©e de machines Ă  tuer gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©es. Bien qu'ils puissent ĂȘtre appelĂ©s en renfort quand la situation dĂ©passe les capacitĂ©s d'autres organisations ImpĂ©riales, ils rĂšglent le problĂšme et s'en vont. Ils ne dĂ©cident pas soudainement, aprĂšs avoir pacifiĂ© une planĂšte rebelle par exemple qu’ils vont remplir les fonctions d'Arbitrators sur cette planĂšte. Il y a un million de planĂštes dans l'Imperium et un million de Marines pour les protĂ©ger. Les Marines sont bien trop prĂ©cieux pour ĂȘtre gĂąchĂ©s sur des taches qui peuvent ĂȘtre effectuĂ©es par des hommes "moindres". ++ N'affirmez pas que votre chapitre a Ă©tĂ© fondĂ© par qui que ce soit d'autre que les Hauts Seigneurs de Terra. Seuls les Haut Seigneurs de Terra, s'exprimant au nom de l'Empereur, ont le pouvoir d'ordonner la fondation de nouveaux chapitres. Point final. Le fluff officiel est assez clair sur le fait qu'il est extrĂȘmement improbable qu'un Inquisiteur ou un membre de l'Adeptus Mechanicus, etc puisse manƓuvrer les institutions ImpĂ©riales pour permettre la formation d'un chapitre sans que les Haut Seigneurs n'interviennent. [L'exception qui confirme la rĂšgle les Steel Confessors. -NdT] Il est possible cependant de circonvenir au problĂšme en dĂ©cidant que le groupe Inquisition, Adeptus Mechanicus, etc... pĂ©titionne les Haut seigneurs pour la crĂ©ation d'un chapitre avec des missions spĂ©ciales lors de la fondation suivante, gardant ainsi le chapitre dans le cadre "lĂ©gal" tout en autorisant des influences externes sur celui-ci. +++ ClichĂ©s et autres facilitĂ©s narratives +++ ++ Ne perdez pas votre chapitre dans le Warp. Pour une raison simple, c'est vieux, barbant, et surexploitĂ©. Cela n'ajoute rien Ă  l'histoire ou au caractĂšre d'un chapitre. Il existe des tas d'autres maniĂšres de faire disparaitre votre chapitre pour quelques centaines d'annĂ©es si c'est ce que vous voulez. ++ N'affirmez pas que vos Marines sont des femmes. Le fluff est clair sur ce point le dĂ©veloppement des organes spĂ©cifiques des Marines est liĂ© aux hormones mĂąles. Cela ne fonctionne pas avec les femmes. [Pour plus de dĂ©tails sur la raison intrinsĂšque de cette rĂšgle voir le 6Ăšme post de ce sujet. -NdT] ++ Evitez les changements de nom de chapitre. Encore un truc surexploitĂ©. Pourtant, un changement de nom est un Ă©vĂ©nement majeur Ă  lui tout seul pour un chapitre de Space Marines. Il existe des exemples de chapitres qui l'ont fait les Luna Wolves ont changĂ© de nom deux fois par exemple, mais ils portent la marque du Chaos IndĂ©cis! mais de nombreux chapitres peuvent retracer leur histoire sur dix mille ans et peu l'ont fait car ils tiennent la continuitĂ© et l'histoire en haute estime, alors considĂ©rez sĂ©rieusement si un changement de nom est nĂ©cessaire ou s'il ajoute Ă  l'histoire de votre chapitre... MĂȘme une campagne oĂč ils perdent 80% de leurs effectifs ne serait probablement pas suffisante pour le justifier. Leur passage au service des Puissances de la Ruine est le genre de chose qu'ils cĂ©lĂ©breraient sĂ»rement par un changement de nom pour coller Ă  leur nouveaux objectifs, et encore, pas toujours! ++ Evitez le "truc" de l'Inquisiteur renĂ©gat. RĂ©sistez Ă  l'envie de couvrir les dĂ©fauts de votre fluff avec l'intervention soudaine et hors de contexte d'un Inquisiteur renĂ©gat/radical. Un Inquisiteur qui apparait de nulle part, remue sa baguette magique et fait disparaitre ainsi tout les problĂšmes, comme par exemple pourquoi votre chapitre est constituĂ© de femmes / est le successeur loyaliste d'une LĂ©gion renĂ©gate / guĂ©rit subitement de la mutation qui l'afflige, ne fera jamais une bonne histoire. Cela ne peut pas ĂȘtre vu autrement que comme soit une façon sans imagination d'expliquer une caractĂ©ristique potentiellement intĂ©ressante de votre chapitre, soit une tentative dĂ©sespĂ©rĂ©e de rationaliser ce qui Ă©tait une mauvaise idĂ©e dĂšs le dĂ©but. De toutes façons, c'est surfait et ça ne fonctionne pas alors autant l'Ă©viter. ++ Ne confondez pas "dĂ©viation du Codex" avec originalitĂ© et caractĂšre. Ce qui distingue un chapitre c'est comment et pourquoi il fait les choses diffĂ©remment des autres chapitres, mais ne tombez toutefois pas dans le piĂšge de croire que charger votre chapitre avec des dĂ©viations de l'organisation Codex et des "gimmicks" pris sur des chapitres GW, comme un patrimoine gĂ©nĂ©tique hybride, est la mĂȘme chose qu'ĂȘtre original et donner du caractĂšre. Ce n'est pas parce qu’il existe des prĂ©cĂ©dents pour un certain Ă©vĂ©nement que cela avancera l'histoire de votre chapitre. De telles "dĂ©viances" nĂ©cessitent bien plus d'explications pour les intĂ©grer dans le background de votre chapitre qu'un "Mais les Relictors / Space Wolves / Chevaliers Gris peuvent le faire!" Pourquoi cet Ă©vĂ©nement incroyablement rare suffisamment pour que le chapitre GW en question fasse partie des "chapitres de lĂ©gende" arriverait-il Ă  votre chapitre? Et encore plus important, comment un tel Ă©vĂ©nement affecterait-il l'existence mĂȘme de votre chapitre? Bien qu'une ou deux "dĂ©viances" puissent ĂȘtre incorporĂ©es au thĂšme de votre chapitre, voire en devenir le thĂšme lui-mĂȘme, si vous devez intĂ©grer trop de ces Ă©vĂ©nements le chapitre ne pourra qu'en perdre son identitĂ© et voir sa crĂ©dibilitĂ© affaiblie. Ce qui peut ĂȘtre accompli tout en restant dans les contraintes d'un patrimoine gĂ©nĂ©tique normal et d'une organisation Codex est Ă©norme. En fait, cela s'avĂšre bien souvent plus gratifiant, car cela rĂ©clame plus d'imagination et de flair de faire la mĂȘme chose en restant dans ces limites que de se laisser aller aux trop faciles "trucs" de patrimoine gĂ©nĂ©tique hybride, Ă©normes diffĂ©rences d'organisation et autres Inquisiteurs RenĂ©gats... Ne choisissez pas le plus court chemin. Vous apprĂ©cierez d'autant plus le rĂ©sultat si vous allez aux limites de vous-mĂȘme et de votre imagination. ++ N'affirmez pas que vos Marines sont "gentils". Ils ne le sont pas! Les Marines sont des machines Ă  tuer gĂ©nĂ©tiquement modifiĂ©es. D'accord, certains chapitres comme les Salamanders ont un aspect "humanitaire" mais ils ne sont pas gentils et doux pour autant. Ils chantent toujours des CatĂ©chismes de la Haine en allant au combat, et ils dĂ©truiront quiconque ou quoi que ce soit qui s'oppose Ă  la volontĂ© de l'Empereur. Il y a une Ă©norme diffĂ©rence entre aider des rĂ©fugiĂ©s quand il n'y a pas de combats par exemple et choisir d'ignorer la marĂ©e de peaux vertes chargeant pour ramasser le nounours boueux d'une petite fille en pleurs. L'Imperium est un endroit rude oĂč les gens gentils ne survivent pas longtemps. Dans la mĂȘme veine, un chapitre de 1000 Marines ne se transforme pas en ambassadeurs pour nĂ©gocier la reddition de rebelles, ils ne forment pas d'alliances avec des Xenos. Ils les tuent, problĂšme rĂ©solu. ++ N'affirmez pas que votre chapitre a jouĂ© un rĂŽle central dans l'une des campagnes majeures. Les campagnes majeures de GW sont bouclĂ©es. Par exemple, la bataille pour Macragge opposa uniquement les Ultramarines aux Tyranides. Aucun autre chapitre n'Ă©tait prĂ©sent. Cela signifie que le votre n'y Ă©tait pas, peu importe que vous le dĂ©siriez plus que tout. Les campagnes les plus rĂ©centes Armageddon, l'ƒil de la Terreur, Medusa V, etc sont idĂ©ales pour les crĂ©ateurs de chapitres maison car elles permettent Ă  des chapitres mineurs d'avoir jouĂ© un rĂŽle de soutien en arrivant comme renforts, en nettoyant aprĂšs l'un des affrontement connus, ou en jouant un rĂŽle sur la planĂšte dans une zone qui n'a pas Ă©tĂ© trop couverte par le fluff officiel. Bien sĂ»r, affirmer que votre chapitre a jouĂ© un rĂŽle essentiel dans la bataille dĂ©cisive et donc la plus documentĂ©e n'est pas une bonne idĂ©e... MalgrĂ© tout, ce sont vos figues, payĂ©es avec votre fric... Donc faites ce que vous voulez! Mais ne venez pas vous plaindre si on se moque de vos Marines issus d'un croisement entre les Blood Angels et les Iron Hands ayant rĂ©ussi Ă  surmonter la MalĂ©diction de Sanguinius grĂące Ă  l'intervention d'un Inquisiteur Radical qui leur a fourni des armes-dĂ©mon...
ĂŸĂ‘ĂĂŠĂŁĂŠĂŠĂˆĂŠĂ‘ĂŠĂ€Ă­ĂŠĂĂ‘Ă‡ : 4pLÊta CILo15 RĂ©sumĂ©. Ce projet concerne la conception, la rĂ©alisation et la commande d'un robot mobile Ă  trois roues a l'aide d'une carte Ă©lectronique" Arduino" adaptĂ© pour pouvoir la relier au robot aprĂšs avoir dĂ©veloppĂ© le programme en logiciel Arduino ,son rĂŽle est de dĂ©tecter une source de flamme quelconque et l'Ă©teindre. Je me suis laissĂ©e tenter par cette suite grĂące Ă  la fin du tome prĂ©cĂ©dent. J’ai nettement prĂ©fĂ©rĂ© ce tome-ci. Alors que le tome 1 mettait les bases avec la prĂ©sentation des personnages, les diffĂ©rents groupes et tout ce qui est gadget et artefact, le second tome approfondit cet aspect aventure. Effectivement fini les prĂ©sentations, nous rentrons plus dans le vif du sujet. La LĂ©gion de l’Ɠil d’Horus est toujours lĂ  et elle veut s’emparer de Chintamani, la fameuse pierre philosophale. Vigilance dĂ©cide d’aller empĂȘcher la LĂ©gion de la prendre avant que l’HumanitĂ© sombre. Ce roman commence dans l’action avec une question pourquoi on veut le tuer ? Ce tome, outre l’aspect sauver le monde et l’aventure, nous apprend plus sur Edge, vous savez l’hacker de gĂ©nie ?! Nous poursuivons ensuite sur Evan et sa capacitĂ© de rien Ă  foutre de l’école et nous avec. Beh ouais, on veut savoir ce qu’il se passe et foncer dans l’aventure. Ça ne rate pas ! Le roman est toujours du point de vue d’Evan avec des passages aux opposants. J’aime beaucoup cette dualitĂ©, ça nous permet d’ĂȘtre en mĂȘme temps dans la tĂȘte d’Evan et ses questionnements et, Ă©galement, de savoir et comprendre d’autres personnages et leurs objectifs ainsi que leurs pensĂ©es. Donc Edge est plus mis en avant. Notre hacker favori se dĂ©voile et un pan de son passĂ© est rĂ©vĂ©lĂ©. J’ai apprĂ©ciĂ© ce personnage, il est moins distant ici, et nous voyons que ses amies sont trĂšs importants. En plus, on voit une autre facette de lui-mĂȘme si je m’en doutais, ouais j’avoue j’espĂ©rais. Vu qui il est, ça semblait dans un sens logique. De mĂȘme que nous le comprenons mieux par rapport aux rĂ©vĂ©lations faites. C’est un personnage qui est entre deux chaises si je puis dire. Lui a un lien avec les deux groupes, ce qui fait qu’il est d’autant plus mystĂ©rieux et un air de monsieur je sais tout. Il ne change pas ici mais ce tome Ă©claircit des points, nous montre un Edge moins mystĂ©rieux et cachottier en mĂȘme temps y a des rĂ©vĂ©lations, logiques ! et comment il en est arrivĂ© lĂ  avec son sacrĂ© caractĂšre. Et pour les autres personnages ? Ce sont toujours les mĂȘmes et y en a des nouveaux ! Les nouveaux servent Ă  exposer Edge et ont bien une identitĂ© propre. Dans la plupart de roman, des personnages sont prĂ©sents juste pour activer un Ă©lĂ©ment de l’intrigue ou la bouger, ils servent Ă  combler un trou pour plus de facilitĂ©. Dans Dossier Evan Cartier ce n’est pas le cas et j’en suis ravie ! Nous apprenons Ă  les connaĂźtre, certains Ă  aimer, d’autres Ă  dĂ©tester ou Ă  apprĂ©cier ! De mĂȘme un passage nous dĂ©voile davantage la cruautĂ© de la LĂ©gion, qui renforce mieux le cĂŽtĂ© dramatique, perfide et vicieux, la barbarie dont elle est capable. On a eu un aperçu dans le tome 1 mais avec une personne. Une scĂšne a de l’ampleur. Pourtant, j’ai senti un retrait par rapport Ă  une scĂšne et du sadisme renvoyĂ© au lecteur. MĂȘme si le grand mĂ©chant loup du tome 1 Ă©tait ridicule, ici c’est plus une version collective non ridicule et plus concrĂšte. Ils sont plus concrets avec certes des stĂ©rĂ©otypes, un peu trop dichotomique, mais ça marche bien. LĂ©a, toujours Ă©gale Ă  elle-mĂȘme aimant les statistiques et ĂȘtre autant chiante qu’attachante. Louise et Evan ne change pas des masses. Evan a mĂ»ri, le deuil est passĂ© » et se concentre sur Vigilance. Leur amitiĂ© Ă  tous deux est vraiment superbe, j’espĂšre que ça va rester comme ça. Les amitiĂ©s telles quelles sont rares dans les romans. Concernant l’intrigue de ce tome, j’ai beaucoup aimĂ©. L’adrĂ©naline parcourt les pages et notre corps. Nous courons avec les personnages tant que les rebondissements vont bon train. Les Ă©nigmes sont trĂšs sympas, et l’endroit recherchait mĂ©lange mystĂšre et un brin fantastique ! Des situations trĂšs imagĂ©es, rappelant les films et les sĂ©ries, rocambolesques, prĂ©visibles et rĂ©alistes, et trĂšs drĂŽles. Je me suis dit il va se passer un truc, BINGO ! En plus de cette intrigue, une autre en fond s’installe plus profondĂ©ment avec de nouveaux Ă©lĂ©ments. Ça permet d’avoir des histoires sur un tome et sur plusieurs tomes. L’humour ponctue toujours l’intrigue et les remarques sarcastiques donnent une atmosphĂšre et un autre dynamisme Ă  l’histoire. Le hic Ă  la fin, c’est que j’aurais aimĂ© voir l’arrivĂ©e et non dans la page suivante passer Ă  l’épilogue. J’ai l’impression qu’il me manque un bout et que ça se termine sans rĂ©ellement de conclusion. Je ne parle pas de l’épilogue en soi qui relance l’intrigue et qui nous dicte FONCE DANS LE TOME 3 que s’est-il passĂ© ? Comme les bases Ă©taient posĂ©s dans le tome prĂ©cĂ©dent, nous avons un second tome approfondissant aventure, passĂ© dĂ©voilĂ© et amitiĂ©. Il n’y a pas un temps mort, et l’intrigue de fond prend de l’ampleur. HĂąte de lire le troisiĂšme tome ! Lefond du coffre est jaune ocre, et entre les colonnes de texte se tiennent quatre divinitĂ©s debout : aux deux extrĂ©mitĂ©s, Thot ibiocĂ©phale, sur la tĂȘte duquel est posĂ© un oeil Oudjat (Thot, dieu lunaire, a un rĂŽle trĂšs important dans la reconstitution de cet oeil, l'oeil blessĂ© d'Horus, comme il en a sur les phases croissantes de la lune). Au centre gauche se trouve Anubis, et au VĂ©ronique Dasen et Armand M. Leroi Texte intĂ©gral 1Lors de la sĂ©ance du 9 janvier 1826 de l’AcadĂ©mie royale des Sciences de Paris, l’anatomiste français Étienne Geoffroy Saint-Hilaire prĂ©senta Ă  l’assemblĂ©e une Ă©trange momie humaine provenant d’Égypte. Elle lui avait Ă©tĂ© remise par Joseph Giuseppe Passalacqua qui le prenait pour un singe cynocĂ©phale. 1 À cĂŽtĂ© de l’ibis, plus de trente espĂšces d’oiseaux ont ainsi Ă©tĂ© identifiĂ©es par J. Boessneck et A ... 2Que J. Passalacqua ait identifiĂ© la crĂ©ature Ă  un animal n’est pas surprenant. Il l’avait trouvĂ©e dans le cimetiĂšre de Touna el-Gebel, situĂ© Ă  l’orĂ©e du dĂ©sert en Moyenne Égypte, Ă  environ 10 km de la citĂ© d’Hermopolis Magna el-Ashmunein. Cette nĂ©cropole, composĂ©e d’un vaste rĂ©seau de galeries souterraines, Ă©tait rĂ©servĂ©e aux animaux consacrĂ©s au dieu lunaire Thot, vĂ©nĂ©rĂ© sous la forme d’un babouin ou d’un ibis. La momie provenait d’un secteur occupĂ© par des singes Papio cynocephalus anubis, embaumĂ©s, comme elle, en position accroupie ; on avait mĂȘme glissĂ© dans ses bandelettes une amulette en forme de babouin Hamadryas. Les catacombes recelaient d’autres animaux momifiĂ©s Ă  travers lesquels la puissance divine pouvait se manifester, en majoritĂ© des ibis, mais aussi des bƓufs, bĂ©liers, crocodiles, chiens, chats, poissons, gazelles, ainsi que diffĂ©rentes espĂšces d’oiseaux et de petits animaux1. La plupart de ces animaux avaient probablement grandi dans des Ă©levages spĂ©cialisĂ©s aux environs du temple avant d’ĂȘtre tuĂ©s, puis vendus embaumĂ©s aux pĂšlerins pour ĂȘtre consacrĂ©s Ă  la divinitĂ©. 2 J. Passalacqua, Catalogue raisonnĂ© et historique des antiquitĂ©s dĂ©couvertes en Égypte, Paris, Gale ... 3 J. Passalacqua, op. cit., 1826, p. 230 ; D. Kessler, Forschungsstand bis 1983 », in J. Boessneck... 4 D. Kessler, A. El Halim Nurredin, Der Tierfriedhof von Tuna el-Gebel, Stand der Grabungen bis 19 ... 3Les informations sur les circonstances de la dĂ©couverte de la momie examinĂ©e par É. Geoffroy Saint-Hilaire sont malheureusement trĂšs incomplĂštes. J. Passalacqua se contente d’indiquer qu’il la trouva dans un tombeau de cynocĂ©phales »2. Était-elle dĂ©posĂ©e dans un sarcophage en bois, comme d’autres spĂ©cimens logĂ©s dans les niches des galeries ?3 Le reste de la galerie C, oĂč Ă©taient concentrĂ©es les momies de cynocĂ©phales, fut fouillĂ© de 1931 Ă  1952 par S. Gabra de l’UniversitĂ© du Caire, mais sans faire l’objet de publications. Les investigations furent reprises sur le site en 1989 par l’UniversitĂ© de Munich sous la direction de Dieter Kessler4. 5 D. Kessler, Die heiligen Tiere und der König, I, BeitrĂ€ge zu Organisation, Kult und Theologie der ... 6 D. Kessler, op. cit., 1987, p. 12 ; D. Kessler, A. El Halim Nurredin, op. cit., p. 262, fig. 14. 4On sait aujourd’hui que la nĂ©cropole se dĂ©veloppa sous la XXVIe dynastie au moment oĂč la reprĂ©sentation divine sous forme animale connut un nouvel essor. Le culte des animaux sacrĂ©s devint alors trĂšs important5. Le complexe cultuel comprenait un temple de Thot qui fut probablement construit sous le rĂšgne du pharaon Amasis vers 570 av. et restaurĂ© ou agrandi sous le rĂšgne de PtolĂ©mĂ©e Ier vers 300 av. Une voie processionnelle le reliait au temple de l’Osiris-babouin et de l’Osiris-ibis, d’oĂč un escalier menait aux catacombes. Des chapelles souterraines furent amĂ©nagĂ©es Ă  l’époque ptolĂ©maĂŻque. Elles Ă©taient dĂ©diĂ©es Ă  des babouins dĂ©ifiĂ©s dont les momies, rarement conservĂ©es, avaient fait l’objet de soins qui tĂ©moignent de leur statut particulier collier MĂ©nat, amulettes d’Ɠil oudjat, pilier Djed, BĂšs...6. 7 É. Geoffroy Saint-Hilaire in J. Passalacqua, op. cit., 1826, p. 230. 5Nous ne connaissons pas les raisons qui amenĂšrent J. Passalacqua Ă  juger cette momie digne de l’attention de l’un des plus grands anatomistes de son Ă©poque. Des dĂ©tails singuliers, peut-ĂȘtre sa taille, l’incitĂšrent Ă  la prĂ©senter Ă  É. Geoffroy Saint-Hilaire pour qu’il en dĂ©termine l’espĂšce. É. Geoffroy Saint-Hilaire en fut ravi ; il Ă©crit ... qu’il ne me fut point difficile d’y reconnaĂźtre, dĂšs qu’elle fut entiĂšrement dĂ©veloppĂ©e, une des monstruositĂ©s de l’espĂšce humaine dont j’avais eu occasion de m’occuper. »7 Il ajoute qu’il fut si enthousiasmĂ© Ă  la vue d’une production aussi singuliĂšre et aussi inattendue, que j’ai priĂ© M. Passalacqua d’autoriser que je pusse de suite informer d’un fait aussi curieux le monde savant et l’Institut de France. » 8 I. Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire gĂ©nĂ©rale et particuliĂšre des anomalies de l’organisation chez ... 9 Histoire des Monstres, Paris, Reinwald, 1880 ; rééd. Grenoble, JĂ©rĂŽme Millon, 2002, p. 29-30. 10 Monstres. Histoire du corps et de ses dĂ©fauts, Paris, Syros, 1991, p. 26-28. 6Cette momie constitue une dĂ©couverte remarquable car elle reprĂ©sente l’un des plus anciens tĂ©moignages palĂ©opathologiques de nouveau-nĂ© atteint d’anomalie congĂ©nitale. Le discours d’É. Geoffroy Saint-Hilaire est rĂ©guliĂšrement citĂ© par les historiens de la tĂ©ratologie, tel son fils Isidore Geoffroy Saint-Hilaire 1832-18368, Ernest Martin 18809 et, plus rĂ©cemment, Jean-Louis Fischer 199110. En dĂ©pit de sa cĂ©lĂ©britĂ©, la momie tomba soudain dans l’oubli, et longtemps certains la crurent mĂȘme perdue. Nous avons rĂ©cemment retrouvĂ© sa trace dans le dĂ©pĂŽt du MusĂ©e Ă©gyptien de Berlin oĂč elle porte le numĂ©ro d’inventaire SMB 724. AprĂšs un bref rappel de son histoire, de sa dĂ©couverte vers 1820 Ă  l’époque contemporaine, nous passerons en revue les diffĂ©rentes rĂ©actions qu’elle Ă©veilla, des Égyptiens de l’époque ptolĂ©maĂŻque aux tĂ©ratologues contemporains, en passant par les naturalistes du XIXe siĂšcle. Les tribulations de la momie 11 É. Geoffroy Saint-Hilaire, Description d’un monstre humain nĂ© avant l’ùre chrĂ©tienne et considĂ©r ... 12 W. R. Dawson, E. P. Uphill, M. L. Bierbrier, Who was who in Egyptology, London, Egypt Exploration ... 7J. Passalacqua, comme tant d’anciens dĂ©couvreurs, occupe une position ambiguĂ« dans l’histoire de l’archĂ©ologie. Pilleur de tombes Ă  ses heures, il fut aussi le fondateur et le conservateur de l’Ägyptisches Museum und Papyrussammlung Ă  Berlin-Charlottenburg, l’une des plus grandes collections d’archĂ©ologie d’Europe. NĂ© en 1797 Ă  Trieste, il Ă©tait parti en Égypte comme marchand de chevaux. Ses affaires n’ayant pas prospĂ©rĂ©, il entreprit des fouilles et rassembla une importante collection d’antiquitĂ©s provenant de ThĂšbes et d’autres sites. AprĂšs avoir ramenĂ© sa collection Ă  Paris en 1826, il l’exposa dans l’espoir de la vendre au gouvernement français pour la somme de 400 000 francs. Geoffroy Saint-Hilaire examina la momie monstrueuse alors que la collection Ă©tait Ă  Paris ; il la commenta puis l’illustra dans au moins deux articles fig. 111. En 1827, aprĂšs avoir en vain attendu une offre du Louvre, J. Passalacqua vendit sa collection Ă  FrĂ©dĂ©ric-Guillaume IV de Prusse pour 100 000 francs. Il devint conservateur du MusĂ©e des antiquitĂ©s Ă©gyptiennes Ă  Berlin en 1828, et y demeura jusqu’à sa mort en 186512. 1 - L’anencĂ©phale en 1826. D’aprĂšs É. Geoffroy Saint-Hilaire 1825, pl. 18. 1-4. A. mumia 1. Vue ventrale ; 2. Vue dorsale ; 3. Vue latĂ©rale ; 4. Detail du dos du crĂąne. 5. Amulette de babouin. 6-8. Trois autres types d’Anencephalus, A. perforatus, A. cotyla and A. icthyoĂŻdes 8A. Erman dĂ©crit ainsi la momie dans le catalogue du musĂ©e de Berlin 13 A. Erman, AusfĂŒhrliches Verzeichnis der Ägyptischen AltertĂŒmer und GipsabgĂŒsse, Berlin, W. Spemann ... 724. Mumie einer menschlichen Missgeburt, die in einem Affengrab in Schmun beigesetzt war ; in ihre Binden war die FayenceFigur eines hockenden Affen hineingelegt. Man nahm also wohl an, die betreffende Frau habe einen Affen geboren Pass. »13 14 Communication du Dr. H. Kischkewitz. 15 Lettre du 9Pendant la seconde guerre mondiale, les bombardements des AlliĂ©s causĂšrent d’importantes pertes au musĂ©e de Berlin. Probablement cachĂ©e dans les caves du nouveau musĂ©e, la momie ne fut toutefois pas dĂ©truite14. En juillet 1974, Fritz Dick, Regisseur und Kameramann Medizin-Film » put encore la radiographier et livrer le rapport suivant fig. 215 2 - L’anencĂ©phale en 1974. Radiographie de Fritz Dick. Berlin-Charlottenburg, Ägyptisches Museum und Papyrussammlung 16 Trad. Constat radiologique de l’anencĂ©phale objet 724. Âge de dĂ©veloppement environ 7 mois. ... Röntgenbefund des Anencephalus Objekt 724.Entwicklungsalter etwa 7 Monate. Infolge der erzwungenen Sitzhaltung ist der A. röntgenologisch schlecht auswertbar. Es fĂ€llt auf, das der Unterkiefer 1 fehlt, daher die vogelkopfartige Oberkiefergesichtspartie. Abnorm grosse Augenhölen 2. Nach der Röntgenaufnahme könnte der Unterkiefer eventuell stark nach unten geklappt worden sein, so dass er der ventralen Thoraxwand anliegt 3. Das Fehlen des Unterkiefers ist aber nicht auszuschliessen. Anstelle des nicht ausgebildeten HirnschĂ€dels stellen sich knöcherne DeformitĂ€ten dar 4. Die HalswirbelsĂ€ule ist krĂŒckstockartig eingebogen 5. Die zarten Knochen des PrĂ€parates sind wahrscheinlich beim Mumifizieren und beim Verbringen in die Sitzhaltung stark frakturiert worden, so ist u. a. eine deutliche Fraktur des Oberschenkelknochens 6 zu erkennen. Ferner sind die Unterschenkelknochen durch Gewalteinwirkung vom Fussskelett 7 getrennt, verlagert und auch z. T. frakturiert. Die Knochen der oberen ExtremitĂ€ten sind ebenfalls durch das Bandagieren stark verlagert. Die Knochen wirken im VerhĂ€ltnis zur Grösse des A. sehr plump. An der WirbelsĂ€ule zeigt sich die typische spina bifida 8. »16 17 Gorlin, M. M. Cohen, R. C. M. Hennekam, Syndromes of the Head and Neck, Oxford, Oxford Unive ... 18 Cf. R. J. Oostra, B. Baljet, R. C. M. Hennekam, Congenital anomalies in the teratological collec ... 10Depuis lors, la momie n’a plus fait l’objet d’étude ni de publication. Son Ă©tat de conservation a continuĂ© de se dĂ©tĂ©riorer Ă  tel point qu’aujourd’hui n’en subsiste plus qu’une collection de fragments dont le plus grand correspond au bras gauche fig. 3. La figure 4 montre Ă  quoi pouvait ressembler l’enfant Ă  sa naissance. Les anencĂ©phales n’ont pas de voĂ»te crĂąnienne et leur cerveau est rĂ©duit Ă  une masse de tissus nĂ©crosĂ©s17. Une tĂȘte renversĂ©e, des yeux globuleux et l’absence de front et de cou sont des traits caractĂ©ristiques. L’illustration de Geoffroy Saint-Hilaire et la radiographie suggĂšrent que la momie SMB 724 avait une forme particuliĂšre d’anencĂ©phalie holoacrania avec rachischisis »18. Le crĂąne ne s’est pas formĂ© et la colonne vertĂ©brale est restĂ©e ouverte dans la rĂ©gion dorsale et prĂšs de la tĂȘte. Cette malformation n’est pas viable, et l’enfant fut soit mort-nĂ© ou mourut rapidement peu aprĂšs sa naissance. 3 - L’anencĂ©phale en 2004. Photo H. Kischkewitz, Berlin-Charlottenburg, Ägyptisches Museum und Papyrussammlung. Le plus grand des fragments conservĂ©s. Il s’agit essentiellement d’une partie du bras gauche A. main ; B. coude ; C. haut du bras Regards Ă©gyptiens 19 Voir F. Drilhon, Un fƓtus humain dans un obĂ©lisque Ă©gyptien en bois », ArchĂ©ologie et mĂ©decine. ... 20 Cf. C. Andrews, Amulets of Ancient Egypt, London, British Museum Press, 1994, spĂ©c. p. 39-40 BĂšs ... 11Les premiers examens avaient fait apparaĂźtre plusieurs dĂ©tails inhabituels qui semblaient traduire le statut ambigu de l’enfant momifiĂ©, entre l’homme et l’animal. Alors que les membres des ĂȘtres humains sont allongĂ©s, mĂȘme au stade de fƓtus, le nouveau-nĂ© monstrueux Ă©tait en position accroupie, les mains posĂ©es sur les genoux, comme un cynocĂ©phale19. Il avait reçu le mĂȘme traitement qu’un singe sans se soucier de ses anomalies, les embaumeurs avaient soigneusement Ă©viscĂ©rĂ© son crĂąne par le nez, alors que la tĂȘte ne contenait pas de matiĂšre cĂ©rĂ©brale. Comme un ĂȘtre humain, la momie portait une amulette en faĂŻence, mais d’un type particulier au lieu du dieu nain BĂšs, gardien des enfants, on lui avait joint une figurine en forme de babouin, assis dans la mĂȘme attitude que la momie fig. 1-520. 4 - Enfant anencĂ©phale. Amsterdam, musĂ©e Vrolik. Photo Jeremy Pollard mai 2003 21 J. Passalacqua, op. cit., 1826, p. 232-233. 22 Man nahm wohl an, die betreffende Frau habe einen Affen geboren », op. cit. 23 E. Martin, op. cit., 2002, p. 30. 12É. Geoffroy Saint-Hilaire en dĂ©duisit que l’enfant, exclu des sĂ©pultures humaines, avait Ă©tĂ© assimilĂ© Ă  un animal. Le port de l’amulette le soulignait, par une sorte de comparaison entre l’infĂ©rioritĂ© organique accidentelle de la monstruositĂ© embaumĂ©e, et l’infĂ©rioritĂ© normale de l’ĂȘtre le plus dĂ©gradĂ© parmi les animaux Ă  face humaine »21. A. Erman affirme que l’on avait pensĂ© qu’» une femme avait accouchĂ© d’un singe »22. Pour E. Martin, l’anencĂ©phale constituait ainsi le tĂ©moignage irrĂ©futable de la croyance des Égyptiens dans l’origine bestiale des ĂȘtres humains monstrueux »23. Les Anciens auraient identifiĂ© la crĂ©ature Ă  un ĂȘtre nĂ© d’une femme, mais dont on regardait l’origine comme bestiale ; on l’avait assimilĂ© Ă  un animal, mais d’une espĂšce qui, dans la symbolique Ă©gyptienne, occupait le premier rang et dont la religion prescrivait de conserver pieusement les restes ; on l’avait, en un mot, honorĂ© comme un animal sacrĂ©. » 13Ce jugement, rĂ©guliĂšrement rĂ©pĂ©tĂ© dans les ouvrages de tĂ©ratologie, ne correspond toutefois pas aux croyances Ă©gyptiennes. L’enfant ne fut pas considĂ©rĂ© Ă  sa naissance comme un animal, et ne constitue pas un tĂ©moignage de zoolĂątrie. Ce point de vue plaque sur le monde Ă©gyptien des attitudes propres Ă  d’autres pĂ©riodes. 24 Par ex. Pline, Histoire naturelle, ; Tite-Live, ; ; ValĂšre Maxime Sur le... 25 Pline, Histoire naturelle, 26 GĂ©nĂ©ration des Animaux, ; LucrĂšce, De la nature, 27 Soranos, Des maladies des femmes, ; D. Gourevitch, Se mettre Ă  trois pour faire un bel enfa ... 14Dans la Rome rĂ©publicaine, diffĂ©rentes sources racontent l’enfantement d’une crĂ©ature animale ou hybride. Pline, Tite-Live, ValĂšre-Maxime et d’autres auteurs rapportent qu’une femme aurait accouchĂ© d’une crĂ©ature avec une tĂȘte d’élĂ©phant atteint de cyclopie ?, d’un porc Ă  tĂȘte humaine, ou d’un serpent24. D’Égypte serait venu un mystĂ©rieux embryon d’hippocentaure que Pline l’Ancien aurait pu observer, conservĂ© dans du miel sous le rĂšgne de l’empereur Claude. À la mĂȘme Ă©poque, un autre hippocentaure serait nĂ© et mort le mĂȘme jour en Thessalie25. Si l’opinion populaire y croit peut-ĂȘtre, les biologistes et mĂ©decins antiques rejettent l’existence du mĂ©lange des espĂšces. Aristote, et Ă  sa suite LucrĂšce, dĂ©montrent l’invraisemblance de telles conceptions Ă  cause des diffĂ©rents temps de gestation propres Ă  chaque catĂ©gorie. Le veau Ă  tĂȘte d’enfant, le mouton Ă  tĂȘte de bƓuf ne sont jamais ce que l’on en dit, ils n’en n’ont que la ressemblance »26. Les explications rationnelles attribuent la prĂ©sence de traits hybrides Ă  l’effet d’impressions maternelles pendant la grossesse. Pour Soranos IIe s. apr. la naissance de crĂ©atures simiesques vient de la vision d’un singe, et il conseille aux femmes d’arriver sobres au rapport sexuel », parce que les visions extravagantes que procure l’ivresse pourraient influencer la formation du fƓtus27. 28 P. Derchain, Anthropologie. Égypte pharaonique », in Y. Bonnefoy dir., Dictionnaire des mythol ... 15En Égypte ancienne, aucun rĂ©cit ne mentionne la naissance d’un animal issu d’une femme. Le fait que l’imagerie divine soit composite, mĂȘlant les espĂšces, n’implique pas que les Égyptiens aient cru en l’existence d’ĂȘtres hybrides rĂ©els. Les formes mixtes constituent des signes picturaux ; elles rĂ©vĂšlent que le divin peut s’incarner dans des formes animales aussi bien qu’humaines. À chaque animal correspond une des facettes des pouvoirs du dieu, mais son aspect vĂ©ritable reste cachĂ©28. 29 Sur les compĂ©tences de Thot, voir par exemple D. Kurth, Thot », Lexikon der Ägyptologie, VI, Wie ... 30 L. Lortet, C. Gaillard, La faune momifiĂ©e de l’ancienne Égypte, IIe sĂ©rie, Archives du musĂ©um d’hi ... 16Rien ne permet donc d’affirmer que la prĂ©sence de l’anencĂ©phale parmi les singes tient au fait que son apparence Ă©trange fut interprĂ©tĂ©e comme le rĂ©sultat de l’union d’une femme et d’un animal. Les soins exceptionnels qu’on lui a prodiguĂ©s peuvent aussi rĂ©sulter de l’aspect inachevĂ© de l’enfant, privĂ© de boĂźte crĂąnienne, les vertĂšbres ouvertes. Sa momification ne pourrait-elle exprimer le souci de lui permettre de terminer sa gestation et de se rĂ©gĂ©nĂ©rer dans l’au-delĂ  ? Sa position accroupie et le port de l’amulette de singe le placent sous la protection de Thot, intimement liĂ© au concept de croissance et de complĂ©tude. DivinitĂ© lunaire, Thot prĂ©side aux phases de l’astre dont il assure la rĂ©gularitĂ© ; dans le mythe de l’Ɠil solaire, il guĂ©rit Horus, l’enfant par excellence, et rend Ă  son Ɠil blessĂ© sa perfection sous la forme symbolique de l’Ɠil oudjat29. Ce rapport Ă  la complĂ©tude pourrait aussi expliquer la coutume de placer des fƓtus dans des sarcophages en forme de singe30. AssociĂ© Ă  MaĂąt, Thot assure l’équilibre de l’univers. À la Basse Époque, ses compĂ©tences de dieu guĂ©risseur s’ajoutent Ă  celles de patron des magiciens sous la forme d’HermĂšs TrismĂ©giste. 31 S. Sauneron, J. Yoyotte, La naissance du monde selon l’Égypte ancienne », La naissance du monde ... 32 Cf. l’enfant Ă  face de grenouille nĂ© en 1517 ; A. ParĂ©, Des monstres et des prodiges, ch. IX, Ex ... 17L’anencĂ©phale ne fut probablement ni assimilĂ© Ă  un singe, ni transformĂ© en singe, mais marquĂ© de la prĂ©sence d’un dieu lunaire bĂ©nĂ©fique, capable de le parfaire et de l’intĂ©grer Ă  l’ordre cosmique. D’autres rĂ©fĂ©rences pourraient expliquer la prĂ©sence de la momie dans la nĂ©cropole d’Hermopolis. L’apparence incomplĂšte du nouveau-nĂ©, aux yeux globuleux et au crĂąne fuyant, Ă©voque certains aspects de la cosmogonie hermopolitaine oĂč des entitĂ©s composent une assemblĂ©e de huit dieux primordiaux31. Cette Ogdoade, formĂ©e de quatre couples, personnifie les forces obscures du chaos prĂ©cĂ©dant la crĂ©ation. À la Basse Époque, ces dieux sont reprĂ©sentĂ©s comme des ĂȘtres semi-anthropomorphes, les hommes avec une tĂȘte de grenouille, les femmes avec une tĂȘte de serpent. AssociĂ© Ă  un batracien, symbole de renaissance et de rĂ©surrection, l’anencĂ©phale Ă©tait symboliquement intĂ©grĂ© aux forces crĂ©atrices de l’univers. Les spĂ©culations liant l’enfant Ă  l’Ogdoade et Ă  Thot ont aussi pu se combiner32. Momies de fƓtus et de nouveau-nĂ©s 33 Je remercie C. Spieser de ces informations. Voir aussi E. Feucht, Der Weg ins Leben », in Dasen ... 34 J. Assman, Ägyptische Hymnen und Gebete, Fribourg/Göttingen, UniversitĂ€tsverlag/Vandenhoeck & Rupr ... 35 Sur le rĂŽle protecteur d’Atoum, Khnoum, Chou E. Feucht, op. cit., 2004, p. 42-43. Serket C. Sp ... 36 V. Dasen, Dwarfs in Ancient Egypt and Greece, Oxford, Clarendon Press, 1993, spĂ©c. p. 52-53, 67-75 ... 18Le traitement exceptionnel de l’anencĂ©phale doit ĂȘtre replacĂ© dans le contexte plus large des soins rĂ©servĂ©s Ă  l’enfant Ă  naĂźtre et au nouveau-nĂ© en Égypte ancienne. De nombreuses divinitĂ©s Ă©taient invoquĂ©es pour assurer une grossesse et un accouchement rĂ©ussis. Perçu comme un ĂȘtre vivant, le fƓtus Ă©tait l’objet de protections divines33. Dans l’hymne solaire d’Amarna, Aton doit ainsi apaiser les larmes d’un fƓtus qui Ă©prouve dĂ©jĂ  des sentiments34. Ailleurs, Atoum promet Ă  Isis de veiller sur l’enfant qu’elle porte, Serket, Celle qui fait respirer », protĂšge la croissance de l’embryon, Khnoum s’occupe de le façonner sur son tour et d’ouvrir la matrice pour l’accouchement35. Les dieux nains BĂšs, seigneur de la matrice », et Ptah-PatĂšque, aux proportions fƓtales, patronnent l’ensemble du processus de la procrĂ©ation, de la grossesse Ă  la naissance36. 37 Sur ces trouvailles, voir aussi J. Baines, P. Lacovara, Burial and the dead in ancient Egyptian ... 38 B. BruyĂšre, Rapport sur les fouilles de Deir el MĂ©dineh 1934-1935, II, La nĂ©cropole de l’est, Le ... 39 E. Feucht, op. cit., 2004, p. 128-130. Plus rarement, l’enfant se trouve avec le pĂšre, ou avec le ... 40 Louvre E 3708, N 3959 Basse Ă©poque ; Drilhon, op. cit., 1987, p. 503-506, fig. 4-6. 41 F. Filce Leek, The Human Remains from the Tomb of Tut’ankhamun, Oxford, Griffith Institute, 1972, ... 42 Louvre, Coll. Rousset Bey, E 5723 n° 1945 ; Coll. Clot Bey, n° 4205, 1940 ; Lortet/ Gaillard, op. ... 19Des fƓtus ont reçu diffĂ©rents types de sĂ©pulture37. À Deir el-Medineh, la nĂ©cropole de l’est fut apparemment rĂ©servĂ©e aux enfants en bas Ăąge. B. BruyĂšre y dĂ©nombre plusieurs fƓtus et nouveau-nĂ©s simplement enveloppĂ©s d’un tissu et dĂ©posĂ©s dans une amphore ou un panier de vannerie38. Les enfants de l’élite Ă©taient parfois embaumĂ©s. La plupart ont Ă©tĂ© retrouvĂ©s aux cĂŽtĂ©s de leur mĂšre, probablement morte en couches39, d’autres ont Ă©tĂ© conservĂ©s sĂ©parĂ©ment. Un fƓtus humain de 3 Ă  4 mois fut ainsi placĂ© dans un obĂ©lisque miniature en bois servant de pilier dorsal Ă  une statue de Ptah-Sokar-Osiris ; ses membres Ă©taient dĂ©pliĂ©s, allongĂ©s le long du corps comme pour l’humaniser40. Deux fƓtus de 5 mois et demi et de 7 mois furent retrouvĂ©s dans des sarcophages anthropoĂŻdes miniatures dans la tombe de Toutankhamon. L’un d’eux montrait au niveau de des os une dĂ©formation de Sprengel, peut-ĂȘtre associĂ©e Ă  d’autres malformations lĂ©tales41. D’autres spĂ©cimens Ă©taient logĂ©s dans le dos de statues Ă  l’image du dieu BĂšs, garant de leur survie dans l’au-delĂ 42. 43 Lortet/ Gaillard, op. cit., 1907 et 1909. 44 G. E. Smith, The Royal Mummies, Le Caire, Institut français d’archĂ©ologie orientale, 1912 CGC, p ... 20Parfois la frontiĂšre entre l’homme et l’animal est ambiguĂ«. Deux sarcophages ou statues en forme de babouin accroupi semblent avoir renfermĂ© un fƓtus d’enfant, Ă  moins qu’il ne s’agisse de jeunes singes aux membres disposĂ©s comme ceux d’un ĂȘtre humain, allongĂ©s le long du corps ou repliĂ©s sur la poitrine43. À l’inverse, la petite momie dĂ©posĂ©e dans le sarcophage de la princesse MaĂątkare-Moutemhet XXIe dynastie, ca 1020 av. fut longtemps prise pour celle de son nouveau-nĂ© jusqu’au jour oĂč une radiographie permit de l’identifier comme une femelle babouin Hamadryas, probablement l’animal favori de la princesse44. Le traitement des nouveau-nĂ©s et des enfants anormaux 21L’attitude religieuse des Égyptiens envers les enfants prĂ©sentant des malformations congĂ©nitales diffĂšre profondĂ©ment de celles d’autres peuples par sa capacitĂ© Ă  corriger symboliquement une anomalie pour l’intĂ©grer dans l’ordre du monde. Loin d’ĂȘtre l’expression d’une colĂšre divine, synonyme d’une souillure qu’il faut Ă©liminer, ces naissances sont perçues comme la manifestation d’une prĂ©sence divine. 22Les prĂ©ceptes des moralistes conseillent d’accepter avec rĂ©signation les imperfections corporelles. Au Nouvel-Empire, le sage AmĂ©nĂ©mopĂ© prĂ©conise d’ĂȘtre charitable et de ne pas se moquer des infirmes Ne ris pas de l’aveugle ni ne te moque du nainNi ne rĂ©duis Ă  rien la condition d’un te moque pas d’un homme qui est dans la main du dieu, 45 Trad. P. Vernus, Sagesses de l’Égypte pharaonique, Paris, Imprimerie nationale, 2001, p. 324. Ni ne lui sois hostile jusqu’à l’ est argile et paille,Le dieu est son dĂ©molit et re bĂątit quotidiennement. » XXIV, 8-1645 46 Dasen, op. cit., 1993, p. 50, fig. 47 M. de Rochemonteix, S. Cauville, D. Devauchelle, Le temple d’Edfou, I, Le Caire, Institut français ... 23Parmi les anomalies congĂ©nitales, le nanisme semble avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une sympathie particuliĂšre. DĂšs l’Ancien Empire, les nains furent associĂ©s au symbolisme solaire grĂące Ă  diffĂ©rents jeux de correspondances qu’illustre un papyrus mythologique du Nouvel Empire46. Dans le disque solaire se tient le bĂ©lier, qui incarne le soleil Ă  son coucher, et un nain qui remplace l’image attendue du scarabĂ©e sacrĂ© KhĂ©pri, symbole du soleil levant comme l’indique l’homophonie des mots kheprer, scarabĂ©e, et kheper, venir Ă  l’existence. Au jeu de mots s’ajoute un jeu d’images. Avec ses membres incurvĂ©s et son long torse, le nain prĂ©sente la mĂȘme silhouette que le scarabĂ©e, avec un gros abdomen et de petites pattes courbes. InachevĂ©, le nain va donc incarner dans la pensĂ©e religieuse Ă©gyptienne la notion de croissance, de rĂ©gĂ©nĂ©ration et de jeunesse Ă©ternelle. Un hymne du temple ptolĂ©maĂŻque d’Edfou dĂ©crit l’enfant Horus comme un nain Un lotus surgit dans lequel se trouvait un bel enfant qui illuminait la terre de ses rayons.... un bourgeon dans lequel se trouvait un nain »47. Cette identification s’explique par l’apparence ambiguĂ« du nain, Ă  la fois enfant et adulte, comme un jeune dieu Ă  peine nĂ© mais dĂ©jĂ  sage et savant. 24Deux petits dieux familiers tĂ©moignent de la valorisation du nain dans la religion et la magie Ă©gyptiennes. Le plus populaire est BĂšs, un nain trapu aux membres torses, avec une grosse tĂȘte Ă  la langue pendante, auxquels s’ajoutent les oreilles, la queue et mĂȘme la criniĂšre d’un lion. Son image apparaĂźt dĂšs le Moyen Empire vers 2040 av. jusqu’à l’époque romaine sur une grande variĂ©tĂ© de supports, notamment des amulettes et des intailles magiques. C’est l’un des principaux gĂ©nies protecteurs de la famille ; avec la dĂ©esse Hathor et la dĂ©esse hippopotame Taouret, il Ă©carte les influences malignes des femmes enceintes et prĂ©side aux accouchements. Un autre dieu nain, nommĂ© conventionnellement Ptah-PatĂšque, apparaĂźt sous la forme d’amulettes dĂšs le Nouvel-Empire vers 1550 av. Comme BĂšs, ce petit dieu protĂšge les enfants de tout mal, en particulier des morsures et piqĂ»res d’animaux dangereux. Sur certaines figurines, l’absence de pilositĂ© et l’hypotrophie des traits faciaux Ă©voquent l’image d’un fƓtus, peut-ĂȘtre pour signaler que la protection du dieu s’étendait Ă  la femme enceinte et Ă  l’embryon. 25Dans la vie quotidienne, des nains apparaissent dĂšs l’époque prĂ©dynastique dans l’entourage des grands dignitaires de la cour. Ils semblent avoir assumĂ© des tĂąches bien dĂ©finies, comme l’entretien des habits, des objets de toilette et la fabrication de bijoux. Ils sont parfois accompagnĂ©s par d’autres personnes avec des anomalies physiques. Dans la tombe de Baqt I Ă  Beni Hassan Moyen Empire, XIe-XIIe dyn., 2040-1783 av. la suite du dĂ©funt est composĂ©e d’un nain, d’un bossu et d’un boiteux qui portent chacun le nom de leur malformation inscrit au-dessus de leur tĂȘte nmw, jw, dnb. Les nains ont aussi la garde des animaux favoris, gĂ©nĂ©ralement des singes cercopithĂšques et des chiens. Certains nains ont mĂȘme occupĂ© des fonctions importantes. L’exemple le plus cĂ©lĂšbre est celui de Seneb qui reçut le privilĂšge d’ĂȘtre enterrĂ© dans la nĂ©cropole royale de Gizeh Ve dyn., vers 2475 av. 48 Par ex. la momie d’enfant atteint d’osteogenesis imperfecta Nouvel empire ; H. K. Gray, Mummies ... 49 Histoire naturelle, 26D’autres documents confirment que les enfants prĂ©sentant des anomalies physiques Ă  la naissance avaient des chances de survivre et d’ĂȘtre Ă©levĂ©s48. Adultes, ils n’étaient pas exclus de la vie sociale et religieuse Ă  cause de leur handicap. C’est d’ailleurs en Égypte que l’on jugea bon, selon Pline l’Ancien, d’élever un monstre portentum c’était un humain qui avait les deux yeux aussi derriĂšre la tĂȘte, mais qui ne voyaient pas »49. 27L’intĂ©gration rĂ©ussie des nains et d’autres infirmes dans la sociĂ©tĂ© Ă©gyptienne explique le soin particulier que reçut l’anencĂ©phale d’Hermopolis. Contrairement Ă  la MĂ©sopotamie voisine ou aux sociĂ©tĂ©s italique et romaine, la naissance d’un enfant difforme n’y reprĂ©sentait pas un signe inquiĂ©tant pour les parents ou l’ensemble de la communautĂ©. Ni bĂȘte, ni hybride, ni monstre, l’anencĂ©phale fut accueilli comme un ĂȘtre hors du commun, inachevĂ©, Ă  l’image des crĂ©atures divines des temps primordiaux, qu’il fallait remettre Ă  la protection du dieu Thot pour assurer sa finition. 50 I. E. S. Edwards, Hieratic Papyri in the British Museum, Fourth Series, Oracular Amuletic Decrees ... 28Le sort de cet enfant ne permet toutefois pas d’affirmer que toutes les imperfections corporelles Ă©taient bien accueillies. Quelques documents laissent entrevoir une rĂ©alitĂ© plus complexe. Ainsi, un texte magique du VIIIe s. av. XXIIe ou XXIIIe dyn. Ă©numĂšre les motifs d’anxiĂ©tĂ© d’une femme enceinte. Il figure sur un petit papyrus que la future mĂšre portait autour du cou, glissĂ© dans un Ă©tui, en guise de talisman50. Le texte invoque protection contre toutes sortes d’influences nĂ©fastes. Trois malheurs notamment concernent le nouveau-nĂ© Nous la protĂ©gerons d’une naissance d’Horus une naissance prĂ©maturĂ©e ?, d’une fausse-couche, et de la naissance de jumeaux ». Le terme d3jt traduit par fausse-couche » pourrait aussi dĂ©signer une irrĂ©gularitĂ© », c’est-Ă -dire une malformation de l’enfant. Les naissances gĂ©mellaires sont une autre cause de souci, probablement parce qu’elles reprĂ©sentaient des naissances Ă  risque, susceptibles de coĂ»ter la vie Ă  la mĂšre et aux enfants. 29Des absences laissent supposer que les nouveau-nĂ©s prĂ©sentant des anomalies majeures Ă©taient discrĂštement supprimĂ©s Ă  la naissance, mĂȘme si cette pratique Ă©tait officiellement dĂ©sapprouvĂ©e. On ne possĂšde ainsi pas de description ni de reprĂ©sentation Ă©gyptiennes d’ĂȘtres humains atteints de graves malformations, privĂ©s d’un ou plusieurs membres, avec des parties surnumĂ©raires ou joints ensemble, comme les jumeaux siamois, qui tĂ©moigneraient de leur survie et de leur intĂ©gration. La mythologie Ă©gyptienne compte pourtant de nombreux monstres, mais ce sont toujours des ĂȘtres composites, formĂ©s de parties animales et humaines, sans rapport avec un Ă©tat pathologique rĂ©el. Le regard d’É. Geoffroy Saint-Hilaire 51 T. Appel, The Cuvier-Geoffroy Debate French Biology in the Decade before Darwin, Oxford, Oxford ... 30É. Geoffroy Saint-Hilaire chercha bien sĂ»r Ă  deviner ce que cette momie monstrueuse avait pu signifier aux yeux des Égyptiens qui l’avaient faite, mais il Ă©tait avant tout un anatomiste. Bien qu’il soit passĂ© Ă  la postĂ©ritĂ© d’abord pour ses aphorismes et ses brillantes recherches dans le domaine de la zoologie, il Ă©tait aussi le fondateur de la tĂ©ratologie moderne, c’est-Ă -dire, littĂ©ralement, de la science des monstres51. En particulier, c’est en 1822 qu’il publia le second volume de sa Philosophie Anatomique. Or, c’est dans cet ouvrage qu’il entreprit de classer systĂ©matiquement les difformitĂ©s congĂ©nitales, de rechercher par l’expĂ©rimentation leurs causes, et qu’il mit en relation la question des difformitĂ©s avec celle de la formation embryonnaire du corps humain normal ». Quatre ans plus tard, la momie monstrueuse lui fournit l’occasion de se pencher Ă  nouveau sur cette question. 31Pour É. Geoffroy Saint-Hilaire, SMB Inv. Nr. 724 reprĂ©senta une sorte de triomphe taxonomique. Dans sa Philosophie Anatomique, il avait commencĂ© Ă  classer les nouveau-nĂ©s monstrueux de la mĂȘme maniĂšre que les taxonomistes classaient les animaux. Il crĂ©a ainsi plusieurs petites familles » ou genres », Ă  la maniĂšre linnĂ©enne. Un de ces groupes reunissait les cas du type AnencĂ©phale, qu’il dĂ©crivait ainsi AnencĂ©phale TĂȘte sans cerveauPoint de cerveau ni de moelle Ă©piniĂšre ; la face et tous les organes des sens dans l’état normal ; la boĂźte cĂ©rĂ©brale ouverte vers la ligne mĂ©diane, est composĂ©e de deux moitiĂ©s renversĂ©es et Ă©cartĂ©es de chaque cĂŽtĂ© en ailes de pigeon. 52 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822 ; 1825 ; I. Geoffroy Saint-Hilaire, 1836 p. 61-68. 53 Voir bibliographie dans I. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1836 ; p. 61-68 ; I. Geoffroy Saint-H ... 54 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825, p. 68. 32Cette description se basait sur plusieurs cas observĂ©s Ă  Paris par Geoffroy. Il n’était d’ailleurs pas le seul, notait-il, Ă  avoir observĂ© et rĂ©pertoriĂ© cette difformitĂ© particuliĂšre52 – mais il Ă©tait en revanche le premier Ă  lui donner une place prĂ©cise dans une taxonomie qui considĂ©rait les nouveau-nĂ©s privĂ©s de tĂȘte comme un tout cohĂ©rent fig. 5. Dans des publications ultĂ©rieures sur l’anencĂ©phalie53, Geoffroy poussa plus loin la logique linnĂ©enne et dĂ©crivit 9 espĂšces » d’anencĂ©phales comme par exemple A. ichthyoĂŻdes, A. perforatus et A. mumia – la momie montrueuse54 Anenchephalus-MumiaCaract. spĂ©c. TĂȘte renversĂ©e en arriĂšre ; bouche bĂ©ante ; les sur-occipitaux fort Ă©cartĂ©s et maintenus Ă  la hauteur de l’articulation scapulo-humĂ©rale ; les corps vertĂ©braux autant hauts que larges. 55 I. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1836, p. 63. 33Les distinctions entre les espĂšces » monstrueuses de Geoffroy reposaient sur des diffĂ©rences minimes quant au degrĂ© de difformitĂ© ; elles furent par consĂ©quent peu utilisĂ©es. Mais le principe linnĂ©en est restĂ© d’actualitĂ© dans les ouvrages rĂ©cents de tĂ©ratologie qui sont parfois organisĂ©s selon les axes de la taxonomie plus fine d’Isidore, le fils d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire. C’est lui, en effet, dans son Histoire GĂ©nĂ©rale et ParticuliĂšre des Anomalies, qui plaça le genre anencĂ©phale » dans la famille des AnencĂ©phaliens », ordre des Monstres Autosites », classe des Monstres Unitaires » et enfin, embranchement des Anomalies Complexes »55. 34Ces projets taxonomiques imposaient un ordre, si arbitraire soit-il, sur une partie de la Nature qui en avait manquĂ© jusque-lĂ , – une partie, qui plus est, dans laquelle le dĂ©sordre rĂ©gnait en maĂźtre. Pour Geoffroy pĂšre, dĂ©couvrir que son systĂšme fonctionnait sur un nouveau-nĂ© de 2000 ans Ă©tait la preuve mĂȘme de sa validitĂ© universelle. 5 - Nouveau-nĂ©s anencĂ©phales. D’aprĂšs É. Geoffroy Saint-Hilaire, Philosophie anatomique, Paris, Deville-Cavellin, 1822, pl. IV premiĂšre description du genus AnencĂ©phale ». 1 et 2 vues latĂ©rale et dorsale de l’enfant ; 3 "NotencĂ©phale" ; 4-8 parties du squelette 56 I. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822, p. 523-529. 35Mais Geoffroy ne voulait pas seulement classer les difformitĂ©s, il voulait en expliquer la genĂšse. Dans la Philosophie Anatomique, il suggĂšre qu’une forme particuliĂšre d’anencĂ©phalie a pu ĂȘtre causĂ©e par un retardement de dĂ©veloppement », imputable Ă  des lĂ©sions subies au premier stade de la vie embryonnaire, et causĂ©es par le surmenage de la mĂšre pendant sa grossesse56. Assez curieusement, Geoffroy ne fait aucun commentaire sur les causes de l’anencĂ©phalie de la momie ; il semble juste considĂ©rer comme admis que ce sont des causes identiques aux causes actuelles qui ont pu jouer deux ou trois mille ans auparavant ». 36Geoffroy saisit en tout cas l’occasion fournie par SMB Inv. Nr. 724 pour rĂ©affirmer quelques-unes de ses pensĂ©es favorites concernant les mĂ©canismes de l’ontogenĂšse humaine. Il commence par le faire dans un exposĂ© Ă  l’AcadĂ©mie des sciences 57 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825. On s’est plus occupĂ© des AnencĂ©phalies que des autres cas de monstruositĂ©s l’absence de tout le systĂšme mĂ©dullaire cĂ©rĂ©bro-spinal a paru, en effet, une singularitĂ© du plus haut intĂ©rĂȘt d’abord pendant le rĂšgne du cartĂ©sianisme, comme fournissant un fait contraire Ă  l’hypothĂšse que des esprits animaux s’engendraient dans le cerveau, et tout rĂ©cemment, depuis qu’a paru la loi du dĂ©veloppement excentrique des organes, loi reconnue et posĂ©e par le docteur Serres, cette absence Ă©tant opposĂ©e aux opinions reçues, que les nerfs naissent des parties mĂ©dullaires contenues dans les Ă©tuis crĂąnien et vertĂ©bral. »57 58 Descartes, La description du corps humain ; De la formation de l’animal », 1648, in C. Adam, P. ... 59 I. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822. 37La premiĂšre affirmation renvoie Ă  l’idĂ©e de Descartes selon laquelle les esprits animaux » – un fluide mystĂ©rieux issu du sang – naissaient dans le cerveau et se rĂ©pandaient par les nerfs jusqu’aux extrĂ©mitĂ©s, pour y provoquer le mouvement et en assurer le dĂ©veloppement58. Les anencĂ©phales infirmaient cette doctrine, puisque, quoique dĂ©pourvus de cerveau, ils Ă©taient par ailleurs complĂštement constituĂ©s59. 60 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822, p. 88-89. 61 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822, p. 88. 38La deuxiĂšme dĂ©claration, concernant la loi du dĂ©veloppement excentrique », nous amĂšne au cƓur mĂȘme de la Philosophie anatomique de Geoffroy. Il s’agissait d’une sĂ©rie de lois permettant selon lui d’expliquer la diversitĂ© anatomique offerte par le monde animal et son origine dans l’Ɠuf ou la matrice60. Ces lois pouvaient expliquer les formes prises par les individus monstrueux, et les individus monstrueux pouvaient, en retour, servir Ă  confirmer leur validitĂ©. Pour Geoffroy, ses lois constituaient un vĂ©ritable instrument de dĂ©couvertes »61 – Ă  l’instar de son disciple Étienne Serres, qui avait baptisĂ© ce systĂšme l’anatomie transcendante ». 62 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822 ; 1825 ; 1826. 63 De Beer, op. cit., 1937, p. 7-15. 64 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822 ; 1825, 373-375. 65 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825, p. 371-372. 66 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825, p. 388. 39Dans une sĂ©rie d’articles62, Geoffroy montre comment les nouveaux nĂ©s anencĂ©phales et plus particuliĂšrement SMB Inv. Nr. 724, confirment ou infirment un certain nombre de thĂ©ories concernant le dĂ©veloppement et l’identitĂ© des organes. Selon une de ces thĂ©ories, avancĂ©e Ă  la fois par Goethe, Oken, Geoffroy et d’autres, le crĂąne est composĂ© d’une sĂ©rie de vertĂšbres modifiĂ©es63. Les anencĂ©phales, avance-t-il, permettent de voir les morceaux du crĂąne comme des os sĂ©parĂ©s, lĂ  oĂč ils seraient normalement fusionnĂ©s – rĂ©vĂ©lant ainsi leur vraie nature64. La spina bifida des anencĂ©phales fournit ainsi Ă  Geoffroy l’occasion d’élaborer une autre thĂ©orie selon laquelle la plupart des organes se dĂ©veloppent d’abord comme des primordia distincts Ă©lĂ©ments primitifs, qui fusionnent ensuite sous l’effet d’une force attractive inhĂ©rente, un processus en l’espĂšce interrompu, laissant la colonne vertĂ©brale divisĂ©e en deux65. Cette idĂ©e allait devenir sa loi d’affinitĂ© de soi pour soi », une sorte de loi universelle de l’attraction expliquant non seulement les formes de dĂ©veloppement organiques mais bien d’autres encore, et qui devait sans doute beaucoup Ă  la notion d’ affinitĂ©s Ă©lectives » de Goethe. Le dĂ©doublement de la colonne vertĂ©brale autorise Ă©galement Geoffroy Ă  faire allusion au passage Ă  l’une des ses idĂ©es favorites, Ă  savoir que les squelettes des vertĂ©brĂ©s peuvent ĂȘtre rapprochĂ©s des exosquelettes des crustacĂ©s et des insectes fig. 1. Dans la lĂ©gende d’une figure dĂ©crivant A. perforatus, il note que sa spina bifida provient d’une sĂ©paration des Ă©lĂ©ments vertĂ©braux comme dans le cas des CrustacĂ©s et des Insectes »66. 67 E. Serres, Recherches d’anatomie transcendante et pathologique. ThĂ©orie des formations et des dĂ©fo ... 68 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825, p. 381-386. 40Rien de tout cela ne pouvait ĂȘtre dĂ©duit de SMB Inv. Nr. 724, dont le squelette ne pouvait ĂȘtre atteint sans dommage. Aussi peu claire est sa dĂ©monstration de la loi du dĂ©veloppement excentrique » qui proclamait de façon gĂ©nĂ©rale que les organes trouvaient leur origine dans divers primordia qui se dĂ©veloppaient ensuite vers l’intĂ©rieur avant de fusionner67, et en particulier que les nerfs spinaux se dĂ©veloppaient des extrĂ©mitĂ©s vers le cordon mĂ©dullaire plutĂŽt que l’inverse. De façon plus convaincante, Geoffroy se sert de SMB Inv. Nr. 724 pour critiquer l’idĂ©e courante d’alors selon laquelle les organes gĂ©nitaux masculins reprĂ©sentent une sorte d’extension des organes gĂ©nitaux fĂ©minins. Si tel Ă©tait le cas, raisonne-t-il, et compte tenu du fait que l’anencĂ©phalie rĂ©sulte d’un arrĂȘt du dĂ©veloppement global, on devrait n’en trouver que des nouveau-nĂ©s fĂ©minins68. Or, SMB Inv. Nr. 724 est un mĂąle. Il est donc plus vraisemblable d’imaginer que les organes gĂ©nitaux fĂ©minins et masculins ont un dĂ©veloppement indĂ©pendant – ce qui correspond peu ou prou Ă  nos conceptions actuelles. De l’utilitĂ© du monstre aujourd’hui 69 L. D. Botto et al., Neural tube defects », New England Journal of Medicine, 341, 1999, p. 1509-1 ... 41Dans les travaux modernes de tĂ©ratologie, l’anencĂ©phalie est gĂ©nĂ©ralement regroupĂ©e avec la Spina Bifida sous un syndrome unique ASB », dans la mesure oĂč les caractĂ©ristiques de ces difformitĂ©s se confondent. C’est une des tares congĂ©nitales les plus communes, affectant 1 naissance pour 1 000 aux États Unis, mais l’incidence de cette difformitĂ© varie du simple au quintuple selon la gĂ©ographie, la race et le niveau socio-Ă©conomique69. 70 J. Coppa, Greene, J. N. Murdoch, The genetic basis of mammalian neurulation », Nature Gen ... 71 M. Lucock, Folic Acid nutritional biochemistry, molecular biology and role in disease processe ... 42L’opinion de Geoffroy selon laquelle l’anencĂ©phalie serait due Ă  un retard de dĂ©veloppement causĂ© par le travail de la mĂšre aux premiers mois de la grossesse n’est plus soutenable aujourd’hui. Mais les causes de l’ASB ainsi que les variations de sa frĂ©quence dans la population restent obscures. On connaĂźt de rares mutations entraĂźnant des cas d’ASB, soit chez l’homme, soit chez la souris, mais elles ne sont pas la cause de la plupart d’entre eux70. Ce trouble semble au contraire rĂ©sulter de l’interaction de plusieurs facteurs de risques environnementaux et gĂ©nĂ©tiques mal dĂ©finis. Un de ces facteurs est la carence en folate ou en vitamine B. Personne ne sait comment cette carence entraĂźne l’échec de la soudure du canal neural, mais il est clair que l’administration d’acide folique pendant la grossesse permet de prĂ©venir efficacement l’ASB71. 72 A. M. Leroi, Mutants On the Form, Variety and Errors of the Human Body, London, Harper Collins, ... 43Comme le pressentait Geoffroy, l’ASB trouve son origine dans les dĂ©buts de l’embryogenĂšse. Dix-neuf jours environ aprĂšs la conception, une zone de tissu nerveux se forme le long du dos de l’embryon. Affectant la forme d’une feuille de tulipe, cette zone tissulaire est d’abord plate. Plus tard, toutefois, elle se replie longitudinalement pour former un canal. Les bords de ce canal se collent ensuite au sommet pour former un tube creux qui court tout le long de l’embryon les futurs cordon mĂ©dullaire et cerveau72. Le scellement, ou fermeture », du canal neural semble ĂȘtre une opĂ©ration dĂ©licate, qui peut frĂ©quemment Ă©chouer. Le rĂ©sultat est alors un canal neural ouvert, une colonne vertĂ©brale ouverte ou mĂȘme un cerveau et une voĂ»te crĂąnienne bĂ©ants. 73 G. R. De Beer, The Development of the Vertebrate Skull, Oxford, Clarendon, 1937. 74 T. Appel, The Cuvier-Geoffroy Debate French Biology in the Decade before Darwin, Oxford, Oxford ... 75 B. I. Balinsky, An Introduction to Embryology, Philadelphia, W. B. Saunders, 1965 2e Ă©d., p. 351 ... 44Bien peu de thĂ©ories spĂ©cifiques de l’anatomie transcendantale ont passĂ© l’épreuve du temps. La thĂ©orie vertĂ©brale du crĂąne a Ă©tĂ© anĂ©antie par Thomas Henry Huxley en 185873 ; l’idĂ©e de Geoffroy selon laquelle les squelettes des vertĂ©brĂ©s et des crustacĂ©s Ă©taient homologues lui est restĂ©e personnelle74 ; de mĂȘme, les nerfs spinaux ne prennent pas naissance dans la moelle, mais dans une sĂ©rie de ganglions spinaux en direction des extrĂ©mitĂ©s qu’ils innervent75. 76 T. Lufkin et al., Homeotic transformation of the occipital bones of the skull by ectopic express ... 77 B. I. Balinsky, op. cit., p. 351-352. 45Ceci dit, Ă  la dĂ©charge de Geoffroy, beaucoup de ses thĂ©ories ont au moins un fond de vĂ©ritĂ©. Bien que l’ensemble du crĂąne ne soit pas constituĂ© de vertĂšbres modifiĂ©es, la perturbation d’un gĂšne HOX chez les souris montre que l’os occipital celui qui intĂ©ressait particuliĂšrement Geoffroy chez ses nouveau-nĂ©s monstrueux peut se transformer en vertĂšbres76 ; la spina bifida rĂ©sulte en effet d’un dĂ©faut d’attraction », ou si l’on prĂ©fĂšre la terminologie actuelle, d’adhĂ©sion cellulaire ; alors que les nerfs peuvent trouver leur origine dans le ganglion spinal, les ganglions spinaux ne proviennent pas directement de la moelle Ă©piniĂšre, mais plutĂŽt de cellules de crĂȘtes neuronales ayant subi une migration Ă©laborĂ©e Ă  partir d’autres localisations77. 46VoilĂ  qui concorde grosso modo avec la loi du dĂ©veloppement excentrique », du moins dans la mesure oĂč elle conçoit la formation du corps comme rĂ©sultant de migrations et de fusions cellulaires et tissulaires diverses. 78 A. Leroi, op. cit., 2004. 47En outre, alors que les thĂ©ories de l’anatomie transcendantale dĂ©rivent invariablement vers des gĂ©nĂ©ralitĂ©s – certes pourvues d’un peu de vĂ©ritĂ© mais incapables de restituer les subtilitĂ©s du dĂ©veloppement organique, l’attitude de Geoffroy frappe par sa modernitĂ©. Ainsi en est-il de sa quĂȘte d’une preuve des lois » de la fabrication du corps dans les nouveau-nĂ©s monstrueux les gĂ©nĂ©ticiens modernes cherchent eux aussi dans les difformitĂ©s la logique molĂ©culaire des programmes du dĂ©veloppement mais en se servant de mutants produits Ă  partir d’animaux de laboratoire comme les vers, les mouches et les souris. Alors qu’on dĂ©couvre un nombre sans cesse croissant de mutations humaines responsables de difformitĂ©s congĂ©nitales, il devient toutefois Ă©vident que celles-ci peuvent ĂȘtre utilisĂ©es pour dĂ©construire et comprendre la formation du corps78. 79 OMIM. Sept. 2004. Online Mendelian Inheritance in ... 48Au moment oĂč nous Ă©crivons le 10 septembre 2004, on a ainsi identifiĂ© les mutations responsables de la perturbation de 1 622 gĂšnes causant des difformitĂ©s congĂ©nitales79. Quand les gĂšnes responsables de l’anencĂ©phalie seront identifiĂ©s – et ils le seront Ă  coup sĂ»r, ils lĂšveront un peu le voile sur le programme gĂ©nĂ©tique qui Ă©labore la structure la plus complexe du corps humain, le cerveau. Conclusion 80 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1826, p. 233. 81 Nous remercions Dr. Hannelore Kischkewitz de l’Ägyptisches Museum und Papyrussammlung Ă  Berlin pou ... 49De l’ancienne Égypte Ă  l’époque contemporaine, le destin Ă©trange de l’anencĂ©phale fut de rĂ©vĂ©ler les lois cachĂ©es du monde. Loin de l’interprĂ©ter comme une rupture effrayante de l’ordre cosmique, les Égyptiens le classĂšrent parmi les ĂȘtres en formation et le marquĂšrent de l’empreinte du dieu Thot, capable de le rĂ©gĂ©nĂ©rer. Tenu de naĂźtre et de mourir au mĂȘme moment »80, son existence Ă©phĂ©mĂšre Ă©pargna Ă  ses semblables toute exhibition. Pour les tĂ©ratologues et biologistes du XIXe siĂšcle et d’aujourd’hui, l’anencĂ©phale dĂ©montre la qualitĂ© du monstre » comme instrument de dĂ©couvertes », dont les Ă©carts permettent de saisir la structure du vivant81. Notes 1 À cĂŽtĂ© de l’ibis, plus de trente espĂšces d’oiseaux ont ainsi Ă©tĂ© identifiĂ©es par J. Boessneck et A. von den Driesch in J. Boessneck Ă©d., Tuna el-Gebel I, Die Tiergalerien, Hildesheim, Gerstenberg, 1987, p. 56-202. 2 J. Passalacqua, Catalogue raisonnĂ© et historique des antiquitĂ©s dĂ©couvertes en Égypte, Paris, Galeries d’antiquitĂ©s Ă©gyptiennes, 1826, p. 148-149. 3 J. Passalacqua, op. cit., 1826, p. 230 ; D. Kessler, Forschungsstand bis 1983 », in J. Boessneck, op. cit., 1987, p. 6 ; D. Kessler, Die Galerie C von Tuna el-Gebel », Mitteilungen des Deutschen ArchĂ€ologischen Instituts, Abteilung Kairo, 39, 1983, p. 107-124. 4 D. Kessler, A. El Halim Nurredin, Der Tierfriedhof von Tuna el-Gebel, Stand der Grabungen bis 1993 », Antike Welt, 25, 1994, p. 252-266. 5 D. Kessler, Die heiligen Tiere und der König, I, BeitrĂ€ge zu Organisation, Kult und Theologie der spĂ€tzeitlichen Tierfriedhöfe, Wiesbaden, Harrassowitz, 1989, spĂ©c., p. 194-219 ; id. Tierkult », Lexikon der Ägyptologie, VI, Wiesbaden, Harrassowitz, 1986, col. 571-587 ; id. Tuna el Gebel », ibid., col. 797-804. 6 D. Kessler, op. cit., 1987, p. 12 ; D. Kessler, A. El Halim Nurredin, op. cit., p. 262, fig. 14. 7 É. Geoffroy Saint-Hilaire in J. Passalacqua, op. cit., 1826, p. 230. 8 I. Geoffroy Saint-Hilaire, Histoire gĂ©nĂ©rale et particuliĂšre des anomalies de l’organisation chez l’homme et les animaux, Paris, BailliĂšre, 1832-1836. 9 Histoire des Monstres, Paris, Reinwald, 1880 ; rééd. Grenoble, JĂ©rĂŽme Millon, 2002, p. 29-30. 10 Monstres. Histoire du corps et de ses dĂ©fauts, Paris, Syros, 1991, p. 26-28. 11 É. Geoffroy Saint-Hilaire, Description d’un monstre humain nĂ© avant l’ùre chrĂ©tienne et considĂ©rations sur le caractĂšre des monstres dits AnencĂ©phales », Annales des Sciences Naturelles, 6, 1825, p. 357-388, pl. 18. ; id. Communication faite Ă  l’AcadĂ©mie royale des Sciences », in J. Passalacqua, op. cit., 1826, p. 231-233. 12 W. R. Dawson, E. P. Uphill, M. L. Bierbrier, Who was who in Egyptology, London, Egypt Exploration Society, 1995 3e Ă©d., p. 321. 13 A. Erman, AusfĂŒhrliches Verzeichnis der Ägyptischen AltertĂŒmer und GipsabgĂŒsse, Berlin, W. Spemann, 1899, p. 314. Trad. Momie d’un fƓtus mal formĂ© qui Ă©tait enterrĂ© dans une tombe de singe Ă  Schmun, avec dans ses bandelettes la figurine en faĂŻence d’un singe accroupi. On a donc supposĂ© que la femme concernĂ©e avait accouchĂ© d’un singe ». 14 Communication du Dr. H. Kischkewitz. 15 Lettre du 16 Trad. Constat radiologique de l’anencĂ©phale objet 724. Âge de dĂ©veloppement environ 7 mois. En raison de la position assise forcĂ©e l’a. est difficile Ă  interprĂ©ter du point de vue radiologique. On remarque que la mĂąchoire infĂ©rieure 1 manque, d’oĂč l’aspect de tĂȘte d’oiseau de la partie supĂ©rieure de la face. CavitĂ©s orbitales anormalement grandes 2. Selon la radiographie, la mĂąchoire infĂ©rieure a pu Ă©ventuellement ĂȘtre rabattue vers le bas pour reposer sur la paroi ventrale du thorax 3. Il n’est cependant pas exclu que la mĂąchoire infĂ©rieure ait manquĂ©. À la place de la calotte crĂąnienne inachevĂ©e on trouve des dĂ©formations osseuses 4. Les vertĂšbres cervicales sont recourbĂ©es en forme de crosse 5. Les os tendres du spĂ©cimen ont probablement Ă©tĂ© fortement fracturĂ©s lors de la momification et au cours de la mise en position assise ; c’est ainsi que l’on observe nettement une fracture de l’os du fĂ©mur 6. En outre les os du tibia ont Ă©tĂ© sĂ©parĂ©s du squelette du pied 7 avec brutalitĂ© et partiellement fracturĂ©s. Les os des extrĂ©mitĂ©s supĂ©rieures ont Ă©tĂ© Ă©galement fortement disloquĂ©s lors du bandelettage. Les os paraissent trĂšs Ă©pais par rapport Ă  la taille de l’a. La colonne vertĂ©brale prĂ©sente la spina bifida typique 8 ». 17 Gorlin, M. M. Cohen, R. C. M. Hennekam, Syndromes of the Head and Neck, Oxford, Oxford University Press, 2001 4e Ă©d.. 18 Cf. R. J. Oostra, B. Baljet, R. C. M. Hennekam, Congenital anomalies in the teratological collection of the Museum Vrolik in Amsterdam, The Netherlands. IV Closure Defects of the Neural Tube », American Journal of Medical Genetics, 80, 1998, p. 60-73. 19 Voir F. Drilhon, Un fƓtus humain dans un obĂ©lisque Ă©gyptien en bois », ArchĂ©ologie et mĂ©decine. VIIe rencontres internationales d’archĂ©ologie et d’histoire, Antibes, Octobre 1986, Juan-les-Pins, APDCA, 1987, p. 499-521. 20 Cf. C. Andrews, Amulets of Ancient Egypt, London, British Museum Press, 1994, spĂ©c. p. 39-40 BĂšs, p. 49, p. 66-67 singe. 21 J. Passalacqua, op. cit., 1826, p. 232-233. 22 Man nahm wohl an, die betreffende Frau habe einen Affen geboren », op. cit. 23 E. Martin, op. cit., 2002, p. 30. 24 Par ex. Pline, Histoire naturelle, ; Tite-Live, ; ; ValĂšre Maxime Sur le topos littĂ©raire du serpent, voir A. AllĂ©ly, Les enfants mal formĂ©s et considĂ©rĂ©s comme prodigia Ă  Rome et en Italie sous la RĂ©publique », Revue des Études Anciennes, 105 1, 2003, p. 144. 25 Pline, Histoire naturelle, 26 GĂ©nĂ©ration des Animaux, ; LucrĂšce, De la nature, 27 Soranos, Des maladies des femmes, ; D. Gourevitch, Se mettre Ă  trois pour faire un bel enfant, ou l’imprĂ©gnation par le regard », L’évolution psychiatrique, 52 2, 1987, p. 559-563. Sur l’inscription de cette croyance dans la longue durĂ©e, P. Darmon, Le mythe de la procrĂ©ation Ă  l’ñge baroque, Paris, Seuil, 1981, p. 158-178. 28 P. Derchain, Anthropologie. Égypte pharaonique », in Y. Bonnefoy dir., Dictionnaire des mythologies, Paris, Flammarion, 1981, p. 87-95 ; D. Meeks, Zoomorphie et image des dieux dans l’Égypte ancienne », in C. Malamoud, Vernant dir., Le corps des dieux, Le temps de la rĂ©flexion VIII, Paris, Gallimard, 1986, p. 171-191 ; E. Hornung, Les dieux de l’Égypte. Le un et le multiple, Paris, 1986. HĂ©rodote ne s’y trompe pas en affirmant que les Égyptiens ne croient pas que le dieu de MendĂšs Pan/Khnoum a une tĂȘte de bouc, mĂȘme s’ils le figurent ainsi. 29 Sur les compĂ©tences de Thot, voir par exemple D. Kurth, Thot », Lexikon der Ägyptologie, VI, Wiesbaden, Harrassowitz, 1986, col. 498-523, spĂ©c. 505-509, sur ses rapports au cycle lunaire, Ă  la mĂ©decine et Ă  la magie. 30 L. Lortet, C. Gaillard, La faune momifiĂ©e de l’ancienne Égypte, IIe sĂ©rie, Archives du musĂ©um d’histoire naturelle de Lyon, IX, Lyon, H. Georg, 1907, p. 32-38 momies de singes ? ; id., X, 1909, p. 188-189 nouvelle interprĂ©tation momies de fƓtus humain ?. 31 S. Sauneron, J. Yoyotte, La naissance du monde selon l’Égypte ancienne », La naissance du monde Sources Orientales I, Paris, Seuil, 1959, p. 52-67. 32 Cf. l’enfant Ă  face de grenouille nĂ© en 1517 ; A. ParĂ©, Des monstres et des prodiges, ch. IX, Exemple des monstres qui se font par imagination », GenĂšve, Droz, 1971, fig. 28 le jour la conception, la mĂšre a tenu une grenouille dans la main pour guĂ©rir une fiĂšvre. 33 Je remercie C. Spieser de ces informations. Voir aussi E. Feucht, Der Weg ins Leben », in Dasen V. Ă©d., Naissance et petite enfance dans l’AntiquitĂ©, Actes du colloque de Fribourg, 28 novembre-1er dĂ©cembre 2001, Fribourg/Göttingen, Academic Press/Vandenhoeck Ruprecht, 2004, p. 33-54 ; C. Spieser, Femmes et divinitĂ©s enceintes dans l’Égypte du Nouvel Empire », ibid., p. 55-70. 34 J. Assman, Ägyptische Hymnen und Gebete, Fribourg/Göttingen, UniversitĂ€tsverlag/Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, p. 219, n° 92, 1. 62. 35 Sur le rĂŽle protecteur d’Atoum, Khnoum, Chou E. Feucht, op. cit., 2004, p. 42-43. Serket C. Spieser, Serket, protectrice des enfants Ă  naĂźtre et des dĂ©funts Ă  renaĂźtre », Revue d’Égyptologie, 52, 2001, p. 251-264. De maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, C. Spieser, Les dieux et la naissance dans l’Égypte ancienne, in Dasen V. Ă©d., Regards croisĂ©s sur la naissance et la petite enfance. Actes du cycle de confĂ©rences NaĂźtre en 2001 », Fribourg, Éditions universitaires, 2002, p. 285-296. 36 V. Dasen, Dwarfs in Ancient Egypt and Greece, Oxford, Clarendon Press, 1993, spĂ©c. p. 52-53, 67-75, 84-98 ; ead., Der Gott Bes und die Zwergin. Eine Figur zum Schutz der Mutterschaft », in S. Bickel Ă©d., In Ägyptischer Gesellschaft. Aegyptiaca der Sammlungen Bibel + Orient der UniversitĂ€t Freiburg, Freiburg, Academic Press, 2004, p. 64-69. 37 Sur ces trouvailles, voir aussi J. Baines, P. Lacovara, Burial and the dead in ancient Egyptian society. Respect, formalism, respect », Journal of Social archaeology, 2 1, 2002, p. 5-36, spĂ©c. 14. 38 B. BruyĂšre, Rapport sur les fouilles de Deir el MĂ©dineh 1934-1935, II, La nĂ©cropole de l’est, Le Caire, Institut français d’archĂ©ologie orientale, 1937 FIFAO 15, p. 11-15. Voir aussi E. Feucht, op. cit., 2004, p. 128, n. 632. 39 E. Feucht, op. cit., 2004, p. 128-130. Plus rarement, l’enfant se trouve avec le pĂšre, ou avec le couple ; ibid., p. 130. 40 Louvre E 3708, N 3959 Basse Ă©poque ; Drilhon, op. cit., 1987, p. 503-506, fig. 4-6. 41 F. Filce Leek, The Human Remains from the Tomb of Tut’ankhamun, Oxford, Griffith Institute, 1972, p. 21-23 ; Drilhon, op. cit., 1987, p. 512-514. 42 Louvre, Coll. Rousset Bey, E 5723 n° 1945 ; Coll. Clot Bey, n° 4205, 1940 ; Lortet/ Gaillard, op. cit., IX, p. 201-205. 43 Lortet/ Gaillard, op. cit., 1907 et 1909. 44 G. E. Smith, The Royal Mummies, Le Caire, Institut français d’archĂ©ologie orientale, 1912 CGC, p. 98-101 n° 61088-61089 ; R. B. Partridge, Faces of Pharaohs. Royal Mummies and Coffins from Ancient Thebes, London, The Rubicon Press, 1994, p. 195-197, fig. 174 ; F. Dunand, R. Lichtenberg, Les momies et la mort en Égypte, Paris, Errance, 1998, p. 145 et 242. 45 Trad. P. Vernus, Sagesses de l’Égypte pharaonique, Paris, Imprimerie nationale, 2001, p. 324. 46 Dasen, op. cit., 1993, p. 50, fig. 47 M. de Rochemonteix, S. Cauville, D. Devauchelle, Le temple d’Edfou, I, Le Caire, Institut français d’archĂ©ologie orientale, 1984 2e Ă©d., p. 289, pl. XXIXb. 48 Par ex. la momie d’enfant atteint d’osteogenesis imperfecta Nouvel empire ; H. K. Gray, Mummies and Human Remains. Catalogue of Egyptian Antiquities in the British Museum, I, London, 1968, p. 13-13, n° 24 ; Dasen, op. cit., 1993, p. 19-20, 323, cat. S 18. Voir aussi Ă  Deir el-Medineh le sarcophage du petit Itiky prĂ©sentant des anomalies du squelette une forme de nanisme ? ; BruyĂšre, op. cit., 1937, p. 14. 49 Histoire naturelle, 50 I. E. S. Edwards, Hieratic Papyri in the British Museum, Fourth Series, Oracular Amuletic Decrees of the Late New Kingdom, London, British Museum, 1960, p. 65-67 ; Dasen, op. cit., 1993, p. 99. 51 T. Appel, The Cuvier-Geoffroy Debate French Biology in the Decade before Darwin, Oxford, Oxford University Press, 1987 ; H. Le Guyader, Geoffroy Saint-Hilaire un naturaliste visionnaire, Paris, Belin, 1998. 52 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822 ; 1825 ; I. Geoffroy Saint-Hilaire, 1836 p. 61-68. 53 Voir bibliographie dans I. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1836 ; p. 61-68 ; I. Geoffroy Saint-Hilaire, Vie, travaux et doctrine scientifique d’É. Geoffroy Saint-Hilaire, Paris, Strasbourg, P. Bertrand-Levrault, 1847, p. 459-464. 54 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825, p. 68. 55 I. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1836, p. 63. 56 I. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822, p. 523-529. 57 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825. 58 Descartes, La description du corps humain ; De la formation de l’animal », 1648, in C. Adam, P. Tannerry Ă©d., ƒuvres de Descartes, Paris, Vrin, 1974. 59 I. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822. 60 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822, p. 88-89. 61 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822, p. 88. 62 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822 ; 1825 ; 1826. 63 De Beer, op. cit., 1937, p. 7-15. 64 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1822 ; 1825, 373-375. 65 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825, p. 371-372. 66 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825, p. 388. 67 E. Serres, Recherches d’anatomie transcendante et pathologique. ThĂ©orie des formations et des dĂ©formations organiques, appliquĂ©e Ă  l’anatomie de Christina, et de la duplicitĂ© monstrueuse, Paris, Firmin Didot, 1832, p. 4. 68 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1825, p. 381-386. 69 L. D. Botto et al., Neural tube defects », New England Journal of Medicine, 341, 1999, p. 1509-1519. 70 J. Coppa, Greene, J. N. Murdoch, The genetic basis of mammalian neurulation », Nature Genetics Reviews, 4, 2003, p. 784-793. 71 M. Lucock, Folic Acid nutritional biochemistry, molecular biology and role in disease processes », Molecular Genetics and Metabolism, 71, 2000, p. 121-138. 72 A. M. Leroi, Mutants On the Form, Variety and Errors of the Human Body, London, Harper Collins, 2004. 73 G. R. De Beer, The Development of the Vertebrate Skull, Oxford, Clarendon, 1937. 74 T. Appel, The Cuvier-Geoffroy Debate French Biology in the Decade before Darwin, Oxford, Oxford University Press, 1987 ; H. Le Guyader, op. cit. 75 B. I. Balinsky, An Introduction to Embryology, Philadelphia, W. B. Saunders, 1965 2e Ă©d., p. 351-352. 76 T. Lufkin et al., Homeotic transformation of the occipital bones of the skull by ectopic expression of a homeobox gene », Nature, 356, 1992, p. 835-841. 77 B. I. Balinsky, op. cit., p. 351-352. 78 A. Leroi, op. cit., 2004. 79 OMIM. Sept. 2004. Online Mendelian Inheritance in USA. 80 É. Geoffroy Saint-Hilaire, op. cit., 1826, p. 233. 81 Nous remercions Dr. Hannelore Kischkewitz de l’Ägyptisches Museum und Papyrussammlung Ă  Berlin pour toutes ses informations sur le destin de la momie et les illustrations ainsi que Jeremy Pollard pour nous avoir autorisĂ©s Ă  reproduire leurs photographies ; merci aussi Ă  Saskia Bode pour son aide lors de nos recherches. Les recherches d’Armand M. Leroi ont Ă©tĂ© soutenues par des subsides du Biology and Biotechnology Research Council. Pourfaire Ă©cho et en complĂ©ment de la biographie de Hayao Miyazaki, j'ai choisi de vous proposer Ă©galement l'historique prĂ©cis d'un des plus grands studios de l'histoire du cinĂ©ma d'animation japonais.. En japonais, Ghibli s’écrit ゾブăƒȘ et se prononce « djibli ». Processus de crĂ©ation. En 1983 la sociĂ©tĂ© Tokuma Shoten, Ă©ditrice du magazine d’animation Animage, Parse error syntax error, unexpected T_STRING, expecting T_OLD_FUNCTION or T_FUNCTION or T_VAR or '}' in /home/artsim/www/francaisim/wp-includes/pomo/ on line 61
Planche53 : l'enlÚvement de Mortimer décalque celui de Tournesol dans Les Sept Boules de cristal: on retrouve sa pipe (cf. le parapluie de Tournesol) ; la case 10 reprend les éléments de la case 3 de la planche 42 d'Hergé : l'herbe piétinée, le geste de la main de Blake, etc. ; et Mortimer, comme Tournesol, est transporté dans une conduite intérieur beige (comparer la
1 L’identitĂ© du macrocosme et du microcosme est semble-t-il ce qui a fascinĂ© Marguerite Yourcenar da ... 1ƒuvre mĂ©ditative autant que narrative, les MĂ©moires d’Hadrien ont assez d’ampleur pour embrasser tout un empire, assez de hauteur pour relier l’avenir au souvenir. Si la profondeur du texte tient Ă  la complexitĂ© du feuilletage gĂ©nĂ©rique et Ă  la densitĂ© de l’expĂ©rience du protagoniste, elle relĂšve Ă©galement d’un vertigineux jeu de miroirs qui confine Ă  la mise en abĂźme. L’histoire de l’homme dans l’empire est aussi l’histoire de l’un dans le tout. Tout nous Ă©chappe, et tous, et nous-mĂȘme », concĂšde Marguerite Yourcenar dans les Carnets de notes p. 331. Dans ce demi-aveu de faiblesse de l’écrivain rĂ©side sans doute la clef de sa force la certitude humaniste qu’il n’existe pas de solution de continuitĂ© de tout » Ă  nous-mĂȘme », que le microcosme d’un ĂȘtre peut reflĂ©ter le macrocosme des hommes, et le microcosme d’un livre, le macrocosme du monde1. Aussi les MĂ©moires d’Hadrien peuvent-ils se lire comme une Ɠuvre rĂ©flexive, voire autorĂ©flexive. Dans le livre, la bibliothĂšque 2 Sur les rapports de Marguerite Yourcenar et Jorge Luis Borges, voir Achmy Halley, Marguerite Yourc ... 2Grande admiratrice de Borges2, auquel elle rendit visite six jours avant qu’il ne meure, Marguerite Yourcenar avait comme lui la fascination du labyrinthe Le Labyrinthe du monde, tel est le titre qu’elle donne Ă  sa trilogie familiale, et le territoire que ne cesse d’explorer son Ɠuvre. Comme Borges toujours, elle sait qu’une bibliothĂšque est tout ensemble un monde et un labyrinthe ; nouvelle Ariane, elle invite le lecteur Ă  suivre le fil des lectures d’Hadrien, qui en disent aussi beaucoup sur son propre monde de livres. La bibliothĂšque d’Hadrien 3 L’une des meilleures maniĂšre de recrĂ©er la pensĂ©e d’un homme reconstituer sa bibliothĂšque » dans cette remarque des Carnets de notes p. 327, Marguerite Yourcenar livre l’un des secrets de fabrication » de son ouvrage, qui n’a cependant rien de la mĂ©thode servilement appliquĂ©e. La nĂ©cessitĂ© de cette reconstitution s’est, Ă  l’en croire, imposĂ©e Ă  elle comme en dĂ©pit d’elle Durant des annĂ©es, d’avance, et sans le savoir, j’avais ainsi travaillĂ© Ă  remeubler les rayons de Tibur » ibid. De ces recherches mi-archĂ©ologiques, mi-bibliophiliques, les MĂ©moires d’Hadrien portent la trace. Ils sont jalonnĂ©s d’allusion aux lectures du protagoniste, qui agissent comme autant d’élĂ©ments de caractĂ©risation d’Hadrien. Mais dans les goĂ»ts, les dĂ©goĂ»ts et les engouements littĂ©raires du personnage se lisent aussi, souvent en creux, certains choix littĂ©raires de l’auteur. 4Que les prĂ©fĂ©rences littĂ©raires d’un individu contribuent Ă  le dĂ©finir, la diĂ©gĂšse le suggĂšre comme les paratextes. Ainsi, lorsqu’Hadrien veut caractĂ©riser Lucius, il Ă©voque le poĂšte favori de l’adolescent, dont le nom seul suffit Ă  dessiner l’audace sĂ©duisante du jeune patricien Martial Ă©tait son Virgile il rĂ©citait ses poĂ©sies lascives avec une effronterie charmante » p. 122. Mais Lucius est surtout saisi Ă  travers le prisme du regard et des lectures d’Hadrien trĂšs vite, c’est Ă  ses propres goĂ»ts que celui-ci recourt pour complĂ©ter le portrait, et il affirme ainsi comme incidemment sa prĂ©fĂ©rence pour la poĂ©sie amoureuse, qu’elle appartienne aux temps passĂ© de la GrĂšce, avec Callimaque, ou qu’elle lui soit contemporaine, avec Straton L’image de Lucius adolescent se confine Ă  des recoins plus secrets du souvenir un visage, un corps, l’albĂątre d’un teint pĂąle et rose, l’exact Ă©quivalent d’une Ă©pigramme amoureuse de Callimaque, de quelques lignes nettes et nues du poĂšte Straton » ibid. 5TrĂšs tĂŽt dans sa lettre Ă  Marc AurĂšle, Hadrien a en effet affirmĂ© sa passion de la poĂ©sie. Épris de rhĂ©torique, il dit avoir Ă©tĂ© plus profondĂ©ment marquĂ© encore par ses lectures poĂ©tiques. L’amateur de la vie et de ses plaisirs est mĂȘme alors tentĂ© de donner la prĂ©sĂ©ance Ă  la littĂ©rature La lecture des poĂštes eut des effets plus bouleversants encore ; je ne suis pas sĂ»r que la dĂ©couverte de l’amour soit nĂ©cessairement plus dĂ©licieuse que celle de la poĂ©sie. Celle-ci me transforma l’initiation Ă  la mort ne m’introduira pas plus loin dans un autre monde que tel crĂ©puscule de Virgile. Plus tard, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© la rudesse d’Ennius, si prĂšs des origines sacrĂ©es de la race, ou l’amertume savante de LucrĂšce, ou, Ă  la gĂ©nĂ©reuse aisance d’HomĂšre, l’humble parcimonie d’HĂ©siode. J’ai goĂ»tĂ© surtout les poĂštes les plus compliquĂ©s et les plus obscurs, qui obligent ma pensĂ©e Ă  la gymnastique la plus difficile, les plus rĂ©cents ou les plus anciens, ceux qui me frayent des voies toutes nouvelles ou m’aident Ă  retrouver les pistes perdues. Mais, Ă  cette Ă©poque, j’aimais surtout dans l’art des vers ce qui tombe le plus immĂ©diatement sous les sens, le mĂ©tal poli d’Horace, Ovide et sa mollesse de chair. p. 44 6Dans cette Ă©numĂ©ration, Marguerite Yourcenar rĂ©unit bien des traits caractĂ©ristiques de son personnage, changeant, variable, attirĂ© Ă  la fois par la puretĂ© de l’expression et la complexitĂ© de l’esprit humain, aimantĂ© par les extrĂȘmes, fascinĂ© par la GrĂšce et attachĂ© Ă  Rome. Mais ce qu’Hadrien Ă©prouve au fil de ses lectures reflĂšte Ă©galement ce que Marguerite Yourcenar offre Ă  ses lecteurs une Ɠuvre narrative, comme celles des poĂštes Ă©piques, mythique, comme celle d’HĂ©siode et mĂ©ditative, comme celle de LucrĂšce, mais aussi une ouverture vers un autre monde » d’amour et de mort, que l’on pĂ©nĂštre au prix, sinon d’une gymnastique difficile », du moins d’un effort de comprĂ©hension, et dans lequel on parcourt autant de voies nouvelles » que de pistes perdues ». Ces pistes perdues », l’empereur les explore de nouveau aprĂšs la mort d’AntinoĂŒs, et les Ă©voque dans une mĂ©ditation sur ses lectures qui constitue en quelque sort le double endeuillĂ© de celle de Varius, multiplex, multiformis ». Ses choix se sont alors resserrĂ©s, ses goĂ»ts se sont muĂ©s en obsessions, mais l’auteur entremĂȘle de nouveau les caractĂ©ristiques de son personnage et celles de sa propre Ă©criture Les poĂštes aussi m’occupĂšrent ; j’aimais Ă  conjurer hors d’un passĂ© lointain ces quelques voix pleines et pures. Je me fis un ami de ThĂ©ognis, l’aristocrate, l’exilĂ©, l’observateur sans illusion et sans indulgence des affaires humaines, toujours prĂȘt Ă  dĂ©noncer ces erreurs et ces fautes que nous appelons nos maux. Cet homme avait goĂ»tĂ© aux dĂ©lices poignantes de l’amour ; [...] l’immortalitĂ© qu’il promettait au jeune homme de MĂ©gare Ă©tait mieux qu’un vain mot, puisque ce souvenir m’atteignait Ă  une distance de plus de six siĂšcles. Mais, parmi les anciens poĂštes, Antimaque surtout m’attacha ; j’apprĂ©ciais ce style obscur et dense, ces phrases amples et pourtant condensĂ©es Ă  l’extrĂȘme, grandes coupes de bronze emplies d’un vin lourd. [...] Il avait passionnĂ©ment pleurĂ© sa femme LydĂ© ; il avait donnĂ© le nom de cette morte Ă  un long poĂšme oĂč trouvaient place toutes les lĂ©gendes de douleur et de deuil. Cette LydĂ©, que je n’aurais peut-ĂȘtre pas remarquĂ©e vivante, devenait pour moi une figure familiĂšre, plus chĂšre que bien des personnages fĂ©minins de ma propre vie. Ces poĂšmes, pourtant presque oubliĂ©s, me rendaient peu Ă  peu ma confiance en l’immortalitĂ©. p. 235-236 7Les styles respectifs de ThĂ©ognis et Antimaque ne sont pas sans rapport avec celui que Marguerite Yourcenar prĂȘte Ă  Hadrien, sans illusion et sans indulgence », dense », ample et pourtant condensĂ© Ă  l’extrĂȘme », et de mĂȘme que ThĂ©ognis et Antimaque assurent l’immortalitĂ© de Cyrnus et LydĂ©, Marguerite Yourcenar fait revivre Hadrien et AntinoĂŒs, les rend, le temps d’une lecture, plus familiers aux lecteurs que leurs contemporains. 3 Marguerite Yourcenar elle-mĂȘme dĂ©signe trĂšs clairement MĂ©moires d’Hadrien comme une Ɠuvre poĂ©tique ... 4 Sur ce sujet, voir RĂ©my Poignault, Hadrien et le monde des lettres », dans L’AntiquitĂ© dans l’Ɠu ... 5 Les messages affluĂšrent ; PancratĂšs m’envoya son poĂšme enfin terminĂ© ; ce n’était qu’un mĂ©diocre ... 8La poĂ©sie, en particulier amoureuse ou Ă©lĂ©giaque, occupe ainsi une large part de la bibliothĂšque d’Hadrien ; c’est encore Ă  ce genre qu’il se rĂ©fĂšre pour retracer l’atmosphĂšre qui enveloppe ses liaisons adultĂšres avec des patriciennes C’était le monde de Tibulle et de Properce une mĂ©lancolie, une ardeur un peu factice, mais entĂȘtante comme une mĂ©lodie sur le mode phrygien » p. 74. Le théùtre en revanche semble tenir peu de place dans son paysage littĂ©raire hormis le texte de Lycophron lu lors de la rencontre avec AntinoĂŒs p. 169, l’unique Ă©vocation d’une piĂšce de théùtre rĂ©side dans l’anecdote sinistre de la tĂȘte de Crassus lancĂ©e de main en main comme une balle au cours d’une reprĂ©sentation des Bacchantes d’Euripide, qu’un roi barbare frottĂ© d’hellĂ©nisme donnait au soir d’une victoire » p. 93 – la catharsis fait alors totalement dĂ©faut, puisque Crassus dĂ©capitĂ© redouble l’horreur de PenthĂ©e dĂ©membrĂ©. L’histoire, en revanche, figure en bonne place dans les lectures d’Hadrien. L’entreprise historique, mĂȘme menĂ©e sans gĂ©nie, lui semble toujours estimable, ainsi qu’en tĂ©moigne sa remarque Ă  propos de PhlĂ©gon Le style de PhlĂ©gon est fĂącheusement sec, mais ce serait dĂ©jĂ  quelque chose que de rassembler et d’établir les faits » p. 235. Au mĂȘme titre que la poĂ©sie, l’histoire est dotĂ©e d’une puissance Ă©motionnelle telle que les vies lues transcendent l’expĂ©rience vĂ©cue ; la rencontre avec Plutarque, bien que relatĂ©e sur le mode pudique de l’allusion, constitue ainsi Ă  n’en pas douter l’un des sommets de la vie littĂ©raire d’Hadrien, et peut-ĂȘtre de toute son existence À ChĂ©ronĂ©e, oĂč j’étais allĂ© m’attendrir sur les antiques couples d’amis du Bataillon SacrĂ©, je fus deux jours l’hĂŽte de Plutarque. J’avais eu mon Bataillon SacrĂ© bien Ă  moi, mais, comme il m’arrive souvent, ma vie m’émouvait moins que l’histoire » p. 87. PoĂ©sie, histoire, les genres favoris de l’empereur sont donc ceux-lĂ  mĂȘme qui constituent la matiĂšre des MĂ©moires d’Hadrien3. Si Marguerite Yourcenar cite les auteurs qu’a vĂ©ritablement lus son personnage, et qu’elle-mĂȘme a longuement frĂ©quentĂ©s au cours de sa gigantesque entreprise de reconstruction documentĂ©e4, elle n’en met pas moins l’accent sur certaines prĂ©fĂ©rences, ou certains aspects qui font signe vers sa propre Ă©criture. Hadrien, laisse-t-elle entendre, n’a guĂšre trouvĂ© de poĂšte ou d’historien Ă  sa mesure pour chanter ses Ă©motions ou retracer son rĂšgne les textes composĂ©s Ă  l’occasion de la mort d’AntinoĂŒs sont mĂ©diocres5, le style de PhlĂ©gon laisse Ă  dĂ©sirer. Aussi devient-elle ce patient biographe du futur dont, non sans ironie, elle fait dĂ©crire Ă  Hadrien la tĂąche difficile Les SuĂ©tones de l’avenir auront fort peu d’anecdotes Ă  rĂ©colter sur moi », prĂ©sage-t-il en se fĂ©licitant de la discrĂ©tion de ses proches p. 140 ; une fois n’est pas coutume, les talents oraculaires d’Hadrien se trouvent dĂ©mentis. 9Tout concorde dans la bibliothĂšque rĂ©inventĂ©e par Marguerite Yourcenar les Ă©vĂ©nements de la vie d’Hadrien et ceux que retracent ses lectures, les goĂ»ts du personnage et les procĂ©dĂ©s de sa crĂ©atrice. Et c’est prĂ©cisĂ©ment dans des phĂ©nomĂšnes d’étroites correspondances, gages de vĂ©ritĂ©, que rĂ©side le critĂšre Ă  l’aune duquel l’empereur juge de la qualitĂ© d’une Ɠuvre littĂ©raire. De PolĂ©mon notamment, il aime l’authenticitĂ©, perceptible dans l’inventio comme dans l’actio. La rhĂ©torique chez lui n’est pas un masque mais un rĂ©vĂ©lateur Le rhĂ©teur PolĂ©mon, le grand homme de LaodicĂ©e, qui rivalisait avec HĂ©rode d’éloquence, et surtout de richesses, m’enchanta par son style asiatique, ample et miroitant comme les flots d’un Pactole cet habile assembleur de mots vivait comme il parlait, avec faste » p. 176. De mĂȘme, son jeu est on ne peut plus sĂ©rieux Il y avait de l’acteur en PolĂ©mon, mais les jeux de physionomie d’un grand comĂ©dien traduisent parfois une Ă©motion Ă  laquelle participent tout une foule, tout un siĂšcle » p. 192. À l’inverse, dans la colĂšre que JuvĂ©nal fait naĂźtre chez l’empereur, le dĂ©goĂ»t de l’hypocrisie le dispute au sentiment de l’offense JuvĂ©nal osa insulter dans une de ses Satires le mime PĂąris, qui me plaisait. J’étais las de ce poĂšte enflĂ© et grondeur ; j’apprĂ©ciais peu son mĂ©pris pour l’Orient et la GrĂšce, son goĂ»t affectĂ© pour la prĂ©tendue simplicitĂ© de nos pĂšres, et ce mĂ©lange de descriptions dĂ©taillĂ©es du vice et de dĂ©clamations vertueuses qui titille les sens du lecteur tout en rassurant son hypocrisie. p. 249 10Trop conscient sans doute de ses propres faiblesses il ne cache pas que son attachement pour PĂąris contribue Ă  le dĂ©goĂ»ter de JuvĂ©nal, Hadrien ne recourt lui-mĂȘme que trĂšs rarement au registre de la satire, si ce n’est, prĂ©cisĂ©ment, pour railler JuvĂ©nal, ou pour dresser la galerie de portraits lĂ©gĂšrement caricaturale des hommes de lettres dont il s’est entourĂ© p. 139-140 – mais la raillerie se nuance alors de tendresse. Un personnage en particulier cristallise son mĂ©pris de la littĂ©rature inauthentique il s’agit de la bien nommĂ©e Julia Balbilla. Le nom de cette authentique poĂ©tesse proche de Sabine Ă©voque irrĂ©sistiblement un babil ou un balbutiement au mieux insignifiant, au pire irritant. La premiĂšre mention que fait d’elle Hadrien est dĂ©jĂ  teintĂ©e de condescendance [Sabine] ne s’entourait que de femmes de lettres inoffensives. La confidente du moment, une certaine Julia Balbilla, faisait assez bien les vers grecs » p. 206. Mais bientĂŽt, l’inoffensive faiseuse se mĂ©tamorphose en personnage repoussoir, dont la prolixitĂ© est signe d’inauthenticitĂ©. Devant le colosse de Memnon, l’inĂ©puisable Julia Balbilla enfant[e] sur-le-champ une sĂ©rie de poĂšmes » p. 222 qui contrastent avec l’inscription minimaliste laissĂ©e par Hadrien. Celui-ci grave en grec une forme abrĂ©gĂ©e et familiĂšre de son nom » p. 223 et, lĂ  oĂč les vers de Julia Balbilla semblaient n’ĂȘtre que vacuitĂ©, cette inscription Ă  proprement parler lapidaire suffit Ă  faire naĂźtre la conscience de l’instant et le bouleversant souvenir des vingt ans qu’AntinoĂŒs n’atteindra jamais. Au seuil de la mort, Hadrien se remĂ©more sans le nommer cet Ă©pisode dĂ©chirant Audivi voces divinas... La sotte Julia Balbilla croyait entendre Ă  l’aurore la voix mystĂ©rieuse de Memnon j’ai Ă©coutĂ© les bruissements de la nuit » p. 309. L’obscur chant du monde peut ĂȘtre Ă  de certains instants une poĂ©sie plus limpide que le verbe des hommes, parce qu’il dit sans dĂ©tours ni faux-semblants l’exactitude de ce qui est. 11Un accord, tel semble ĂȘtre ce que recherche Hadrien dans le dĂ©dale de ses lectures – accord avec l’émotion, avec le monde, avec soi-mĂȘme, avec d’autres hommes l’auteur, mais aussi ceux qui ont vĂ©cu et que les mots font renaĂźtre. Un accord, c’est Ă©galement ce que compose Marguerite Yourcenar en parcourant la bibliothĂšque de l’empereur perdu, tant chacune des allusions intertextuelles qu’elle mĂ©nage est lourde de rĂ©sonnances. Ainsi la rencontre avec AntinoĂŒs, roman ou poĂšme Ă©lĂ©giaque vĂ©cu par Hadrien, est-elle placĂ©e sous le signe de la littĂ©rature On lut ce soir-lĂ  une piĂšce assez abstruse de Lycophron que j’aime pour ses folles juxtapositions de sons, d’allusions et d’images, son complexe systĂšme de reflets et d’échos » p. 169. Ce n’est certes pas le fait du hasard si cette notation prend place Ă  l’orĂ©e du SƓculum aureum », Ă  l’instant oĂč le rĂ©cit dĂ©ploie au plus haut degrĂ© sa poĂ©sie de sons, d’allusions et d’images » alors qu’elle va faire apparaĂźtre AntinoĂŒs au bord d’une source consacrĂ©e Ă  Pan » ibid., c’est-Ă -dire Ă  Tout, Marguerite Yourcenar fait rĂ©sonner l’une des notes Ă  la fois secrĂštes et claires du complexe systĂšme de reflets et d’échos » que sont les MĂ©moires d’Hadrien. La bibliothĂšque de Marguerite Yourcenar 12Il est un autre moment du SƓculum aureum » oĂč Hadrien et AntinoĂŒs Ă©coutent de concert un texte bruissant d’échos. Alors qu’il relate ses expĂ©riences magiques et ses interrogations sur la nature de l’ñme, l’empereur se souvient Vers la mĂȘme Ă©poque, PhlĂ©gon, qui collectionnait les histoires de revenants, nous raconta un soir celle de La FiancĂ©e de Corinthe dont il se porta garant. Cette aventure oĂč l’amour ramenait une Ăąme sur la terre, et lui rendait temporairement un corps, Ă©mut chacun de nous, mais Ă  des profondeurs diffĂ©rentes. Plusieurs tentĂšrent d’amorcer une expĂ©rience analogue [...]. Aucune de ces tentatives ne rĂ©ussit. Mais d’étranges portes s’étaient ouvertes. p. 199 6 FantĂŽmes et statues sont explicitement mis en relation lors de la rencontre de la Sibylle bretonne ... 13L’épisode est troublant en ce qu’il prĂ©figure les efforts Ă  venir d’Hadrien pour ramener Ă  la vie le fantĂŽme d’AntinoĂŒs par l’entremise de la statuaire6 ; il l’est Ă©galement en ce qu’il Ă©veille chez l’auteur et ses lecteurs des souvenirs nĂ©cessairement Ă©trangers au narrateur. Marguerite Yourcenar fait Ă©tat de sa surprise dans les Carnets de notes, oĂč elle avoue Il faut s’enfoncer dans les recoins d’un sujet pour dĂ©couvrir les choses les plus simples, et de l’intĂ©rĂȘt littĂ©raire le plus gĂ©nĂ©ral. C’est seulement en Ă©tudiant PhlĂ©gon, secrĂ©taire d’Hadrien, que j’ai appris qu’on doit Ă  ce personnage oubliĂ© la premiĂšre et l’une des plus belles entre les grandes histoires de revenants, cette sombre et voluptueuse FiancĂ©e de Corinthe dont se sont inspirĂ©s Goethe et l’Anatole France des Noces corinthiennes p. 338-339. 14La superposition dans l’esprit du lecteur des textes de PhlĂ©gon, d’Anatole France et surtout de Goethe, dont le nom est spontanĂ©ment associĂ© au titre de La FiancĂ©e de Corinthe, ouvre Ă  son tour d’étranges portes », et fait partager au lecteur du XXe siĂšcle l’émoi Ă©prouvĂ© par Hadrien et ses proches de mĂȘme que l’apparition de la morte amoureuse, l’intertextualitĂ© brouille les frontiĂšres temporelles, et offre un moyen de rĂ©trĂ©cir Ă  son grĂ© la distance des siĂšcles » p. 331. 7 Dans Les Yeux ouverts, Marguerite Yourcenar dit plus explicitement encore son admiration pour Prou ... 8 Pierre Corneille, Sertorius, acte III, scĂšne 1, dans Théùtre complet II, Pierre LiĂšvre et Roger Ca ... 15Dans la bibliothĂšque des MĂ©moires d’Hadrien, les volumens du narrateur cohabitent en effet avec les volumes de l’auteur, çà et lĂ  discrĂštement glissĂ©s sur les rayonnages du temps. Au-delĂ  de ses recherches historiques, les lectures de Marguerite Yourcenar nourrissent nĂ©cessairement son Ă©criture, comme en tĂ©moignent les Carnets de notes, qui Ă©voquent abondamment les auteurs dans le sillage desquels elle se situe, et notamment Proust ; la reconstitution d’un passĂ© perdu » qu’elle lui attribue p. 330 n’est sans doute pas tout Ă  fait Ă©trangĂšre Ă  cette recherche d’un temps perdu que sont les MĂ©moires d’Hadrien7. De tels souvenirs de lecture ont leur place dans les paratextes et les commentaires ; on s’attendrait en revanche moins Ă  les trouver entremĂȘlĂ©s au tissu mĂȘme de la lettre d’Hadrien, dont l’auteur cherchait en quelque sorte Ă  s’absenter, affirmant sa volontĂ© de s’interdire les ombres portĂ©es ; ne pas permettre que la buĂ©e d’une haleine s’étale sur le tain du miroir » p. 332. Des rĂ©miniscences littĂ©raires affleurent pourtant parfois en surimpression sur l’image d’Hadrien, sans jamais la ternir ni la troubler toutefois, tant elles sont discrĂštes. Un seul effet de citation clairement identifiable fait employer Ă  l’empereur des mots d’un autre Ăąge Rome n’est plus dans Rome elle doit pĂ©rir ou s’égaler dĂ©sormais Ă  la moitiĂ© du monde », affirme Hadrien en prĂ©ambule Ă  l’exposĂ© de ses principes politiques p. 124. Le roman rĂ©sonne alors des accents classiques de la cĂ©lĂšbre rĂ©plique de Sertorius Rome n’est plus dans Rome, elle est toute oĂč je suis8 ». L’allusion est ludique Marguerite Yourcenar fait rĂ©pĂ©ter Ă  un empereur du IIe siĂšcle les paroles d’un Romain de la RĂ©publique Ă©crites quinze siĂšcles aprĂšs lui. La mise Ă  distance est nette lĂ  oĂč Sertorius affirme porter Rome en lui, Hadrien la veut universelle. Vertiges de l’espace et du temps, le jeu de la citation dit l’éternitĂ© de Rome dans la mĂ©moire humaine. 16C’est Ă©galement cette permanence de l’Antique que suggĂšre le choix fait par Marguerite Yourcenar de traduire une citation de Virgile par ce qui est, peu ou prou, une phrase de Gide, ainsi que le remarque RĂ©my Poignault 9 RĂ©my Poignault, L’AntiquitĂ© dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar, op. cit., t. II, p. 433. Quand, aprĂšs avoir Ă©voquĂ© les portraits par lesquels il a essayĂ© d’immortaliser AntinoĂŒs, Hadrien explique sa conception esthĂ©tique du pouvoir – rĂ©aliser un idĂ©al de beautĂ©, et par consĂ©quent d’harmonie et de justice alliĂ©es Ă  la force –, il cite encore, mais sans se rĂ©fĂ©rer Ă  son auteur, un extrait de Virgile, empruntĂ© cette fois aux Bucoliques Trahit sua quemque uoluptas chacun est entraĂźnĂ© par son plaisir », qu’il rend par un Ă  chacun sa pente » qui fait Ă©cho Ă  la phrase des Faux-Monnayeurs 11 est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant » ; dans l’églogue virgilienne, Corydon, dĂ©plorant qu’Alexis ne partageĂąt pas son amour, prononçait ces mots avec quelque amertume, tandis qu’Hadrien exprime en toute sĂ©rĂ©nitĂ© son idĂ©al de beautĂ© glissant des Ɠuvres d’art – et de l’amour – Ă  la politique9. 17Le glissement subtil d’un intertexte Ă  l’autre traduit le succĂšs des vƓux d’immortalitĂ© d’Hadrien au fil du temps et des livres, les mots se mĂȘlent, se mĂ©tamorphosent au grĂ© de la pente » de ceux qui les prononcent, mais, mutatis mutandis, se survivent. S’élabore ainsi un imaginaire mythique des amours antiques, sĂ©dimentĂ© autour de la figure d’AntinoĂŒs, et qui se manifeste lorsque Marguerite Yourcenar se souvient de ceux qui, avant elle, ont fait revivre la silhouette du favori 10 Ibid., p. 480. L’image d’AntinoĂŒs venant en canot Ă  ce qui allait ĂȘtre sa derniĂšre soirĂ©e et recevant de Lucius une guirlande doit peut-ĂȘtre quelque chose au tableau de Dorian Gray imaginĂ© par Basil Hallward dans le roman d’Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, couronnĂ© de grandes fleurs de lotus, Ă  la proue de la barque d’Adrien le regard perdu au loin par-delĂ  les eux verdĂątres du Nil », comme la suite mĂȘme du texte d’Oscar Wilde fait penser Ă  la scĂšne d’AntinoĂŒs se tenant au bord d’une vasque Vous vous ĂȘtes penchĂ© ensuite sur un lac tranquille Ă  l’orĂ©e d’un bois grec et vous avez contemplĂ© dans les eaux calmes et argentĂ©es le reflet merveilleux de votre beautĂ©10. » 18Oscar Wilde avait fait de Dorian Gray un nouvel AntinoĂŒs, idĂ©al de beautĂ© dorienne » ; imperceptiblement, Marguerite Yourcenar fait en retour d’AntinoĂŒs un nouveau Dorian, celui qui jamais ne vieillit. 11 Voir Jean-Marcel Paquette, L’autre genre la forme de l’essai dans MĂ©moires d’Hadrien », Bullet ... 12 Voir Henri Vergniolle de Chantal, MĂ©moires d’Hadrien, L’ƒuvre au noir, Un homme obscur un imag ... 19MĂȘme lorsqu’ils s’affranchissent de toute rĂ©fĂ©rence Ă  l’AntiquitĂ©, les souvenirs des lectures de Marguerite Yourcenar ajoutent une densitĂ© temporelle au rĂ©cit d’Hadrien, et rappellent que la substance, la structure humaine ne changent guĂšre » p. 333. Rien d’étonnant par exemple Ă  trouver en Hadrien, dont la lettre est aussi un essai11 » consacrĂ© Ă  la connaissance de l’homme et de soi, un peu de Montaigne. L’admiration de Marguerite Yourcenar pour ce dernier est bien connue il compte parmi les auteurs qu’elle dit relire rĂ©guliĂšrement YO, p. 234, la bibliothĂšque de Petite Plaisance recelait plusieurs Ă©ditions des Essais, et lorsqu’elle s’attarde sur le goĂ»t du nomadisme qui caractĂ©rise l’empereur, elle paraĂźt se remĂ©morer l’éloge des voyages que fait l’essayiste12. Comme lui, Hadrien articule en effet libertĂ© de mouvement, libertĂ© du corps, et libertĂ© de l’esprit [...] la grande ressource Ă©tait avant tout l’état parfait du corps une marche forcĂ©e de vingt lieu n’était rien, une nuit sans sommeil n’était considĂ©rĂ©e que comme une invitation Ă  penser. Peu d’hommes aiment longtemps le voyage, ce bris perpĂ©tuel de toutes les habitudes, cette secousse sans cesse donnĂ©e Ă  tous les prĂ©jugĂ©s. Mais je travaillais Ă  n’avoir nul prĂ©jugĂ© et peu d’habitudes. l’apprĂ©ciais la profondeur dĂ©licieuse des lits, mais aussi le contact et l’odeur de la terre nue, les inĂ©galitĂ©s de chaque segment de la circonfĂ©rence du monde. l’étais fait Ă  la variĂ©tĂ© des nourritures, gruau britannique ou pastĂšque africaine. Il m’arriva un jour de goĂ»ter au gibier Ă  demi pourri qui fait les dĂ©lices de certaines peuplades germaniques j’en vomis, mais l’expĂ©rience fut tentĂ©e. p. 137 20DĂ©tails triviaux et presque incongrus, les expĂ©riences culinaires en pays Ă©tranger sont en vĂ©ritĂ© l’indice d’un esprit de tolĂ©rance sans doute directement empruntĂ© Ă  Montaigne Outre ces raisons, le voyager me semble un exercice profitable. L’ame y a une continuelle exercitation, Ă  remarquer des choses incogneuĂ«s et nouvelles ; et je ne sçache point meilleure escolle, comme j’ay dict souvent, Ă  former la vie que de luy proposer incessamment la diversitĂ© de tant d’autres vies, fantaisies et usances, et lui faire gouster une si perpetuelle variĂ©tĂ© de formes de nostre nature. Le corps n’y est ny oisif ny travaillĂ©, et cette modĂ©rĂ©e agitation le met en haleine. Je me tien Ă  cheval sans sans demonter, tout choliqueux que je suis, et sans m’y ennuyer, huict et dix heures [...]. 13 Michel de Montaigne, Les Essais, livre III, chap. ix De la vanitĂ© », Pierre Villey Ă©d., Pari ... J’ay la complexion du corps libre, et le goust commun, autant qu’homme du monde. La diversitĂ© des façons d’une nation Ă  autre, ne me touche que par le plaisir de la variĂ©tĂ©. Chaque usage a sa raison. Soyent des assiettes d’estain, de bois, de terre, bouilly ou rosty, beurre ou huyle de nois ou d’olive, chaut ou froit, tout m’est un, et si un que, vieillissant, j’accuse cette genereuse facultĂ©, et auroy besoin que la dĂ©licatesse et le chois arrestat l’indiscretion de mon appetit et par fois soulageat mon estomac. Quand j’ay estĂ© ailleurs qu’en France et que, pour me faire courtoisie, on m’a demandĂ© si je vouloy estre servy Ă  la Françoise, je m’en suis mocquĂ© et me suis toujours jettĂ© aux tables les plus espesses d’étrangers13. 21La libertĂ© commune aux deux voyageurs que sont Hadrien et Montaigne, Marguerite Yourcenar la vagabonde en use elle aussi, et entraĂźne Ă  sa suite le lecteur dans un pĂ©riple en littĂ©rature au cours duquel elle lui propose incessamment la diversitĂ© de tant d’autres vies, fantaisies, et usances ». 14 L’arbre est un exilĂ©, la roche est un proscrit » Victor Hugo, Ce que dit la bouche d’ombre »,... 22Plus Ă©tonnantes peut-ĂȘtre que les traces humanistes de Montaigne sont les rĂ©miniscences romantiques que l’on peut dĂ©celer dans les MĂ©moires d’Hadrien. Marguerite Yourcenar a frĂ©quentĂ© trĂšs tĂŽt la littĂ©rature romantique adolescente, la jeune Mlle de Crayencour en avait dĂ©jĂ  lu toutes les Ɠuvres majeures. Elle semble s’en ĂȘtre quelque peu Ă©loignĂ©e par la suite, et il est parfois difficile de dĂ©terminer si les Ă©chos romantiques qu’éveille le rĂ©cit d’Hadrien relĂšvent d’allusions intertextuelles dĂ©libĂ©rĂ©es ou de souvenirs plus fortuits de lectures de jeunesse. Il semble peu probable nĂ©anmoins que l’auteur n’ait pas songĂ© par exemple Ă  Hugo, en choisissant de dĂ©peindre comme des bouches d’ombre » les oracles de mauvais augure parmi lesquels figure la sorciĂšre de Canope p. 210. Voix panthĂ©iste des mystĂšres de la vie et de la mort, la Bouche d’Ombre hugolienne, qui dit jusqu’à l’ñme des pierres14, a bien sa place Ă  l’heure oĂč AntinoĂŒs marche vers son sacrifice et sa demi-rĂ©surrection minĂ©rale. La prĂ©sence d’échos Ă  des textes postĂ©rieurs Ă  l’existence d’Hadrien instille dans la lettre une dimension prophĂ©tique. Celle-ci se trouve accentuĂ©e lorsque les textes Ă©voquĂ©s possĂšdent eux-mĂȘmes un caractĂšre oraculaire ; de mĂȘme qu’elle conjure les ombres des Contemplations de Hugo, Marguerite Yourcenar ravive les flammes du Paris » de Vigny, lorsqu’Hadrien, aprĂšs la dĂ©dicace du temple de VĂ©nus et de Rome, mĂ©dite devant la ville en flamme La nuit qui suivit ces cĂ©lĂ©brations, du haut d’une terrasse, je regardai brĂ»ler Rome. Ces feux de joie valaient bien les incendies allumĂ©s par NĂ©ron ils Ă©taient presque aussi terribles. Rome le creuset, mais aussi la fournaise, et le mĂ©tal qui bout, le marteau, mais aussi l’enclume, la preuve visible du changement et des recommencements de l’histoire, l’un des lieux au monde oĂč l’homme aura le plus tumultueusement vĂ©cu. La conflagration de Troie, d’oĂč un fugitif s’était Ă©chappĂ©, emportant avec lui son vieux pĂšre, son jeune fils, et ses Lares, aboutissait ce soir-lĂ  Ă  ces grandes flammes de fĂȘte. Je songeais aussi, avec une sorte de terreur sacrĂ©e, aux embrasements de l’avenir. p. 186-187 23Si les incendies du passĂ© – celui de Troie, celui qu’allume NĂ©ron – sont clairement identifiĂ©s, les embrasements de l’avenir », eux, demeurent innommĂ©s. Parmi ceux-ci figure sans doute cette autre vision d’une ville-fournaise, Ă©galement contemplĂ©e de nuit et depuis une hauteur 15 Alfred de Vigny, Paris », PoĂšmes antiques et modernes, dans ƒuvres complĂštes I. PoĂ©sie et théùtr ... Le vertige parfois est prophĂ©tique. – Il faitQu’une Fournaise ardente Ă©blouit ta paupiĂšre ?C’est la Fournaise aussi que tu vois. – Sa lumiĂšreTeint de rouge les bords du ciel noir et profond ;C’est un feu sous un dĂŽme obscur, large et sans dans les nuits d’hiver et d’étĂ©, quand les heuresFont du bruit en sonnant sur le toit des demeuresParce que l’homme y dort, lĂ  veillent des Esprits,Grands ouvriers d’une Ɠuvre et sans nom et sans nuit leur lampe brĂ»le, et le jour elle fume,Le jour elle a fumĂ©, le soir elle s’allume,Et toujours et sans cesse alimente les feuxDe la Fournaise d’or que nous voyons tous deux15. 16 LĂ , tout fume, tout brĂ»le, tout brille, tout bouillonne, tout flambe, s’évapore, s’éteint, se ra ... 24 Preuve visible du changement et des recommencements de l’histoire », la flamme de l’activitĂ© humaine embrase les tableaux des capitales d’un siĂšcle Ă  l’autre, d’un texte Ă  l’autre. Le vertige prophĂ©tique » causĂ© par le procĂ©dĂ© est d’autant plus grand que la vision de Vigny a pu inspirer celle par laquelle Balzac ouvre cette Ă©tonnante Fille aux yeux d’or16 » que les Carnets de notes citent avec fascination parmi les romans historiques p. 330. Mais le regard jetĂ© sur l’avenir ne s’arrĂȘte pas lĂ  la contemplation d’Hadrien, qui entrevoit un Ă©norme Ă©cueil aperçu au loin dans l’ombre » p. 187, se rĂ©sout en pressentiment Ă  la fois sombre et rĂ©signĂ©, comme le poĂšme de Vigny dans lequel un autre Ă©cueil menace Paris 17 Paris », op. cit., p. 111. Et je chancelle encor, n’osant plus sur la terreContempler votre ville et son double je crains bien pour elle et pour vous, car voilĂ Quelque chose de noir, de lourd, de vaste, lĂ ,Au plus haut point du ciel, oĂč ne sauraient atteindreLes feux dont l’horizon ne cesse de se teindre ;Et je crois entrevoir ce rocher tĂ©nĂ©breuxQu’annoncĂšrent jadis les prophĂštes hĂ©breux17. 18 Deux enfants du classicisme Chateaubriand et Yourcenar », Bulletin de la SIEY, no 25, dĂ©cembre ... 19 François-RenĂ© de Chateaubriand, MĂ©moires d’outre-tombe, livre XIV, chap. I, Jean-Claude Berchet Ă© ... 25Le regard prophĂ©tique d’Hadrien sur Rome reflĂšte ainsi le brasier de Paris », poĂšme qui dĂ©jĂ  recelait le souvenir d’autres prophĂštes ce que l’empereur contemple ainsi d’en haut, c’est sans doute Ă©galement la profondeur des pouvoirs de la littĂ©rature mis en abĂźme. C’est Ă©galement cette profondeur que Marguerite Yourcenar rencontre chez un autre penseur romantique du temps, qu’elle n’évoque jamais directement, mais dont l’ombre plane sur les MĂ©moires d’Hadrien Chateaubriand. Écrits dans une Italie bien connue de Chateaubriand voyageur et secrĂ©taire de lĂ©gation, mais aussi composĂ©s au bord de la mort, et aprĂšs cette traversĂ©e du Styx que reprĂ©sente le suicide d’AntinoĂŒs, les souvenirs de l’empereur sont Ă  proprement parler des MĂ©moires d’outre-tombe. Lorsqu’il conçoit les divisions d’AntinoĂ©, Hadrien se souvient Tout y entrait, Hestia et Bacchus, les dieux du foyer et ceux de l’orgie, les divinitĂ©s cĂ©lestes et celles d’outre-tombe » p. 237. De mĂȘme, tout entre dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar, jusqu’à la mĂ©moire d’autres MĂ©moires Laura Brignoli18 a signalĂ© la parentĂ© qui unit le dernier souffle d’Hadrien Un instant encore, regardons ensemble les rives familiĂšres, les objets que sans doute nous ne reverrons plus... », p. 316, et la conclusion du cĂ©lĂšbre Ă©pisode de la grive de Montboissier Mettons Ă  profit le peu d’instants qui me restent ; hĂątons-nous de peindre ma jeunesse, tandis que j’y touche encore le navigateur, abandonnant pour jamais un rivage enchantĂ©, Ă©crit son journal Ă  la vue de la terre qui s’éloigne et qui va bientĂŽt disparaĂźtre19. » La rĂ©miniscence littĂ©raire est ici trĂšs estompĂ©e ; elle se perd dans l’émotion poignante qui saisit le lecteur Ă  l’instant des adieux d’Hadrien ; il n’en demeure pas moins que l’effet d’écho fait de celui qui se prĂ©pare Ă  entrer dans la mort les yeux ouverts » le frĂšre d’un navigateur en partance et qui touche encore » Ă  sa jeunesse. Prestige et vertige de l’écriture et du souvenir, le dĂ©dale de la bibliothĂšque ouvre Ă  un voyage qui pourrait ne finir jamais. Hadrien, lector in fabula 26La prĂ©sence discrĂšte des lectures de Marguerite Yourcenar confĂšre Ă  Hadrien une place lĂ©gĂšrement dĂ©centrĂ©e dans la bibliothĂšque, dont il n’est pas l’unique propriĂ©taire. L’auteur s’estompe certes, mais ne s’efface pas tout Ă  fait, ce qui prĂ©serve son Ɠuvre du danger d’ĂȘtre rangĂ©e dans le rayonnage des mĂ©moires apocryphes » et des supercheries littĂ©raires. Jamais elle ne cherche Ă  faire passer Hadrien pour l’auteur d’un texte oĂč il est somme toute moins Ă©crivain que lecteur. 20 Jeanine S. Alec a montrĂ© qu’il s’agit lĂ  d’une constante chez les personnages yourcenariens Da ... 27Hadrien Ă©crit, certes, et ses productions occupent une place de choix dans la bibliothĂšque de Marguerite Yourcenar elles figurent parmi les premiĂšres sources mentionnĂ©es dans la Note finale, oĂč elles sont soigneusement inventoriĂ©es p. 353. Le plus cĂ©lĂšbre de ces textes, le poĂšme Animula, vagula, blandula », Ă©pitaphe de l’empereur, joue d’ailleurs un rĂŽle structurant dans l’Ɠuvre il en constitue l’épigraphe, donne son titre Ă  la premiĂšre section, et reparaĂźt Ă  la toute fin du rĂ©cit, lorsque l’ñme d’Hadrien, devenue un peu moins flottante » pour le lecteur qui a appris Ă  mieux la connaĂźtre, s’apprĂȘte Ă  un nouvel et incertain envol Petite Ăąme, Ăąme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hĂŽte, tu vas descendre dans ces lieux pĂąles, durs et nus, oĂč tu devras renoncer aux jeux d’autrefois » p. 316. Pour belle et fidĂšle que soit la traduction, ces mots, en prose et en français, ne sont dĂ©jĂ  plus tout Ă  fait ceux du versificateur latin en mĂȘme temps que les derniers mots de Marguerite Yourcenar sont d’Hadrien, les ultima verba d’Hadrien sont de Marguerite Yourcenar. De maniĂšre significative, celle-ci leur ajoute une clausule bien Ă  elle TĂąchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts... » ibid., et une inscription qui porte la marque de l’empereur, mais ne lui donne plus voix Au divin Hadrien Auguste / Fils de Trajan / ConquĂ©rant des Parthes [...] » p. 317. Du je de l’épistolier au tu du mourant qui oublie Marc AurĂšle pour s’adresser Ă  son Ăąme ; du tu au nous d’une personnalitĂ© diverse enfin unifiĂ©e au seuil de la mort, mais aussi ouverte Ă  l’universel, et du nous Ă  la marmorĂ©enne troisiĂšme personne de la titulature, Hadrien peu Ă  peu quitte les rivages de sa lettre, et dans ce glissement Marguerite Yourcenar suggĂšre qu’il n’a Ă©tĂ© auteur que passagĂšrement20. Le narrateur lui-mĂȘme ne cesse en effet de se dire Ă©crivain mĂ©diocre ou vellĂ©itaire. Adolescent, sa passion de la poĂ©sie lui inspire des ambitions littĂ©raires auxquelles il doit renoncer avec amertume d’abord, puis avec la sĂ©rĂ©nitĂ© de celui qui a Ă©prouvĂ© que sa vie Ă©tait ailleurs Scaurus me dĂ©sespĂ©ra en m’assurant que je ne serais jamais qu’un poĂšte des plus mĂ©diocres le don et l’application manquaient. J’ai cru longtemps qu’il s’était trompĂ© j’ai quelque part, sous clef, un ou deux volumes de vers d’amour, le plus souvent imitĂ©s de Catulle. Mais il m’importe dĂ©sormais assez peu que mes productions personnelles soient dĂ©testables ou non. p. 44 28Bien plus tard, il est ressaisi du dĂ©sir d’écrire, mais un nouveau renoncement s’impose Ă  lui, dans la mesure oĂč il se doit avant tout Ă  sa charge impĂ©riale J’ébauchai [...] un ouvrage assez ambitieux, mi-partie prose, mi-partie vers, oĂč j’entendais faire entrer Ă  la fois le sĂ©rieux et l’ironie, les faits curieux observĂ©s au cours de ma vie, des mĂ©ditations, quelques songes ; le plus mince des fils eĂ»t reliĂ© tout cela ; c’eĂ»t Ă©tĂ© une sorte de Satyricon plus Ăąpre, J’y aurais exposĂ© une philosophie qui Ă©tait devenue la mienne, l’idĂ©e hĂ©raclitĂ©enne du changement et du retour. Mais j’ai mis de cĂŽtĂ© ce projet trop vaste. p. 236-237 29Éternel changement, Ă©ternel retour, Hadrien, qui ne cesse d’écrire, est un homme qui n’a pas le temps de devenir Ă©crivain peut-ĂȘtre est-ce en cela que le temps retrouvĂ© yourcenarien se distingue le plus nettement du temps retrouvĂ© proustien, et qui pourtant Ă©prouve le besoin de revenir sur ses Ɠuvres. 30Le narrateur est ainsi avant tout lecteur, et lecteur de lui-mĂȘme telle est la place qu’il s’assigne lorsqu’en Ă©crivant Ă  Marc AurĂšle il part Ă  la dĂ©couverte de ce qu’il est J’ignore Ă  quelles conclusions ce rĂ©cit m’entraĂźnera. Je compte sur cet examen des faits pour me dĂ©finir, me juger peut-ĂȘtre, ou tout au moins pour me mieux connaĂźtre avant de mourir » p. 30. Avant mĂȘme cette dĂ©cisive lecture de soi, il a Ă©tĂ© l’impartial lecteur de ses propres Ɠuvres Je revisais mes propres Ɠuvres les vers d’amour, les piĂšces de circonstance, l’ode Ă  la mĂ©moire de Plotine. Un jour, quelqu’un aurait peut-ĂȘtre envie de lire tout cela. Un groupe de vers obscĂšnes me fit hĂ©siter ; je finis somme toute par l’inclure. Nos plus honnĂȘtes gens en Ă©crivent de tels. Ils s’en font un jeu ; j’eusse prĂ©fĂ©rĂ© que les miens fussent autre chose, l’image exacte d’une vĂ©ritĂ© nue. Mais lĂ  comme ailleurs les lieux communs nous encagent je commençais Ă  comprendre que l’audace de l’esprit ne suffit pas Ă  elle seule pour s’en dĂ©barrasser, et que le poĂšte ne triomphe des routines et n’impose aux mots sa pensĂ©e que grĂące Ă  des efforts aussi longs et aussi assidus que mes travaux d’empereur. p. 236 31S’il parvient Ă  un regard objectif et dĂ©tachĂ© sur des Ă©crits pourtant extrĂȘmement personnels, c’est parce qu’il adopte le regard distant de ses Ă©ventuels lecteurs Ă  venir ; de ce point d’optique, le poĂšte » apparaĂźt clairement comme l’autre, celui Ă  qui il ressemble peut-ĂȘtre, celui qu’il aurait aimĂ© ĂȘtre sans doute, mais celui qu’il n’est pas. 21 Mes ennemis, l’affreux Servianus en tĂȘte, [...] prĂ©tendaient que l’ambition et la curiositĂ© avai ... 32Hadrien pressent donc les futurs lecteurs de son Ɠuvre, parmi lesquels Marguerite Yourcenar elle-mĂȘme. Il les prĂ©figure Ă©galement, ou plus exactement prĂ©figure le lecteur de MĂ©moires d’Hadrien, dont il est le double potentiel, bien mieux que Marc AurĂšle, destinataire premier Ă  la fois trop individualisĂ© pour ĂȘtre un support d’identification, et trop absent pour incarner l’activitĂ© de lecture. Il est des pages de MĂ©moires d’Hadrien oĂč le livre se mĂ©tamorphose en un miroir dans lequel le lecteur peut se voir en train de lire celles oĂč le narrateur lui-mĂȘme lit des lettres. La lettre Ă©crite m’a enseignĂ© Ă  Ă©couter la voix humaine, tout comme les grandes attitudes des statues m’ont appris Ă  apprĂ©cier les gestes », confie trĂšs tĂŽt l’empereur p. 30. De mĂȘme que la statuaire classique, parcourue d’ñmes mais dĂ©livrĂ©e du hiĂ©ratisme, sublime dans le marbre le mouvement humain, la lettre Ă©crite » pĂ©rennise, clarifie, Ă©pure la parole prononcĂ©e le parallĂšle suggĂšre qu’Hadrien a su trouver dans l’épistolaire ce que prĂ©cisĂ©ment Marguerite Yourcenar souhaitait offrir Ă  ses lecteurs le portrait d’une voix » p. 330. Il est mĂȘme permis d’imaginer Hadrien trouvant cette inflexion pure de la voix humaine dans des lettres qui ne lui sont pas destinĂ©es, tout comme que le lecteur des MĂ©moires d’Hadrien la rencontre dans la lettre Ă  Marc AurĂšle. On sait en effet l’empereur avide de dĂ©couvrir l’ĂȘtre humain dans tous les documents qui peuvent le lui rĂ©vĂ©ler, confidence de ses maĂźtresses21, rapports de police, et peut-ĂȘtre lettres interceptĂ©es. Il se dĂ©fend des accusations de curiositĂ© malsaine en allĂ©guant son dĂ©sir de connaĂźtre l’autre sans fard On m’a reprochĂ© d’aimer Ă  lire les rapports de la police de Rome ; j’y dĂ©couvre sans cesse des sujets de surprise ; amis ou suspects, inconnus ou familiers, ces gens m’étonnent » p. 31. Un tel rapport au document n’est pas sans lien avec les recherches minutieuses menĂ©es par Marguerite Yourcenar pour amasser les pierres authentiques » p. 342 Ă  l’aide desquelles elle bĂątit son rĂ©cit ; il tĂ©moigne surtout d’un goĂ»t de la lecture en prise directe avec l’homme vrai, qui laisse Ă  penser qu’Hadrien eĂ»t aimĂ© lire les MĂ©moires d’Hadrien. 22 Voir Henriette Levillain, MĂ©moires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 87 et suiv. 23 RĂ©my Poignault, L’AntiquitĂ© dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar, op. cit., t. II, p. 433 pour un ... 33La lettre dĂ©voile la voix et la vie des autres ; elle peut aussi, parfois, enseigner la vie. Si Marguerite Yourcenar assigne explicitement aux MĂ©moires d’Hadrien la premiĂšre de ces deux fonctions, elle ne renonce pas Ă  la seconde, suggĂ©rĂ©e par la dimension discrĂštement didactique de l’épĂźtre Ă  Marc AurĂšle, et surtout par le rĂŽle-clef que remplit la missive d’Arrien, vĂ©ritable miroir tendu tout Ă  la fois Ă  Hadrien et au lecteur22. Dans ce texte dont elle propose une adaptation assez libre23 », Marguerite Yourcenar trouve la substantifique moelle de son protagoniste Dans l’absence de tout autre document, la lettre d’Arrien Ă  l’empereur Hadrien au sujet du pĂ©riple de la mer Noire suffirait Ă  recrĂ©er dans ses grandes lignes cette figure impĂ©riale », affirme-t-elle dans les Carnets de notes p. 339. Sans doute reflĂšte-t-elle aussi, dans les effets produits sur Hadrien par cette lecture, les ambitions de son propre roman comme les MĂ©moires d’Hadrien, la lettre d’Arrien articule l’évocation d’une Ɠuvre politique Ă  la passion de l’art, les grandes scansions d’une existence Ă  la fascination du mythe et, par cet entrelacement subtil, aide Ă  penser la vie. En dĂ©pit de ses efforts, Hadrien ne s’est pas toujours montrĂ© bon lecteur de l’homme et du mythe ; sur les terres glorieuses de l’Iliade il s’égare et se montre inapte Ă  interprĂ©ter les signes que lui adresse AntinoĂŒs Je trouvai quelques moments pour me recueillir sur la tombe d’Hector ; AntinoĂŒs alla rĂȘver sur celle de Patrocle. Je ne sus pas reconnaĂźtre dans le jeune faon qui m’accompagnait l’émule du camarade d’Achille je tournai en dĂ©rision ces fidĂ©litĂ©s passionnĂ©es qui fleurissent surtout dans les livres ; le bel ĂȘtre insultĂ© rougit jusqu’au sang. p. 194 24 RĂ©my Poignault, Deux amis d’Hadrien Arrien et Plotine », art. citĂ©, p. 184. RĂ©my Poignault cit ... 34L’épisode est lourd de prĂ©sages tragiques sous un ciel vert de catastrophe », une inondation chang[e] en Ăźlots les tumulus des tombeaux antiques » ibid. et les hommes, littĂ©ralement isolĂ©s, Ă©chouent Ă  communiquer. L’air vivifiant de l’üle d’Achille dĂ©crite par Arrien vient dissiper ces nuages la lettre rĂ©tablit la comprĂ©hension et l’harmonie parce qu’elle est l’Ɠuvre d’un ami, moins passionnĂ© que Patrocle et AntinoĂŒs, mais non moins dĂ©vouĂ©, ainsi que l’a montrĂ© RĂ©my Poignault [Hadrien] trouve [...] en Arrien un ultime soutien l’auteur du PĂ©riple du Pont-Euxin remplit ainsi l’un des devoirs de l’amitiĂ© selon LĂ©lius “eniti et efficere, ut amici iacentem animum excitet” ; mais il fait mieux il lui procure une rĂ©conciliation avec lui-mĂȘme et un accĂšs Ă  l’éternitĂ©24. » La relation amicale pourrait ainsi fournir le modĂšle d’une relation littĂ©raire dans laquelle le lecteur, grĂące Ă  la connaissance de l’autre, accĂšde Ă  la connaissance de soi. Hadrien goĂ»te en effet pleinement la sagesse d’Arrien, qui constitue certainement l’un des socles les plus solides de sa propre Patientia » Arrien comme toujours a bien travaillĂ©. Mais, cette fois, il fait plus il m’offre un don nĂ©cessaire pour mourir en paix ; il me renvoie une image de ma vie telle que j’aurais voulu qu’elle fĂ»t. Arrien sait que ce qui compte est ce qui ne figurera pas dans les biographies officielles, ce qu’on n’inscrit pas sur les tombes ; il sait aussi que le passage du temps ne fait qu’ajouter au malheur un vertige de plus. Vue par lui, l’aventure de mon existence prend un sens, s’organise comme dans un poĂšme. p. 297 35Hadrien lit ainsi entre les lignes sa propre biographie, qu’il recompose mais qui a Ă©tĂ© Ă©crite par un autre en somme il lit les MĂ©moires d’Hadrien. C’est alors que le prĂ©sent fait irruption dans le texte, que le temps de sa lecture coĂŻncide tout Ă  la fois avec le temps de l’écriture de la lettre et celui de la lecture du roman. Par la grĂące de l’écriture d’Arrien mĂȘlĂ©e Ă  celle de Marguerite Yourcenar, Hadrien, Achille et celui qui, Ă  dix-huit siĂšcles de distance lit leur double histoire, pour un instant ne font plus qu’un. Je et les autres 25 Colette Gaudin, Marguerite Yourcenar Ă  la surface du temps, op. cit., p. 95. 36Pour Colette Gaudin, Yourcenar a voulu battre les historiens au jeu de l’objectivitĂ© » Ce qui est original pour un Ă©crivain de fiction, c’est qu’elle le fait en dĂ©crivant sa participation subjective au rĂ©cit25. » PrĂ©sence de l’écrivain dans le roman, mais aussi, Ă©videmment, Carnets de notes et Note finale constituent des Ă©lĂ©ments de l’écriture de soi intĂ©grĂ©s aux MĂ©moires d’Hadrien. Dans quelle mesure est-il pertinent d’évoquer une dimension autobiographique rĂ©elle Ă  l’Ɠuvre derriĂšre l’autobiographie fictive d’Hadrien et en quoi le, les je » du texte, se construisent-ils Ă  l’aune de l’altĂ©ritĂ© ? MĂ©moires de Marguerite ? 37Dans les Carnets de notes, Marguerite Yourcenar interdit explicitement tout raccourci interprĂ©tatif sur le choix de la premiĂšre personne et pointe du doigt la [g]rossiĂšretĂ© de ceux qui vous disent “Hadrien, c’est vous” » p. 341. Ainsi la possibilitĂ© d’une lecture autobiographique du roman semble-t-elle d’emblĂ©e rĂ©cusĂ©e par les propos de l’auteur dont on sait l’importance dans l’exĂ©gĂšse critique de ses propres textes. S’il paraĂźt indispensable de s’interroger sur le choix de l’écriture Ă  la premiĂšre personne, la dĂ©marche autobiographique est certes Ă  envisager dans une perspective trĂšs diffĂ©rente des lectures visant Ă  repĂ©rer des points communs entre l’auteur et son personnage, tout d’abord en raison de la vision mĂȘme de l’auteur. 38En effet, Marguerite Yourcenar tĂ©moigne d’un certain mĂ©pris pour ce qu’on pourrait appeler l’exposition de sa personnalitĂ© ; elle s’en explique longuement dans les entretiens avec Matthieu Galey en Ă©voquant tout d’abord son dĂ©dain pour la posture Ă©gocentrique et vaine qui consiste Ă  parler de soi dans les moindres dĂ©tails Cette obsession française du culte de la personnalitĂ© » la sienne chez la personne qui Ă©crit ou qui parle me stupĂ©fie toujours. Oserais-je dire que je la trouve affreusement petite-bourgeoise ? je, moi, me, mon, ma, mes... Ou tout est dans tout, ou rien ne vaut la peine qu’on en parle. Pour mon compte, dans une rĂ©union dite mondaine », je m’écarte aussi discrĂštement que je peux de la dame qui m’apprend qu’elle aime beaucoup les marrons glacĂ©s, ses » confiseries favorites, ou du monsieur, gĂ©nĂ©ralement sĂ©nile, qui se montre disposĂ© Ă  me raconter ses » aventures d’amour. YO, p. 205 26 Alain TrouvĂ©, Leçon littĂ©raire sur MĂ©moires d’Hadrien, op. cit., p. 113. 39Ce manque d’intĂ©rĂȘt pour les accidents de sa propre personnalitĂ© conduit d’ailleurs Marguerite Yourcenar Ă  l’absence dans ses textes autobiographiques dans Archives du Nord, c’est la filiation qui l’intĂ©resse, non le rĂ©cit de sa propre enfance, et la romanciĂšre avoue son dĂ©sintĂ©rĂȘt pour ce je du passĂ© que les autobiographes tentent pourtant de retrouver Franchement, je ne comprends pas cette insistance sur le “je”, quand ce “je” s’applique Ă  une enfant nĂ©e en juin 1903 et devenue peu Ă  peu l’ĂȘtre humain que je suis ou essaie d’ĂȘtre » YO, p. 212. Il est vrai que [d]ans la plus grande partie du Labyrinthe du monde, ses MĂ©moires [...], la narratrice n’est le plus souvent prĂ©sente qu’en tant que tĂ©moin ou biographe » Ce qu’elle raconte, ce sont ses proches, sa famille, ses ascendants26. » Ainsi, mĂȘme les textes dits autobiographiques de Marguerite Yourcenar sont-ils finalement dĂ©gagĂ©s de l’omniprĂ©sence d’une personnalitĂ©, d’une singularitĂ© identitaire que l’autobiographe chercherait Ă  saisir. 40D’ailleurs la romanciĂšre exprime nettement l’inanitĂ© d’une reconstitution autobiographique dans la mesure oĂč le je est aussi Ă©tranger Ă  lui-mĂȘme que ne l’est autrui Tout nous Ă©chappe, et tous, et nous-mĂȘmes. La vie de mon pĂšre m’est plus inconnue que celle d’Hadrien. Ma propre existence, si j’avais Ă  l’écrire, serait reconstituĂ©e par moi du dehors, pĂ©niblement, comme celle d’un autre ; j’aurais Ă  m’adresser Ă  des lettres, aux souvenirs d’autrui, pour fixer ces flottantes mĂ©moires. Ce ne sont jamais que murs Ă©croulĂ©s, pans d’ombre. S’arranger pour que les lacunes de nos textes, en ce qui concerne la vie d’Hadrien, coĂŻncident avec ce qu’eussent Ă©tĂ© ses propres oublis. p. 331 41Qu’il s’agisse de soi-mĂȘme, d’un parent ou d’un personnage, qu’il s’agisse d’une autobiographie, d’une biographie ou d’un roman, la dĂ©marche est la mĂȘme qui consiste Ă  saisir l’existence par une reconstitution. 42DĂ©sintĂ©rĂȘt profond pour les accidents de sa propre personnalitĂ© et impossibilitĂ© de saisir son moi » si dĂ©marche autobiographique il y a, elle n’est pas Ă  chercher dans les contingences d’un rĂ©cit de vie. Aussi [l]e public qui chercher des confidences personnelles dans le livre d’un Ă©crivain est un public qui ne sait pas lire » YO, p. 205 tenter de repĂ©rer l’ombre portĂ©e de l’auteur dans tel dĂ©tail de vie, dans telle inclination, dans telle opinion d’Hadrien, constitue une aporie aux yeux de Marguerite Yourcenar. Est-ce Ă  dire que la romanciĂšre s’efface entiĂšrement dans son personnage ? N’y a-t-il pas de traces de sa prĂ©sence dans le roman ? Fait-elle vĂ©ritablement silence ? 27 Alain TrouvĂ©, Leçon littĂ©raire sur MĂ©moires d’Hadrien » de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 11 ... 43S’il est un espace autobiographique dans MĂ©moires d’Hadrien, il s’agit clairement des Carnets de notes. Le paratexte dĂ©livre en effet de nombreux Ă©lĂ©ments de la vie de l’auteur circonstances datĂ©es, formation et dĂ©roulement du projet d’écriture, sentiments personnels. Dans les Carnets se donne Ă  lire quelque chose de l’ordre de la formation de la personnalitĂ© Ă©voquĂ©e par Philippe Lejeune dans sa dĂ©finition de l’autobiographie. Alain TrouvĂ© l’affirme clairement malgrĂ© leur disposition en fragments, les Carnets incluent un vĂ©ritable rĂ©cit de vie et rĂ©pondent exactement Ă  la dĂ©finition de l’autobiographie proposĂ©e par Philippe Lejeune. » En effet, outre une organisation chronologique et des regroupements thĂ©matiques qui prouvent que ces notes ne sont pas restituĂ©es telles qu’elles ont Ă©tĂ© Ă©crites », les Carnets se caractĂ©risent par [l]a prĂ©sence continue d’un je narrateur-personnage qui rĂ©fĂšre Ă  l’auteur rĂ©el Marguerite Yourcenar » ainsi que par l’emploi des temps du passĂ© au lieu du prĂ©sent attendu qui narrativisent nettement l’ensemble27 ». Si les Carnets relĂšvent donc pour partie du rĂ©cit autobiographique, qu’en est-il du roman lui-mĂȘme ? 44Si elle rejette catĂ©goriquement une lecture autobiographique, strictement individuelle, dont il faudrait retrouver trace dans le roman, Marguerite Yourcenar confie malgrĂ© tout s’ĂȘtre servi de sa propre expĂ©rience pour Ă©crire MĂ©moires d’Hadrien et avoir par exemple [u]tilis[Ă©] pour mieux comprendre un commencement de maladie de cƓur » p. 333 28 MichĂšle Goslar, Yourcenar biographie, op. cit., p. 160-161. DĂšs la fin de l’étĂ© 1944, Marguerite Yourcenar ressent les premiers symptĂŽmes d’une faiblesse cardiaque. Trois semaines plus tard, Ă  New York, un malaise la surprend dans la rue. Elle se rĂ©fugie chez ses amis Kayaloff et est contrainte au repos. À quarante et un ans, elle sait qu’elle est malade du cƓur et se persuade qu’elle peut mourir Ă  tout moment d’une attaque. Elle se servira de cette expĂ©rience personnelle dans un prochain livre qu’elle n’imagine pas encore Ă©crire28. 29 RĂ©my Poignault, L’AntiquitĂ© dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar, op. cit., t. II, p. 757. 45Ses inclinations personnelles transparaissent aussi parfois derriĂšre Hadrien, de son propre aveu Quand je fais parler Hadrien de son amour des pays barbares, c’est par moments mon propre goĂ»t pour eux qui fait Ă©cho au sien » YO, p. 304. Comme le note RĂ©my Poignault, [c]e goĂ»t pour les pays barbares [...] qui appartient aussi Ă  Marguerite Yourcenar, est une crĂ©ation qui lui est propre et qui contraste avec l’extension du limes ou le “panhellĂ©nisme antibarbare” qui caractĂ©rise la politique de l’empereur29 ». La comparaison entre le prince tel que le prĂ©sente la romanciĂšre et tel que le prĂ©sentent les documents historiques tĂ©moigne ainsi des inflĂ©chissements donnĂ©s par la crĂ©ation romanesque. Mais cette prĂ©sence auctoriale ne signale en rien une volontĂ© de paraĂźtre derriĂšre le personnage ou de livrer des clĂ©s de lecture autobiographiques si Marguerite Yourcenar est prĂ©sente derriĂšre Hadrien, c’est que sa dĂ©marche d’écriture s’inscrit dans une traversĂ©e de soi qui vise Ă  dĂ©passer les singularitĂ©s pour renouer avec l’humanitĂ© inscrite en nous-mĂȘmes. 46 Tout ĂȘtre qui a vĂ©cu l’aventure humaine est moi » p. 342 c’est lĂ  que rĂ©side la singularitĂ© de l’écriture yourcenarienne, dans cette intĂ©gration d’une individualitĂ© Ă  la sienne propre pour mieux toucher l’universalitĂ© de l’expĂ©rience humaine. Cette dĂ©marche qui entend saisir l’humanitĂ© en soi n’est d’ailleurs pas propre Ă  la fiction et informe Ă©galement l’écriture de soi Toute l’humanitĂ© et toute la vie passent en nous, et si elles ont pris ce chemin d’une famille et d’un milieu en particulier qui fut celui de notre enfance, ce n’est qu’un hasard parmi tous nos hasards » YO, p. 204. La prĂ©sence de Marguerite Yourcenar dans MĂ©moires d’Hadrien ne se situe donc pas dans des dĂ©tails autobiographiques, mais dans une traversĂ©e de soi pour toucher l’humain. 47C’est prĂ©cisĂ©ment dans cette tentative d’apprĂ©hender ce qui nous fait hommes par-delĂ  les siĂšcles et les cultures que naĂźt la dĂ©marche autobiographique de Marguerite Yourcenar. En regardant en elle-mĂȘme les traces de l’humanitĂ©, elle entend prendre seulement ce qu’il y a de plus durable, de plus essentiel en nous, dans les Ă©motions des sens ou dans les opĂ©rations de l’esprit, comme point de contact avec ces hommes qui comme nous croquĂšrent des olives, burent du vin, s’engluĂšrent les doigts de miel, luttĂšrent contre le vent aigre et la pluie aveuglante et cherchĂšrent en Ă©tĂ© l’ombre d’un platane, et jouirent, et pensĂšrent, et vieillirent, et moururent » p. 332. Point de dĂ©tails anecdotiques dans cette perception de soi, mais une volontĂ© d’ĂȘtre l’instrument traversĂ© par le sentiment de l’humanitĂ©. 48À cet Ă©gard, la romanciĂšre se perçoit comme un intermĂ©diaire destinĂ© Ă  susciter ou Ă  redonner vie Ă  des personnages inventĂ©s ou morts. Marguerite Yourcenar explique ainsi son manque d’intĂ©rĂȘt pour elle-mĂȘme c’est pourquoi je n’ai au fond qu’un intĂ©rĂȘt limitĂ© pour moi-mĂȘme. J’ai l’impression d’ĂȘtre un instrument Ă  travers lequel des courants, des vibrations sont passĂ©s. Et cela vaut pour tous mes livres, et je dirais mĂȘme pour toute ma vie » YO, p. 309. Dans cette perspective oĂč l’auteur est un intermĂ©diaire dont le rĂŽle consiste Ă  insuffler la vie, se dessine un processus de crĂ©ation proche d’une vĂ©ritable gestation. 49En effet, Marguerite Yourcenar emploie systĂ©matiquement le lexique de la vie, du mouvement, voire de la chair, pour Ă©voquer le processus de crĂ©ation Ă  l’Ɠuvre ainsi Ă©crit-elle avoir tĂąch[Ă©] de rendre leur mobilitĂ©, leur souplesse vivante, Ă  ces visages de pierre » dans MĂ©moires d’Hadrien p. 332, et avoir cherchĂ© Ă  rendre l’empereur vivant On a le curriculum vitae d’Hadrien, c’est-Ă -dire qu’on sait, annĂ©e aprĂšs annĂ©e, les diffĂ©rents emplois, les diffĂ©rents dignitĂ©s dont il a Ă©tĂ© revĂȘtu. Mais on ne sait pas grand-chose de plus. On sait le nom de quelques-uns de ses amis ; on connaĂźt un peu son groupe Ă  Rome, sa vie personnelle. Alors j’ai tĂąchĂ© de reconstituer tout cela, Ă  partir des documents, mais en m’efforçant de les revivifier ; tant qu’on ne fait pas entrer toute sa propre intensitĂ© dans un document, il est mort, quel qu’il soit. YO, p. 146 50Dans cette perspective, l’auteur doit savoir se taire et n’ĂȘtre qu’un rĂ©ceptacle Ă  la voix du personnage comme une matrice nourrirait un ĂȘtre Ă  venir sans pour autant lui imposer sa propre forme, [o]n doit tĂącher d’entendre, de faire silence en soi pour entendre ce qu’Hadrien pourrait dire, ou ce que ZĂ©non pourrait dire dans telle ou telle circonstance » Ne jamais y mettre du sien, ou alors inconsciemment, en nourrissant les ĂȘtres de sa substance, comme on les nourrirait de sa chair, ce qui n’est pas du tout la mĂȘme chose que de les nourrir de sa propre petite personnalitĂ©, de ces tics qui nous font nous » YO, p. 69. Ici se donne clairement Ă  lire la mĂ©taphore de la gestation. RĂ©cusant absolument l’identitĂ© entre elle-mĂȘme et ses personnages, Marguerite Yourcenar se place comme l’ĂȘtre pourvoyeur d’une substance vivante nĂ©cessaire Ă  la crĂ©ation 30 Son pĂšre, figure centrale d'Archives du Nord et de Quoi ? l’ÉternitĂ©, les deux derniers volets du ... Je ne suis pas plus Michel30 que je suis ZĂ©non ou Hadrien. J’ai essayĂ© de le reconstituer – comme tout romancier – Ă  partir de ma substance, mais c’est une substance indiffĂ©renciĂ©e. On nourrit de sa substance le personnage qu’on crĂ©e c’est un peu un phĂ©nomĂšne de gestation. Il faut bien, pour lui donner ou lui rendre la vie, le fortifier d’un apport humain, mais il ne s’ensuit pas qu’il soit nous ou que nous soyons lui. Les entitĂ©s restent diffĂ©rentes. YO, p. 211 51Ainsi la prĂ©sence de Marguerite Yourcenar ne vaut-elle, Ă  ses yeux, que dans la stricte mesure oĂč elle existe en tant que membre de l’humanitĂ© tout particularisme, toute communautĂ© de personnalitĂ© semble alors dĂ©risoire tant la vision de soi atteint l’universalitĂ©. 52De ce processus crĂ©atif naĂźt un paradoxe finalement, Hadrien se trouve peut-ĂȘtre davantage en Marguerite qu’elle-mĂȘme ne se trouve en lui. C’est en tout cas ce qu’elle semble signifier lorsqu’elle met l’accent sur l’importance du personnage dans sa vie, et sur le fait qu’il a existĂ© et existe encore Ă  ses cĂŽtĂ©s. Tout autant qu’un inflĂ©chissement de l’auteur sur le personnage, c’est le personnage qui semble in fine laisser sa trace sur l’auteur Il semble que tout ce que j’ai tentĂ© d’exprimer au sujet d’Hadrien rejaillisse en quelque sorte sur moi. Sa luciditĂ© fortifie le peu de luciditĂ© que je possĂšde ; je me souviens, en cas de crise, qu’il en a traversĂ© et les a surmontĂ©es ; sa disciplina augusta, sa virtus augusta me soutiennent, et plus encore me convient sa derniĂšre devise de malade Patientia. YO, p. 227 31 Henriette Levillain, MĂ©moires d’Hadrien » de Marguerite Yourcenar, op. cit., p. 179. 53Henriette Levillain Ă©crit d’ailleurs que, [sur] un autre plan plus personnel, mais Ă  plus long terme, Hadrien appartient Ă  la gĂ©nĂ©alogie mi-reconstituĂ©e, mi-rĂȘvĂ©e des ancĂȘtres de Marguerite de Crayencour » Au fur et Ă  mesure que l’auteur des Archives du Nord dĂ©cline les noms de ses ancĂȘtres flamands, elle note, ou provoque, toutes sortes de coĂŻncidences entre la vie, la culture et la personnalitĂ© de l’empereur romain et celles de ses ascendants31. » 54La vie rĂ©elle se mĂȘle alors aux constructions de l’imaginaire pour former un espace intĂ©rieur dont la complexitĂ© dĂ©passe la frontiĂšre entre fiction et rĂ©alitĂ© il en va ainsi des [l]ieux oĂč l’on a choisi de vivre, rĂ©sidences invisibles qu’on s’est construites Ă  l’écart du temps ». J’ai habitĂ© Tibur, Ă©crit-elle, j’y mourrai peut-ĂȘtre, comme Hadrien dans l’Île d’Achille. » p. 347. Marguerite Yourcenar signale alors l’aporie d’une distinction entre sa propre vie et celle de ses personnages, allant jusqu’à rĂ©cuser la distinction entre fiction et non-fiction, tant est profonde et rĂ©ciproque son immersion crĂ©ative Vous avouerais-je que je n’ai jamais eu le sentiment d’écrire de la fiction » ? J’ai toujours attendu que ce que j’écrivais fĂ»t assez incorporĂ© Ă  moi pour n’ĂȘtre pas diffĂ©rent de ce que seraient mes propres souvenirs [...] ; la maladie d’Hadrien me paraĂźt aussi authentique que mes maladies. YO, p. 307 L’art dĂ©licat du portrait 55Dans les Carnets de notes, Marguerite Yourcenar Ă©crit qu’elle aurait souhaitĂ© dĂ©velopper le portrait » d’un certain nombre d’ĂȘtres », tels Plotine, Sabine, Arrien, SuĂ©tone, mais que le choix de l’écriture personnelle imposait un regard nĂ©cessairement partiel et partial, lacunaire et erronĂ©. En effet, Hadrien ne pouvait les voir que de biais. AntinoĂŒs lui-mĂȘme ne peut ĂȘtre aperçu que par rĂ©fraction, Ă  travers les souvenirs de l’empereur, c’est-Ă -dire avec une minutie passionnĂ©e, et quelques erreurs » p. 335. Pour autant, dans le roman se dessinent les visages d’ĂȘtres dont le lecteur ressent l’importance AntinoĂŒs, Ă©videmment, mais aussi Plotine, prĂ©sences entourant l’existence d’Hadrien dans la pierre et dans la vie. Les pierres... 56Amoureux de l’art et de la pensĂ©e hellĂ©nique, Hadrien voit dans la sculpture une image de la vie mais aussi de l’amour si la lettre Ă©crite [lui] a enseignĂ© Ă  Ă©couter la voix humaine », ce sont les grandes attitudes immobiles des statues [qui lui] ont appris Ă  apprĂ©cier les gestes » p. 30. La statue semble indissociable de l’amour, tout se passant comme si la beautĂ© et la grĂące sensuelle Ă©taient transfigurĂ©es et saisies dans leur acmĂ© par l’art sculptural. Ces liaisons, agrĂ©ables quand ces femmes Ă©taient habiles, devenaient Ă©mouvantes quand elles Ă©taient belles. J’étudiais les arts ; je me familiarisais avec des statues ; j’apprenais Ă  mieux connaĂźtre la VĂ©nus de Cnide ou la LĂ©da tremblant sous le poids du cygne » p. 74 Hadrien relie explicitement son expĂ©rience amoureuse au sentiment esthĂ©tique, les femmes aimĂ©es rejoignant VĂ©nus et LĂ©da dans une communautĂ© vivante. 57D’emblĂ©e s’exprime ainsi le paradoxe tenu dans le roman entre l’immobilitĂ© et le mouvement, entre la rigiditĂ© et la vie, entre la mort et l’amour, la statue fixant une forme d’essence vitale dans un processus presque dĂ©miurgique. Les rĂ©flexions d’Hadrien sur la construction, longuement dĂ©veloppĂ©es dans Tellus stabilita », soulignent bien la part vivante contenue dans la pierre Notre art est parfait », Ă©crit Hadrien, c’est-Ă -dire accompli, mais sa perfection est susceptible de modulations aussi variĂ©es que celles d’une voix pure » p. 145. Si la pierre peut contenir le souffle et la vie, dans quelle mesure Hadrien se rĂȘve-t-il en Pygmalion ? 58La question du portrait porte en effet en elle-mĂȘme celle de la crĂ©ation et du rapport entre le crĂ©ateur et son Ɠuvre. À ce titre, portraits, statues, sculptures et monuments abondent dans le roman et signalent la volontĂ© impĂ©riale de figer l’amour disparu, qu’il s’agisse d’AntinoĂŒs ou de Plotine. Les statues et monuments Ă©rigĂ©s par Hadrien naissent en effet du dĂ©sir de renouer avec les disparus ainsi des chapelles d’AntinoĂŒs, et ses temples, chambres magiques, monuments d’un mystĂ©rieux passage entre la vie et la mort, oratoires d’une douleur et d’un bonheur Ă©touffants, [...] lieu de la priĂšre et de la rĂ©apparition » oĂč Hadrien se livre Ă  [s]on deuil » p. 142. De la mĂȘme maniĂšre, Ă  NĂźmes, Hadrien Ă©tabli[t] le plan d’une basilique dĂ©diĂ©e Ă  Plotine et destinĂ©e Ă  devenir un jour son temple » p. 154. 59L’omniprĂ©sence des portraits d’AntinoĂŒs dans le roman n’est pas une invention de l’auteur mais tĂ©moigne bel et bien d’une rĂ©alitĂ© historique ils abondent, et vont de l’incomparable au mĂ©diocre. Tous, en dĂ©pit des variations dues Ă  l’art du sculpteur ou Ă  l’ñge du modĂšle, Ă  la diffĂ©rence entre les portraits faits d’aprĂšs le vivant et les portraits exĂ©cutĂ©s en l’honneur du mort, bouleversent par l’incroyable rĂ©alisme de cette figure toujours immĂ©diatement reconnaissable et pourtant si diversement interprĂ©tĂ©e, par cet exemple, unique dans l’AntiquitĂ©, de survivance et de multiplication dans la pierre d’un visage qui ne fut ni celui d’un homme d’État ni celui d’un philosophe, mais simplement qui fut aimĂ©. p. 336 60Hadrien a multipliĂ© les images d’AntinoĂŒs et s’il n’existe pas de monnaie romaine Ă  son effigie, c’est en raison de l’opposition du SĂ©nat et non d’une volontĂ© impĂ©riale ; l’abondance des portraits d’AntinoĂŒs dans le roman s’inscrit donc dans la rĂ©fĂ©rentialitĂ© historique. 61Pour autant, Markus Meßling voit dans l’importance donnĂ©e Ă  la sculpture dans le roman une dimension symbolique trĂšs forte dĂ©passant largement le cadre de la reconstitution historique La statue grecque n’est pas seulement un moyen pour l’écrivain de faire revivre la pensĂ©e hellĂ©nique d’un prince romain. Étant la concrĂ©tion pierreuse du corps humain et subissant les forces modificatrices du temps, la sculpture dĂ©passe son statut uniquement historique dans l’ouvrage de Marguerite Yourcenar et devient ainsi une image modĂšle Ă  partir de laquelle l’écrivain dĂ©peint sa vision poĂ©tico-philosophique du temps et de l’existence humaine. 32 Markus Meßling, La fonction de la sculpture dans MĂ©moires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar par ... Comme la sculpture est mutilĂ©e par les Ă©lĂ©ments naturels, Ă  mesure que le temps passe, l’homme en tant qu’individu, lui-mĂȘme sculpture, se voit soumis Ă  un temps destructeur qui dĂ©vore » son Ɠuvre. Mais de mĂȘme que l’intention du sculpteur rĂ©siste au temps car elle ressort encore incontestablement de la ruine d’une statue classique, les structures, voire la substance mĂȘme de l’existence humaine ressortent de cette chaĂźne » de pertes perpĂ©tuelles. Le passĂ© paraĂźt ainsi comme un grand Ă©cran » qui reflĂšte l’immuable nature de l’homme. C’est dans ce sens que l’historicitĂ© tourne dans l’universalitĂ© dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar32. 62Ainsi la pierre porte-t-elle la trace de la temporalitĂ© et engage-t-elle dans le roman une mĂ©ditation sur la vanitĂ© de l’existence et du pouvoir soumis, comme toute construction humaine, Ă  la ruine. L’érection de monuments et la crĂ©ation sculpturale sont alors Ă  envisager dans le cadre d’une rĂ©flexion sur la destruction et la mort la crĂ©ation porterait en elle-mĂȘme la trace de sa destruction future, comme une naissance porte sa propre mort. Dans cette entreprise qui consiste Ă  conserver une forme de vie se lit ainsi le dĂ©sir dĂ©miurgique de rĂ©sister au temps. 63Hadrien explicite d’ailleurs le lien de la construction Ă  la temporalitĂ© et Ă  la vie [c]onstruire, Ă©crit-il, c’est collaborer avec la terre c’est mettre une marque humaine sur un paysage qui en sera modifiĂ© Ă  jamais » ; reconstruire, c’est collaborer avec le temps sous son aspect de passĂ©, en saisir ou en modifier l’esprit, lui servir de relais vers un plus long avenir ; c’est retrouver sous les pierres les secrets des sources. » Ici la voix de Marguerite Yourcenar, rĂȘvant dans les Carnets du contact avec les siĂšcles passĂ©s via la pierre ou l’objet, semble se faire entendre derriĂšre celle d’Hadrien, lorsqu’il Ă©crit Notre vie est brĂšve nous parlons sans cesse des siĂšcles qui prĂ©cĂšdent ou qui suivent le nĂŽtre comme s’ils nous Ă©taient totalement Ă©trangers ; j’y touchais pourtant dans mes jeux avec la pierre. Ces murs que j’étaie sont encore chauds du contact de corps disparus ; des mains qui n’existent pas encore caresseront ces fĂ»ts de colonnes. Plus j’ai mĂ©ditĂ© sur ma mort, et surtout sur celle d’un autre, plus j’ai essayĂ© d’ajouter Ă  nos vies ces rallonges presque indestructibles. p. 141 64La construction dans la brique Ă©ternelle » de Rome et le marbre natal » de GrĂšce ou d’Asie relĂšvent ainsi d’une recherche de l’humanitĂ© et la sculpture devient monde Je suis comme nos sculpteurs l’humain me satisfait ; j’y trouve tout, jusqu’à l’éternel. La forĂȘt tant aimĂ©e se ramasse pour moi tout entiĂšre dans l’image du centaure ; la tempĂȘte ne respire jamais mieux que dans l’écharpe ballonnĂ©e d’une dĂ©esse marine. Les objets naturels, les emblĂšmes sacrĂ©s, ne valent qu’alourdis d’associations humaines la pomme de pin phallique et funĂšbre, la vasque aux colombes qui suggĂšre la sieste au bord des fontaines, le griffon qui emporte le bien-aimĂ© au ciel. p. 146 65En accord avec sa vision de l’art, Hadrien confesse que [l’]art du portrait [l’]intĂ©ressait peu » dans la mesure oĂč les portraits romains n’ont qu’une valeur de chronique copies marquĂ©es de rides exactes ou de verrues uniques, dĂ©calques de modĂšles qu’on coudoie distraitement dans la vie et qu’on oublie sitĂŽt morts » p. 146 ce qu’Hadrien rejette, c’est l’individualitĂ©, la singularitĂ© peinte dans le portrait puisqu’il n’y voit lĂ  que dĂ©tail, contingence, anecdote. Les Grecs au contraire ont aimĂ© la perfection humaine au point de se soucier assez peu du visage variĂ© des hommes » et dans cette perspective, le portrait vĂ©ritable accĂšde Ă  l’universalitĂ©. C’est pourquoi – et la voix de Marguerite Yourcenar se fait sans doute entendre ici encore – Hadrien affirme ne jet[er] qu’un coup d’Ɠil Ă  [sa] propre image, cette figure basanĂ©e, dĂ©naturĂ©e par la blancheur du marbre, ces yeux grands ouverts, cette bouche mince et pourtant charnue, contrĂŽlĂ©e jusqu’à trembler » p. 146. 66AntinoĂŒs va pourtant bouleverser cette conception de l’art comme accĂšs Ă  l’humanitĂ©, le portrait devenant symbole de l’obsession d’Hadrien Ă  faire revivre le disparu le visage d’un autre m’a prĂ©occupĂ© davantage. SitĂŽt qu’il compta dans ma vie, l’art cessa d’ĂȘtre un luxe, devint une ressource, une forme de secours. J’ai imposĂ© au monde cette image il existe aujourd’hui plus de portraits de cet enfant que de n’importe quel homme illustre, de n’importe quelle reine. J’eus d’abord Ă  cƓur de faire enregistrer par la statuaire la beautĂ© successive d’une forme qui change ; l’art devint ensuite une sorte d’opĂ©ration magique capable d’évoquer un visage perdu. Les effigies colossales semblaient un moyen d’exprimer ces vraies proportions que l’amour donne aux ĂȘtres ; ces images, je les voulais Ă©normes comme une figure vue de tout prĂšs, hautes et solennelles comme les visions et les apparitions du cauchemar, pesantes comme l’est restĂ© ce souvenir ibid. 67La mort d’AntinoĂŒs signe alors une conception nouvelle de l’art chargĂ© de porter le deuil et de rendre la vie, et Hadrien distingue lui-mĂȘme entre les statues et portraits du jeune vivant » destinĂ©s Ă  saisir le mouvement de la vie changeante, le passage du corps adolescent Ă  l’ñge adulte dans toutes ses variations, et les portraits d’aprĂšs la mort, et oĂč la mort a passĂ©, ces grands visages aux lĂšvres savantes, chargĂ©s de secrets qui ne sont plus les [s]iens, parce que ce ne sont plus ceux de la vie » p. 147. La statue touche alors au sacrĂ© et teinte la volontĂ© crĂ©atrice d’une dimension presque magique. 33 Dans les Carnets de notes, Marguerite Yourcenar souligne d’ailleurs l’élĂ©ment presque faustien d ... 68En effet, si Hadrien s’entoure de statues Ă  la mort du bien-aimĂ©, son rapport Ă  la sculpture change et atteint prĂ©cisĂ©ment une forme de dĂ©sir presque faustien33 34 Philippe Berthier, Regarder les images jusqu’à les faire bouger », dans Les Diagonales du temps. ... C’est bien d’opĂ©ration cabalistique qu’il convient de parler dans cette initiative pathĂ©tique – parce qu’on la sait vaine – d’extravaser sur un mannequin inerte un monde d’affects qui le ressusciterait. Dans sa folie sublime, cette dĂ©marche est celle-lĂ  mĂȘme de l’écrivain. Lorsqu’elle entreprend en effet de resituer AntinoĂŒs Ă  l’intĂ©rieur de la restitution d’Hadrien, Yourcenar se livre Ă  des manipulations sorciĂšres qui sont exactement mimĂ©tiques de celles de l’empereur34... 69Dans cette perspective, qu’il s’agisse d’Hadrien ou de Marguerite Yourcenar, l’art du portrait s’inscrit dans une dĂ©marche presque dĂ©miurgique Ă  l’image de Pygmalion, l’empereur et la romanciĂšre cherchent Ă  donner ou redonner la vie Ă  l’ĂȘtre rigidifiĂ© par la mort, le symbolisme de la pierre Ă©tant Ă  cet Ă©gard tout Ă  fait explicite. À ce titre, la description de l’embaumement d’AntinoĂŒs rĂ©vĂšle combien la volontĂ© de figer la vie aboutit Ă  un atroce chef d’Ɠuvre » p. 217, indice de la dimension paradoxale d’un art devenu mortifĂšre. Mais lĂ  oĂč la pierre fige ces ĂȘtres dans des espaces mortuaires, Marguerite Yourcenar insuffle une voix Ă  Hadrien, lui donnant Ă  jamais la mesure de la vie. ...et les voix 70Les MĂ©moires d’Hadrien sont avant tout le [p]ortrait d’une voix » Si j’ai choisi d’écrire ces MĂ©moires d’Hadrien Ă  la premiĂšre personne, c’est pour me passer le plus possible de tout intermĂ©diaire, fĂ»t-ce de moi-mĂȘme », Ă©crit Marguerite Yourcenar. Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi. » p. 330. Le roman ne propose pas le portrait physique de l’empereur Ă  l’exception de la maladie ouvrant la lettre Ă  Marc AurĂšle et des mĂ©ditations sur l’importance des sens dans l’expĂ©rience du monde, le corps d’Hadrien ne fait pas l’objet d’une peinture dans le roman. Par ailleurs, si la voix d’Hadrien dresse le portrait d’ĂȘtres qui l’entourent, ces derniers n’ont pas la parole et leurs voix ne se font pas vĂ©ritablement entendre. Marguerite Yourcenar explique cette absence dialogique par l’impossibilitĂ© historiographique de transcrire le ton de la conversation Hadrien, pour jeter ce long coup d’Ɠil sur sa vie, devait se servir de cet instrument de luciditĂ© qu’était pour le monde grĂ©co-romain, dont il est le reprĂ©sentant parfait, la parole organisĂ©e, presque impersonnelle. Je me suis rendu compte que le monologue Ă©tait la seule forme possible, et je n’ai pas introduit dans le texte de conversations, parce que nous ignorons comment ces gens-lĂ  se parlaient. J’ai publiĂ©, beaucoup plus tard, un long essai dans la Nouvelle Revue française, qui paraĂźtra un de ces jours en volume, dans lequel j’ai exprimĂ© l’immense difficultĂ© de faire parler entre eux les gens de l’AntiquitĂ©. Nous avons des comĂ©dies latines, certes, imitĂ©es elles-mĂȘmes de ce qu’on appelle la nouvelle comĂ©die » grecque, et datant d’au moins deux siĂšcles et demi avant Hadrien elles oscillent entre le langage de la rue, les quolibets et les injures, comme chez Plaute, et un langage artificiellement raffinĂ© de gens bien Ă©levĂ©s, tels qu’ils s’expriment sur la scĂšne, comme chez TĂ©rence, et cela dans des situations romanesques toujours plus ou moins invariables. Rien dans tout cela qui nous donne le ton exact de ce qu’ont pu ĂȘtre les propos d’Hadrien avec Trajan, avec AntinoĂŒs ou avec Plotine. YO, p. 141 71Absence de voix autres, donc, mais prĂ©sence de portraits peints par la voix d’Hadrien ainsi lit-on de Plotine un portrait ample et prĂ©cis au travers duquel la personnalitĂ© de l’impĂ©ratrice se dessine davantage que ses traits physiques. [F]igure en vĂȘtements blancs, aussi simples que peuvent l’ĂȘtre ceux d’une femme », portant les lourdes tresses qu’exigeait la mode » p. 95-96, Plotine est surtout le visage de la dignitĂ©, du respect et de l’amitiĂ©. L’une des images les plus emblĂ©matiques du personnage se situe lors de la scĂšne du bĂ»cher de Trajan Calme, distante, un peu creusĂ©e par la fiĂšvre, elle demeurait comme toujours clairement impĂ©nĂ©trable » p. 105 et c’est son beau silence » p. 121 et son effacement qui fondent paradoxalement son omniprĂ©sence dans la vie d’Hadrien comme dans le roman. ApprĂ©ciĂ©e pour ses silences, [...] ses paroles mesurĂ©es qui n’étaient jamais que des rĂ©ponses, et les plus nettes possible », ils partagent tous deux la passion d’orner, puis de dĂ©pouiller [leur] Ăąme, d’éprouver [leur] esprit Ă  toutes les pierres de touche » p. 95. Hadrien Ă©crit Elle inclinait Ă  la philosophie Ă©picurienne, ce lit Ă©troit, mais propre, sur lequel j’ai parfois Ă©tendu ma pensĂ©e. Le mystĂšre des dieux, qui me hantait, ne l’inquiĂ©tait pas ; elle n’avait pas non plus mon goĂ»t passionnĂ© des corps. Elle Ă©tait chaste par dĂ©goĂ»t du facile, gĂ©nĂ©reuse par dĂ©cision plutĂŽt que par nature, sagement mĂ©fiante, mais prĂȘte Ă  tout accepter d’un ami, mĂȘme ses inĂ©vitables erreurs p. 96. 72Celle qui a toujours Ă©tĂ© pour Hadrien un esprit, une pensĂ©e Ă  laquelle s’était mariĂ©e la [s]ienne » p. 182 trouve son pendant charnel avec AntinoĂŒs, dont le portrait physique est en revanche extrĂȘmement dĂ©veloppĂ©. 73Ce sont tout d’abord les portraits vĂ©ritables du jeune homme qui sont Ă©voquĂ©s, retraçant l’adoration d’Hadrien Il y a les statues et les peintures du jeune vivant, celles qui reflĂštent ce paysage immense et changeant qui va de la quinziĂšme Ă  la vingtiĂšme annĂ©e le profil sĂ©rieux de l’enfant sage ; cette statue oĂč un sculpteur de Corinthe a osĂ© garder le laisser-aller du jeune garçon qui bombe le ventre en effaçant les Ă©paules, la main sur la hanche, comme s’il surveillait au coin d’une rue une partie de dĂ©s. Il y a ce marbre oĂč Papias d’Aphrodisie a tracĂ© un corps plus que nu, dĂ©sarmĂ©, d’une fraĂźcheur fragile de narcisse. Et AristĂ©as a sculptĂ© sous mes ordres, dans une pierre un peu rugueuse, cette petite tĂȘte impĂ©rieuse et fiĂšre. p. 147 74Le portrait d’AntinoĂŒs se poursuit au travers des souvenirs d’Hadrien et il est rĂ©vĂ©lateur qu’à l’instar de Plotine, AntinoĂŒs, pourtant omniprĂ©sent, reste silencieux tant dans le roman que dans la diĂ©gĂšse [s]a prĂ©sence », Ă©crit Hadrien, Ă©tait extraordinairement silencieuse il m’a suivi comme un animal ou comme un gĂ©nie familier » p. 170. Hadrien dĂ©taille prĂ©cisĂ©ment cette beautĂ© si visible » p. 171 dans tout ce qu’elle a de changeant les figures que nous cherchons dĂ©sespĂ©rĂ©ment nous Ă©chappent ce n’est jamais qu’un moment... Je retrouve une tĂȘte inclinĂ©e sous une chevelure nocturne, des yeux que l’allongement des paupiĂšres faisait paraĂźtre obliques, un jeune visage large et comme couchĂ©. Ce tendre corps s’est modifiĂ© sans cesse, Ă  la façon d’une plante, et quelques-unes de ces altĂ©rations sont imputables au temps. L’enfant a changĂ© ; il a grandi. [...] La moue boudeuse des lĂšvres s’est chargĂ©e d’une amertume ardente, d’une satiĂ©tĂ© triste. En vĂ©ritĂ©, ce visage changeait comme si nuit et jour je l’avais sculptĂ©. p. 171 75Dans cette image d’Hadrien sculpteur se lit la tentation dĂ©miurgique soulignĂ©e plus haut en mĂȘme temps que s’exprime implicitement la part de culpabilitĂ© qui, plus tard, le rongera, comme s’il Ă©tait responsable du destin de sa crĂ©ature. 76Ainsi le monologue d’Hadrien est-il bien le portrait d’une voix » qui dresse Ă  son tour le portrait d’ĂȘtres ayant empli son existence sans pour autant que ces derniers puissent accĂ©der Ă  la parole dans le roman Plotine comme AntinoĂŒs demeurent des figures silencieuses. Pourtant, il pourrait sembler plus Ă©vident Ă  une femme Ă©crivain de donner la parole Ă  une voix fĂ©minine comme celle de Plotine. À ce titre, on a souvent interrogĂ© Marguerite Yourcenar sur la moindre importance des femmes dans ses textes et sur l’idĂ©e, qu’elle rejette scandalisĂ©e, qu’elle se serait cachĂ©e derriĂšre des voix d’hommes Dans MĂ©moires d’Hadrien, il s’agissait de faire passer une derniĂšre vision du monde antique vue par un de ses derniers grands reprĂ©sentants, et que cet ĂȘtre eĂ»t l’expĂ©rience du pouvoir suprĂȘme, celle de la guerre, celle d’immenses voyages, celle du grand commis occupĂ© de rĂ©formes Ă©conomiques et civiles aucune figure historique de femme n’était dans ces conditions-lĂ , mais Hadrien, dans une pĂ©nombre discrĂšte, a sa parĂšdre fĂ©minine. Je ne parle pas de quelques jeunes maĂźtresses, qui ont Ă©tĂ© pour lui une distraction, je parle de Plotine, la conseillĂšre et l’amie, avec qui le liait une amitiĂ© amoureuse », dit textuellement l’un des chroniqueurs antiques. YO, p. 271 77Dans les Carnets de notes, Marguerite Yourcenar explique dĂ©jĂ  cette [i]mpossibilitĂ© [...] de prendre pour figure centrale un personnage fĂ©minin, de donner, par exemple, pour axe Ă  [s]on rĂ©cit, au lieu d’Hadrien, Plotine ». La raison en est culturelle La vie des femmes est trop limitĂ©e, ou trop secrĂšte. Qu’une femme se raconte, et le premier reproche qu’on lui fera est de n’ĂȘtre plus femme. Il est dĂ©jĂ  assez difficile de mettre quelque vĂ©ritĂ© Ă  l’intĂ©rieur d’une bouche d’homme » p. 329. 78Enfin, en dĂ©pit de l’insistance de Marguerite Yourcenar sur la nĂ©cessitĂ© de faire silence en elle pour faire advenir la parole d’Hadrien, c’est par sa propre voix qu’elle insuffle la vie Ă  son personnage. Paola Ricciulli remarque ainsi que l’insistance sur le silence de l’auteur est trop marquĂ©e pour n’ĂȘtre pas suspecte. DerriĂšre la neutralitĂ© apparente, de discrĂštes traces de subjectivitĂ© transparaissent les goĂ»ts, les rĂ©flexions, le style communs au narrateur et Ă  l’auteur, visibles par exemple dans l’abondance des maximes, ou encore la langue elle-mĂȘme, trahissent cette communautĂ© de voix 35 Paola Ricciulli, Voix de l’auteur et voix du narrateur dans MĂ©moires d’Hadrien », dans Hadrien o ... Le vĂ©hicule de la communication est donc la langue de l’auteur et non celle du narrateur. Il ne s’agit pas lĂ  d’une intervention » nĂ©gligeable de la part de Yourcenar si l’on considĂšre l’ensemble des fonctions et des valeurs » exprimĂ©es, mĂȘme indirectement, par la langue. Un choix dictĂ© certainement par l’immense difficultĂ© de faire parler entre eux les gens de l’AntiquitĂ© », mais qui transforme, objectivement, ce chant intime » en un chant Ă  deux voix »35. 79Ainsi ce portrait d’une voix », traversĂ© par des visages, figures omniprĂ©sentes mais silencieuses, comme autant d’ombres portĂ©es sur l’existence d’Hadrien, se veut-il plongĂ©e dans l’intĂ©rioritĂ© protĂ©iforme d’un ĂȘtre auquel l’auteur prĂȘte sa voix. À travers la reconstitution de ces souvenirs, Marguerite Yourcenar cherche Ă  saisir Hadrien toute la complexitĂ© de ce qui le fait individu, personnage, homme 36 La citation est extraite de Mishima ou la vision du vide. 37 Yves-Alain Favre, Conscience du sacrĂ© et sacrĂ© de la conscience dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourc ... tout d’abord l’individu, changeant, Ă©pars et contradictoire, qui tantĂŽt se cache et tantĂŽt se rend visible, vĂ©ritable ProtĂ©e qui demeure difficile Ă  saisir ; ensuite le personnage, forgĂ© par l’individu et destinĂ© Ă  servir de masque ou d’écran afin de se protĂ©ger ou de sciemment provoquer autrui ; on peut aisĂ©ment le dĂ©finir, mais il n’apporte guĂšre de rĂ©vĂ©lation dĂ©cisive. En fin, plus profondĂ©ment, l’homme rĂ©el et ce ce secret impĂ©nĂ©trable qui est celui de toute vie36 ». Cette essence de l’ĂȘtre reste Ă©nigmatique pour autrui ; le terme d’ impĂ©nĂ©trable » montre bien qu’il s’agit d’un secret, donc d’une rĂ©alitĂ© sacrĂ©e, qui Ă©chappe Ă  toute prise de l’intelligence37. 80C’est prĂ©cisĂ©ment dans cette triple perception de l’ĂȘtre que se dessine l’universalitĂ© Ă  laquelle aspire Marguerite Yourcenar est-ce Ă  dire qu’en dĂ©pit d’une inscription historique forte, MĂ©moires d’Hadrien porte la trace de l’éternitĂ© ? Le grand pan n’est pas mort 38 Voir Philippe Borgeaud, La mort du grand Pan. ProblĂšmes d’interprĂ©tation », Revue de l’histoire ... 81Au IIe siĂšcle aprĂšs JĂ©sus-Christ, Plutarque annonce, dans un passage Ă©nigmatique de son traitĂ© Sur la disparition des oracles, la mort du grand Pan38 », figure du paganisme et du Tout. En recrĂ©ant la vie d’un empereur contemporain de Plutarque, et qui fut son admirateur et son hĂŽte p. 87, Marguerite Yourcenar dĂ©montre exactement le contraire. Hadrien s’attache Ă  prĂ©server les traditions polythĂ©istes de la GrĂšce et de Rome, mais surtout il incarne la possibilitĂ© pour l’individu de se savoir partie d’un tout qui lui demeure accessible. Figure prismatique, reflet changeant du lecteur et de l’auteur, personnage insaisissable et voix encore audible, il atteste la porositĂ© des frontiĂšres de l’ĂȘtre. À travers le bĂątisseur du PanthĂ©on, et par la dĂ©marche mĂȘme qui prĂ©side Ă  son Ă©criture, Marguerite Yourcenar tĂ©moigne que Tout » est encore prĂ©sent Ă  qui sait le reconnaĂźtre. Hadrien, homme de tous les temps 82En rĂ©inventant les MĂ©moires d’un personnage historique, Marguerite Yourcenar peint une pĂ©riode bien prĂ©cise, et Ă  nulle autre pareille, ce IIe siĂšcle [...] des derniers hommes libres », dont elle admet dans les Carnets de notes que nous sommes peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  fort loin » p. 342. Mais la modalisation apportĂ©e par ce peut-ĂȘtre » en dit long sur l’aura d’éternitĂ© qui Ă©mane d’Hadrien. Marguerite Yourcenar choisit de redonner parole et vie Ă  un personnage Ă  la fois attachĂ© aux traditions dans ce qu’elles ont de plus fĂ©cond et de moins sclĂ©rosant – la pensĂ©e libre des Grecs –, et tournĂ© vers le progrĂšs au sens le plus simple et le plus noble du terme – la marche raisonnĂ©e de Rome et du monde Le moment semblait venu », estime-t-il, de réévaluer toutes les prescriptions anciennes dans l’intĂ©rĂȘt de l’humanitĂ© » p. 128. Dans cet ĂȘtre qui n’ignore ni les origines ni l’avenir de son monde, elle retrouve ainsi ce qu’il y a d’immuable en l’homme. Parce qu’il est soumis au temps et inscrit dans le temps, Hadrien peut devenir l’image de l’homme inchangĂ©, et l’auteur fait de ce paradoxe l’une des rĂšgles de son Ă©criture [...] prendre seulement ce qu’il y a de plus durable, de plus essentiel en nous, dans les Ă©motions des sens ou dans les opĂ©rations de l’esprit, comme point de contact avec ces hommes qui comme nous croquĂšrent des olives, burent du vin, s’engluĂšrent les doigts de miel, luttĂšrent contre le vent aigre et la pluie aveuglante, et cherchĂšrent en Ă©tĂ© l’ombre d’un platane, et jouirent, et pensĂšrent, et vieillirent, et moururent. p. 332 83Hadrien lui-mĂȘme possĂšde la conscience de cette permanence des Ă©motions et sensations humaines en ce qu’elles ont de plus pur et de plus simple, peut-ĂȘtre de plus instinctif. Par ses ancĂȘtres, et notamment son grand-pĂšre Marullinus, il se sent liĂ© Ă  des temps primitifs, mais non totalement disparus La duretĂ© presque impĂ©nĂ©trable de Marullinus remontait plus loin, Ă  des Ă©poques plus antiques. C’était l’homme de la tribu, l’incarnation d’un monde sacrĂ© et presque effrayant dont j’ai parfois retrouvĂ© les vestiges chez nos nĂ©cromanciens Ă©trusques », se souvient-il lorsqu’il commence Ă  relater son existence p. 40. Il pressent aussi la parentĂ© qui l’unit Ă  ceux qui viendront aprĂšs lui. Alors qu’il achĂšve son rĂ©cit, il songe au successeur encore lointain qui transformera le visage de Rome, mais ne s’en Ă©meut guĂšre Il hĂ©ritera de nos palais et de nos archives ; il diffĂ©rera de nous moins qu’on pourrait le croire » p. 314. Apaisante, cette conscience de la continuitĂ© n’est pourtant pas la marque d’un optimisme ou d’une confiance inconsidĂ©rĂ©s. On dĂ©cĂšle aussi chez l’empereur une forme de rĂ©signation, nĂ©e de la certitude que les plus tristes aspects de la condition humaine sont eux aussi inchangeables. Sa clairvoyance se fait souvent sombre, aussi ne s’illusionne-t-il pas sur les effets de ses tentatives de rĂ©former le sort des esclaves Je doute que toute la philosophie du monde parvienne Ă  supprimer l’esclavage on en changera tout au plus le nom. Je suis capable d’imaginer des formes de servitude pires que les nĂŽtres, parce que plus insidieuses soit qu’on rĂ©ussisse Ă  transformer les hommes en machines stupides et satisfaites, qui se croient libres alors qu’elles sont asservies, soit qu’on dĂ©veloppe chez eux, Ă  l’exclusion des loisirs et des plaisirs humains, un goĂ»t du travail aussi forcenĂ© que la passion de la guerre chez les races barbares. p. 129 84En un siĂšcle encore trĂšs prĂšs de la libre vĂ©ritĂ© du pied nu », l’empereur entrevoit dĂ©jĂ  les dĂ©formations Ă  venir, qui pourtant ne suffisent pas Ă  altĂ©rer la substance, la structure humaine » p. 333. 85La perception conjointe de l’immuable et du changeant permet Ă  Marguerite Yourcenar de faire de son personnage un homme de tous les temps, sans pour cela verser dans une indiffĂ©renciation des siĂšcles qui serait simplificatrice et mensongĂšre. Hadrien reflĂšte en vĂ©ritĂ© un certain mouvement de l’histoire, une disposition de l’esprit humain qui refait surface de distance en distance et assure la continuitĂ© en mĂȘme temps qu’elle la rĂ©vĂšle. Dans Les Yeux ouverts, Marguerite Yourcenar dit reconnaĂźtre en cet empereur somme toute si peu romain un homme d’un autre temps, bien plus prĂšs de nous que le typique empereur romain de SuĂ©tone, ou des films et des romans Ă  grand spectacle ; en un sens, c’est un homme de la Renaissance » YO, p. 152. MĂ©cĂšne avisĂ©, humaniste avant l’heure, Ă©pris de toutes les humanitĂ©s », voyageur libre et passionnĂ© de grandes dĂ©couvertes, Hadrien tient Ă  la fois de Laurent le Magnifique, d’Érasme et de Montaigne, et peut-ĂȘtre parfois, dans son pragmatisme politique, de Machiavel. Ces rencontres d’esprits, nĂ©anmoins, n’arrachent pas Hadrien Ă  son siĂšcle lui-mĂȘme signale que ses idĂ©aux sont fort partagĂ©s et relĂšvent d’un esprit des temps » Humanitas, Felicitas, Libertas ces beaux mots qui figurent sur les monnaies de mon rĂšgne, je ne les ai pas inventĂ©s. N’importe quel philosophe grec, presque tout Romain cultivĂ© se propose du monde la mĂȘme image que moi » p. 126. Mais c’est prĂ©cisĂ©ment parce qu’elle est en prise avec son Ă©poque tout en la dĂ©bordant que l’Ɠuvre d’Hadrien est grande et Ă©veille des rĂ©sonances renaissantes en faisant renaĂźtre la GrĂšce, en bĂątissant temples et bibliothĂšques, il assure l’un des relais qui permettront aux hommes du XVIe siĂšcle de faire Ă  leur tour renaĂźtre Rome. Conscient de travailler avec les hommes du passĂ©, il tend aussi la main Ă  ceux des siĂšcles futurs J’avais collaborĂ© avec les Ăąges, avec la vie grecque elle-mĂȘme ; l’autoritĂ© que j’exerçais Ă©tait moins un pouvoir qu’une mystĂ©rieuse puissance, supĂ©rieure Ă  l’homme, mais qui n’agit efficacement qu’à travers l’intermĂ©diaire d’une personne humaine ; le mariage de Rome et d’AthĂšnes s’était accompli ; le passĂ© reprenait un visage d’avenir p. 192. 86De renaissance en renaissance, l’action de quelques hommes d’exception sur la marche du temps permet d’espĂ©rer, en plein XXe siĂšcle, le retour d’un saeculum aureum » qui prendrait le visage de cette paix Ă  la fois fragile et exceptionnellement durable gagnĂ©e par Hadrien. Le personnage yourcenarien Ă©labore en effet une thĂ©orie de l’harmonie des peuples d’autant plus porteuse d’espoir qu’elle Ă©mane d’un pragmatique et non d’un utopiste [...] chaque heure d’accalmie Ă©tait une victoire, prĂ©caire comme elles le sont toutes ; chaque dispute arbitrĂ©e un prĂ©cĂ©dent, un gage pour l’avenir. Il m’importait assez peu que l’accord fut extĂ©rieur, imposĂ© du dehors, probablement temporaire je savais que le bien comme le mal est affaire de routine, que le temporaire se prolonge, que l’extĂ©rieur s’infiltre au-dedans, et que le masque, Ă  la longue, devient visage. Puisque la haine, la sottise, le dĂ©lire ont des effets durables, je ne voyais pas pourquoi la luciditĂ©, la justice, la bienveillance n’auraient pas les leurs. p. 111 87Ce prĂ©cĂ©dent » d’apaisement que reprĂ©sente le rĂšgne d’Hadrien acquiert un Ă©clat tout particulier en 1951, celui des rĂȘves que l’on croit sur le point de se rĂ©aliser. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la renaissance de la pax romana est plus que jamais dĂ©sirable et, reconsidĂ©rant son roman une trentaine d’annĂ©es aprĂšs sa parution, Marguerite Yourcenar admet l’avoir crue possible Les Nations unies, Ă  ce moment-lĂ , cela comptait. Enfin, on pouvait imaginer un manipulateur de gĂ©nie capable de rĂ©tablir la paix pendant cinquante ans, une pax americana ou europeana, peu importe. On ne l’a pas eu. Il ne s’est prĂ©sentĂ© que de brillants seconds. Mais, Ă  l’époque, j’avais la naĂŻvetĂ© de croire que c’était encore possible. On pouvait se dire qu’un homme plus intelligent, plus capable de naviguer dans une passe difficile, avait des chances de rĂ©ussite... Je me rends compte maintenant que c’était une illusion. C’est ce qui fait que je suis passĂ©e d’Hadrien Ă  L’ƒuvre au noir. Mais au temps oĂč j’écrivais MĂ©moires d’Hadrien, il Ă©tait possible d’espĂ©rer, pour une pĂ©riode trĂšs courte encore, dans cette euphorie qui suit la fin des guerres... YO, p. 149 88ƒuvre en apparence si dĂ©tachĂ©e de son siĂšcle, MĂ©moires d’Hadrien s’avĂšre ainsi ĂȘtre le fruit d’une explosion de violence – Avoir vĂ©cu dans un monde qui se dĂ©fait m’enseignait l’importance du Prince », reconnaĂźt l’auteur p. 328 – et d’une Ă©troite pĂ©riode d’espĂ©rance. En ce sens, le roman est bien un reflet de son temps. Il ne s’agit pas pour Marguerite Yourcenar de tendre Ă  ses contemporains un miroir idĂ©al de leur Ă©poque – son personnage lui-mĂȘme rĂ©cuse tout idĂ©alisme La paix Ă©tait mon but, mais point du tout mon idole ; le mot mĂȘme d’idĂ©al me dĂ©plairait comme trop Ă©loignĂ© du rĂ©el » p. 111. Sans doute songe-t-elle moins encore Ă  offrir aux hommes d’État de son temps un modĂšle de bon gouvernement elle ne s’attendait guĂšre Ă  ce que son livre soit lu, moins encore Ă  ce qu’il soit compris Seuls, quelques amateurs de destinĂ©e humaine comprendront », Ă©crit-elle dans les Carnets de notes p. 340. Elle n’en tĂ©moigne pas moins d’une foi peut-ĂȘtre passagĂšre mais qui traduit la survivance d’une ambition humaine jamais tout Ă  fait Ă©teinte dans le personnage d’Hadrien perdurent et renaissent les espoirs de l’empereur qui rĂ©gnait sur les derniers hommes libres ». Homo sum... 39 TĂ©rence, L’HĂ©autontimoroumĂ©nos, dans ComĂ©dies II, J. Marouzeau et J. GĂ©rard trad., Paris, Les Be ... 89Homme de tous les temps, Hadrien le multiple est aussi potentiellement tous les hommes. L’empereur pourrait faire sienne la phrase cĂ©lĂšbre de l’ancien esclave TĂ©rence Homo sum ; nihil a me alienum puto39 » il est homme, et rien de ce qui est humain ne semble lui ĂȘtre Ă©tranger. Humanistes, les MĂ©moires d’Hadrien le sont par leurs affinitĂ©s avec le courant de pensĂ©e renaissant, mais aussi plus immĂ©diatement par l’attention soutenue et souvent humble que le narrateur accorde Ă  l’humain. Sans cesse en mouvement, mais symboliquement au centre de l’empire et de tout, Hadrien interroge sa place et sa mesure d’homme, ouvrant ainsi l’humanisme sur un universalisme. L’aventure humaine » 90 En un sens, toute vie racontĂ©e est exemplaire », Ă©crit Marguerite Yourcenar dans les Carnets de notes p. 342, avant de souligner les dangers que fait courir au biographe un propos exclusivement dĂ©monstratif le propos y perd de ses nĂ©cessaires nuances, la vie racontĂ©e » de sa complexitĂ©. De quoi Hadrien, grand homme, certes, mais homme faillible, est-il l’exemple ? Les Carnets de notes suggĂšrent peu aprĂšs une rĂ©ponse Ă  la fois simple et paradoxale il est celui qui a, par excellence et pleinement, vĂ©cu l’aventure humaine » ibid., exemplaire moins par l’exceptionnel statut qui le distingue des autres hommes que par sa facultĂ© Ă  ĂȘtre Ă  la fois lui-mĂȘme et eux tous. Alors qu’il s’apprĂȘte Ă  retracer son existence, il rĂ©sume par la nĂ©gative cette ambivalence fĂ©conde TantĂŽt ma vie m’apparaĂźt banale, au point de ne pas valoir d’ĂȘtre, non seulement Ă©crite, mais mĂȘme un peu longuement contemplĂ©e, nullement plus importante, mĂȘme Ă  mes propres yeux, que celle du premier venu. TantĂŽt elle me semble unique, et par lĂ  mĂȘme sans valeur, inutile, parce qu’impossible Ă  rĂ©duire Ă  l’expĂ©rience du commun des hommes p. 34. 91Par cette dualitĂ©, les MĂ©moires d’Hadrien mettent au jour ce que l’on pourrait nommer l’extraordinaire banalitĂ© – ou l’ordinaire exception – de chaque expĂ©rience. L’existence d’un empereur tout comme celle d’un homme obscur », tel le NathanaĂ«l du dernier roman de Marguerite Yourcenar, porte en elle une irrĂ©ductible unicitĂ© en mĂȘme temps que la marque du destin commun. Et que le protagoniste soit dotĂ© d’une position et d’une luciditĂ© d’exception ne fait que rendre plus perceptible cette tension. 40 Comme l’eau qui coule est le titre donnĂ© par Marguerite Yourcenar au recueil qui regroupe Anna, so ... 92Son aventure », Hadrien la mĂšne en effet au sens Ă©tymologique du terme il traverse tout ce qui doit advenir » dans une vie d’homme, plaisir et souffrance, bonheur et dĂ©tresse, amour, passion, deuil et maladie. L’imminence de son dĂ©cĂšs le rend mĂȘme apte Ă  tĂ©moigner de cette grande aventure commune qu’est la mort, aventure dans laquelle chaque ĂȘtre est en permanence engagĂ©, mais qui demeure gĂ©nĂ©ralement inconnaissable et donc indicible Dire que mes jours sont comptĂ©s ne signifie rien ; il en fut toujours ainsi ; il en est ainsi pour nous tous », admet l’empereur mourant p. 12. Mais aussitĂŽt il identifie ce qui dĂ©jĂ  le sĂ©pare des vivants, tout en lui permettant de comprendre mieux qu’eux-mĂȘmes leur condition Mais l’incertitude du lieu, du temps, et du mode, qui nous empĂȘche de bien distinguer ce but vers lequel nous avançons sans cesse, diminue pour moi Ă  mesure que progresse ma maladie mortelle » ibid. S’il lui est ainsi donnĂ© de connaĂźtre le but » de toute aventure humaine », Hadrien a aussi l’humilitĂ© d’en accepter l’absence, non pas de sens, mais de direction perceptible. Bien qu’il ait savamment construit sa carriĂšre impĂ©riale, il se sait aussi confusĂ©ment formĂ© par les remous d’un sort dont il n’a pas la maĂźtrise Je perçois bien dans cette diversitĂ©, dans ce dĂ©sordre, la prĂ©sence d’une personne, mais sa forme semble presque toujours tracĂ©e par la pression des circonstances ; ses traits se brouillent comme une image reflĂ©tĂ©e sur l’eau » p. 33. Narcisse dĂ©tournĂ© de sa propre contemplation par les rapides d’une vie qui passe comme l’eau qui coule40 », Hadrien est Ă  mĂȘme d’apercevoir, au-delĂ  du miroir des apparences, son insaisissable visage d’homme. Ses aveux d’impuissances sont en ce sens les meilleurs rĂ©vĂ©lateurs de sa clairvoyance il sait sa vue bornĂ©e et brouillĂ©e, mais le fait mĂȘme d’en avoir conscience, et de comprendre le pourquoi de cette dĂ©faillance, est dĂ©jĂ  un correctif, ainsi que le suggĂšrent les derniĂšres analyses, rĂ©signĂ©es et lucides, d’ Animula vagula blandula » [...] l’esprit humain rĂ©pugne Ă  s’accepter des mains du hasard, Ă  n’ĂȘtre que le produit passager de chances auxquelles aucun dieu ne prĂ©side, surtout pas lui-mĂȘme. Une partie de chaque vie, et mĂȘme de chaque vie fort peu digne de regard, se passe Ă  rechercher les raisons d’ĂȘtre, les points de dĂ©part, les sources. p. 35 93L’Hadrien yourcenarien ne diffĂšre en somme des autres hommes que par le fait de se savoir tout Ă  fait homme, sans fausse modestie ni fatuitĂ©. Aussi affirme-t-il sereinement sa supĂ©rioritĂ© Il n’y a qu’un seul point sur lequel je me sens supĂ©rieur aux autres hommes je suis tout ensemble plus libre et plus soumis qu’ils n’osent l’ĂȘtre. Presque tous mĂ©connaissent Ă©galement leur juste libertĂ© et leur vraie servitude » p. 52. 94ReconnaĂźtre en l’autre son semblable ne signifie pas nĂ©cessairement le connaĂźtre ou le comprendre, ni mĂȘme se connaĂźtre ou se comprendre Tout nous Ă©chappe, et tous, et nous-mĂȘmes », Ă©crit Marguerite Yourcenar p. 331, et elle confĂšre cette certitude Ă  son personnage. Mais c’est s’offrir la possibilitĂ© d’entrer, mĂȘme passagĂšrement, dans la vie d’un autre, et de dĂ©couvrir ainsi une autre facette de l’humain. Hadrien paraĂźt en effet douĂ© de la facultĂ© de cerner au plus prĂšs mĂȘme ceux qui diffĂšrent radicalement de lui, et peut-ĂȘtre surtout ceux qui diffĂšrent de lui. Trop proche, AntinoĂŒs lui demeure illisible il semble Ă  l’empereur que, par son dĂ©vouement mĂȘme, le favori abdique en quelque sorte une part de son altĂ©ritĂ© Je m’émerveillais de cette dure douceur ; de ce dĂ©vouement sombre qui engageait tout l’ĂȘtre. Et pourtant, cette soumission n’était pas aveugle ; ces paupiĂšres si souvent baissĂ©es dans l’acquiescement ou dans le songe se relevaient ; les yeux les plus attentifs du monde me regardaient en face ; je me sentais jugĂ©. Mais je l’étais comme un dieu l’est par son fidĂšle mes duretĂ©s, mes accĂšs de mĂ©fiance car j’en eus plus tard Ă©taient patiemment, gravement acceptĂ©s. Je n’ai Ă©tĂ© maĂźtre absolu qu’une fois, et que d’un seul ĂȘtre. p. 171 95MĂȘme au-delĂ  de la mort, AntinoĂŒs demeure ce bel Ă©tranger que reste malgrĂ© tout chaque ĂȘtre qu’on aime » p. 189. Bien plus accessibles en revanche sont les ĂȘtres que tout, a priori, Ă©loigne d’Hadrien. Il parvient ainsi Ă  observer dans toute sa vĂ©ritĂ© la maĂźtresse infidĂšle Ă  laquelle il offre de quoi acheter l’amour d’un autre, le danseur Bathylle Elle s’assit par terre, petite figure nette de joueuse d’osselets, vida le sac sur le pavement, et se mit Ă  diviser en tas le luisant monceau. Je savais que pour elle, comme pour nous tous, prodigues, ces piĂšces d’or n’étaient pas des espĂšces trĂ©buchantes marquĂ©es d’une tĂȘte de CĂ©sar, mais une matiĂšre magique, une monnaie personnelle, frappĂ©e Ă  l’effigie d’une chimĂšre, au coin du danseur Bathylle. Je n’existais plus. Elle Ă©tait seule. Presque laide, plissant le front avec une dĂ©licieuse indiffĂ©rence Ă  sa propre beautĂ©, elle faisait et refaisait sur ses doigts, avec une moue d’écolier, les additions difficiles. Elle ne m’a jamais tant charmĂ©. p. 78 96De mĂȘme que l’homme riche sait comprendre la femme qui a d’immenses besoins d’argent » ibid., le maĂźtre de Rome devine les motivations et les rĂ©actions de l’obscur esclave des mines de Tarragone qui cherche Ă  le tuer Point illogiquement, il se vengeait sur l’empereur de ses quarante-trois ans de servitude. Je le dĂ©sarmai facilement ; sa fureur tomba ; il se transforma en ce qu’il Ă©tait vraiment, un ĂȘtre pas moins sensĂ© que les autres, et plus fidĂšle que beaucoup » p. 128. Dans une moindre mesure, il parvient mĂȘme Ă  se rapprocher de l’ennemi par excellence, Bar Kochba. La rĂ©volte juive dont ce dernier est le meneur lui est incomprĂ©hensible, mais l’ascension de l’ aventurier » de JĂ©rusalem n’est peut-ĂȘtre pas sans rapport avec la sienne Je ne puis juger ce Simon que par ouĂŻ-dire ; je ne l’ai vu qu’une fois face Ă  face, le jour oĂč un centurion m’apporta sa tĂȘte coupĂ©e. Mais je suis disposĂ© Ă  lui reconnaĂźtre cette part de gĂ©nie qu’il faut toujours pour s’élever si vite et si haut dans les affaires humaines ; on ne s’impose pas ainsi sans possĂ©der au moins quelque habiletĂ© grossiĂšre. p. 254 97Partiellement opaque Ă  lui-mĂȘme, Hadrien n’en est que plus capable de percer l’opacitĂ© des autres, ne serait-ce que parce qu’il la respecte. Sans s’exagĂ©rer les ressemblances ni les diffĂ©rences, il s’éprouve ainsi homme parmi les hommes, et admet je suis comme eux, du moins par moments, ou j’aurais pu l’ĂȘtre » p. 51. En lui, Marguerite Yourcenar construit un personnage exemplairement homme. Hommes et bĂȘtes 41 Sur ce sujet, voir Loredana Primozich, Kou-Kou-HaĂŻ ou le rĂȘve de de l’universel », dans Maria Jo ... 42 Cette couverture et cette dĂ©froque pendue Ă  un clou sentaient le suint, le lait et le sang. Ces ... 43 MĂȘme les Ăąges, les sexes, et jusqu’aux espĂšces, lui paraissaient plus proches qu’on ne le croit ... 44 RĂ©my Poignault, Hadrien, le limes et l’exil », dans Marguerite Yourcenar, Cume an spearwa... » ... 98Les efforts de comprĂ©hension d’Hadrien ne se circonscrivent toutefois pas Ă  l’homme ; ils tendent Ă  s’ouvrir Ă  tout ce qui l’entoure. Si l’humain se dĂ©finit pour une part dans son rapport au divin, il ne trouve son exacte place qu’en s’inscrivant dans le monde naturel. Cette prĂ©occupation, constante chez Marguerite Yourcenar, s’est exprimĂ©e dans ses prises de position Ă©cologistes et ses engagements en faveur de la cause animale, mais Ă©galement dans son Ɠuvre littĂ©raire, depuis Suite d’estampes pour Kou-Kou-HaĂŻ », texte poĂ©tique composĂ© en 1927 en hommage Ă  l’un de ses chiens dont elle fait une figure de l’universel41, jusqu’à sa confĂ©rence du 8 avril 1981 intitulĂ©e, d’aprĂšs l’EcclĂ©siaste, Qui sait si l’ñme des bĂȘtes s’en va en bas ? » et publiĂ©e dans Le Temps, ce grand sculpteur. La thĂ©matique demeure relativement discrĂšte dans MĂ©moires d’Hadrien l’auteur se garde de projeter sur son personnage ses engagements personnels. Hadrien ne va pas jusqu’aux mĂ©ditations de ZĂ©non, qui retrouve dans chaque objet l’ĂȘtre dont il provient42, ou de NathanaĂ«l qui fraternise avec tout ce qui existe43. Il lui arrive nĂ©anmoins de communier avec les Ă©lĂ©ments lorsque, malade, le plaisir de la nage lui est dĂ©fendu, il parvient Ă  le revivre en pensĂ©e et Ă  dĂ©passer le souvenir des sensations humaines pour se fondre dans une eau dont il Ă©prouve ainsi la libre mobilitĂ© Il y eut des moments oĂč cette comprĂ©hension s’efforça de dĂ©passer l’humain, alla du nageur Ă  la vague » p. 15. Il exauce alors mieux que jamais son propre vƓu d’immersion dans le Tout, Ă©voquĂ© par RĂ©my Poignault Le personnage de Marguerite Yourcenar, dans un souci d’indĂ©pendance, souhaiterait abolir toutes les limites ainsi l’humain, atteignant l’universel, coĂŻncidant avec le Tout, il n’y aura plus aucune possibilitĂ© ouverte Ă  un quelconque exil44 » – instant sans doute miraculeux pour un homme immobilisĂ© qui se meurt d’hydropisie. 99C’est cependant surtout dans son rapport au rĂšgne animal qu’Hadrien s’avĂšre capable de franchir les limites de l’humain. FĂ©ru d’art cynĂ©gĂ©tique, il exerce dans la chasse une violence instinctive qui traduit son amour d’une faune qu’il respecte et divinise. Ainsi affirme-t-il avoir toujours entretenu avec la Diane des forĂȘts les rapports changeants et passionnĂ©s d’un homme avec l’objet aimĂ© » p. 13. Tuer une proie n’est pas, dans l’esprit du chasseur, le moyen d’affirmer la suprĂ©matie des hommes sur les bĂȘtes, mais au contraire une maniĂšre de s’égaler Ă  elles, en rĂ©intĂ©grant le cycle naturel des vies et des morts. Hadrien renoue avec d’ancestrales reprĂ©sentations du chasseur lorsqu’il dĂ©taille l’émotion qui le saisit au passage d’un cerf MĂȘme ici, Ă  Tibur, l’ébrouement soudain d’un cerf sous les feuilles suffit [...] Ă  faire tressaillir en moi un instinct plus ancien que tous les autres, et par la grĂące duquel je me sens guĂ©pard aussi bien qu’empereur » p. 14. Mieux encore que la bĂȘte sauvage, l’animal domestiquĂ© enseigne Ă  l’homme ce qu’il est profondĂ©ment un fauve n’est qu’un adversaire, mais un cheval Ă©tait un ami », se souvient Hadrien ibid. Le cheval BorysthĂšnes, auquel l’Hadrien historique fit Ă©lever un tombeau et dont le nom est donnĂ© Ă  un village p. 304, paraĂźt occuper dans la vie de l’empereur une place aussi importante que CĂ©ler, ami des derniĂšres annĂ©es et aide de camp chargĂ© des montures de l’empereur vieillissant. La parfaite docilitĂ© du cheval repose en effet sur une comprĂ©hension Ă©troite et rĂ©ciproque entre l’homme et l’animal il savait exactement, et mieux que moi peut-ĂȘtre, le point oĂč ma volontĂ© divorçait d’avec ma force » p. 15. GrĂące Ă  lui, Hadrien semble bien avoir Ă©tĂ© par instant cette crĂ©ature hybride dans laquelle il projette son moi idĂ©al Si l’on m’avait laissĂ© le choix de ma condition, j’eusse optĂ© pour celle de Centaure », affirme-t-il p. 14 – et l’allusion mythologique est ici bien plus qu’une hyperbole destinĂ©e Ă  traduire la passion de l’art Ă©questre. 45 Cette image de Lucius a-t-elle Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©e Ă  Marguerite Yourcenar par la performance rĂ©volutionna ... 46 Voir la signification que Victor Hugo confĂšre Ă  cette figure mythologique dans Le Satyre » prem ... 100À l’image de cet autoportrait en Centaure, les comparaisons et mĂ©taphores choisies par le narrateur traduisent sa perception des ĂȘtres, et d’un monde oĂč les frontiĂšres sont tĂ©nues entre l’humain et l’animal. Pour traduire la lĂ©gĂšretĂ© et l’effronterie capricantes du jeune Lucius, Hadrien Ă©voque un demi-dieu aux pieds et cornes de bouc ce jeune faune dansant45 occupa six mois de ma vie » p. 122. La silhouette de Pan, en qui se rejoignent animalitĂ© et humanitĂ©46, et auquel les faunes sont apparentĂ©s, se profile alors. C’est Ă©galement sous le signe de celui dont le nom signifie Tout » qu’est placĂ©e la rencontre avec AntinoĂŒs l’éraste remarque pour la premiĂšre fois l’éromĂšne lors d’une rĂ©union qui se dĂ©roule au bord d’une source consacrĂ©e Ă  Pan » p. 169. En compagnie de son favori, Hadrien s’adonne aux plaisirs de la musique, et joue - est-ce un hasard ? – de la flĂ»te, instrument associĂ© Ă  la figure mythologique de Pan p. 175. On ne s’étonne guĂšre que, placĂ© sous de tels auspices, le jeune Bythinien ne cesse d’ĂȘtre lui-mĂȘme dĂ©peint comme une crĂ©ature mi-humaine mi-animale. Hadrien voit en lui tantĂŽt un beau lĂ©vrier avide de caresses et d’ordres » p. 170, tantĂŽt un chevreau mis en prĂ©sence d’un reptile » p. 195, tantĂŽt un jeune faon » p. 194. Si ce rĂ©seau mĂ©taphorique suggĂšre le caractĂšre fragile et sauvage d’AntinoĂŒs, et met en relief l’autoritĂ© qu’exerce sur lui Hadrien, il est loin d’ĂȘtre le signe de l’incommunicabilitĂ© tragique qui peu Ă  peu sĂ©pare les deux hommes. Ces images d’animalitĂ© sont peut-ĂȘtre au contraire le peu que l’empereur a su saisir de son favori, fidĂšle et dĂ©vouĂ© jusqu’à s’assimiler lui-mĂȘme, par son suicide, Ă  l’un des animaux familiers d’Hadrien. Les prĂ©ceptes de la sorciĂšre de Canope, qu’AntinoĂŒs respecte Ă  la lettre, spĂ©cifient en effet que le sacrifice est d’autant plus efficace que la crĂ©ature immolĂ©e est proche du bĂ©nĂ©ficiaire Autant que possible », rappelle Hadrien, la victime devait m’avoir appartenu ; il ne pouvait s’agir d’un chien, bĂȘte que la superstition Ă©gyptienne croit immonde ; un oiseau eĂ»t convenu » p. 211. AntinoĂŒs fait tout d’abord l’offrande de son faucon, dont la petite tĂȘte ensommeillĂ©e et sauvage » p. 212 n’est pas sans rappeler le portrait qu’Hadrien trace du jeune homme. Il choisit ensuite de devenir lui-mĂȘme l’oiseau sacrifiĂ©, et se mĂ©tamorphose ainsi en un nouvel Osiris, dieu noyĂ© et pĂšre d’Horus, divinitĂ© solaire Ă  tĂȘte de faucon. Dans le regard d’Hadrien, dans le geste d’AntinoĂŒs, dans l’écriture de Marguerite Yourcenar, l’animal, l’homme et le dieu parfois se confondent, unissant l’individuel et l’universel. Vers un savoir universel 101Homme de la Renaissance avant l’heure, maĂźtre d’un monde mais aussi explorateur d’un monde plus vaste encore au regard duquel il questionne ses propres limites, Hadrien ressemble Ă  l’Adam Ă©voquĂ© par Pic de la Mirandole dans un extrait de l’Oratio de hominis dignitate placĂ© par Marguerite Yourcenar en Ă©pigraphe de L’ƒuvre au noir 47 L’ƒuvre au noir, op. cit., p. 10. Je ne t’ai donnĂ© ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ĂŽ Adam, afin que ton visage, ta place, et tes dons, tu les veuilles, les conquiĂšres et les possĂšdes par toi-mĂȘme. Nature enferme d’autres espĂšces en des lois par moi Ă©tablies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t’ai placĂ©, tu te dĂ©finis toi-mĂȘme. Je t’ai placĂ© au milieu de ce monde, afin que tu pusses mieux contempler ce que contient le monde. Je ne t’ai fait ni cĂ©leste ni terrestre, mortel ou immortel, afin que toi-mĂȘme, librement, Ă  la façon d’un bon peintre ou d’un sculpteur habile, tu achĂšves ta propre forme47. 48 De toutes choses connaissables », devise de Pic de la Mirandole. 102Amant passionnĂ© des statues, Hadrien se sculpte lui-mĂȘme par la Disciplina augusta » et la Patientia », mais Ă©galement par la contemplation et la connaissance, qui lui permettent d’amalgamer Ă  sa propre substance l’infinie diversitĂ© du monde. Humain aussi par ses faiblesses, l’Hadrien yourcenarien ne prĂ©tend pas pouvoir tĂ©moigner de omni re scibili48 » ; Ă  travers lui, Marguerite Yourcenar soulĂšve nĂ©anmoins la question de la possibilitĂ© mĂȘme d’un savoir qui tendrait vers l’universel. Libido sciendi... 103Les MĂ©moires d’Hadrien peuvent se lire comme la biographie d’un homme Ă©rudit recomposĂ©e par une femme qui ne l’est pas moins ; ils constituent donc, pour le lecteur, le mode d’accĂšs au savoir d’un ĂȘtre et de son temps, en mĂȘme temps qu’une source d’informations sur cet ĂȘtre et ce temps. Rien de documentaire pourtant dans l’Ɠuvre de Marguerite Yourcenar le savoir y vaut moins pour lui-mĂȘme que pour les rĂ©flexions qu’il suscite. 49 Voir Beatrice Ness, Mystification et crĂ©ativitĂ© dans l’Ɠuvre romanesque de Marguerite Yourcenar, ... 104L’existence mĂȘme de MĂ©moires d’Hadrien est le fruit d’un savoir livresque dont la Note finale permet de saisir l’ampleur et la profondeur rien de ce qui touche, de prĂšs ou de loin, Ă  Hadrien n’a semble-t-il Ă©chappĂ© Ă  Marguerite Yourcenar, qui Ă©numĂšre minutieusement ses sources, et justifie jusqu’aux moindres dĂ©tails de son Ɠuvre, expliquant par exemple que le nom d’ArĂ©tĂ©, bien qu’ arbitrairement [...] donnĂ© Ă  l’intendante de le Villa », provient d’un poĂšme authentique d’Hadrien » p. 351. C’est de l’authenticitĂ© de sa reconstitution » que l’auteur tĂ©moigne en dĂ©voilant l’immense travail d’érudition qui sous-tend le rĂ©cit, persuadĂ©e que sa valeur humaine est [...] singuliĂšrement augmentĂ©e par la fidĂ©litĂ© aux faits » p. 350. Le savoir, et l’accĂšs Ă  la vĂ©ridicitĂ© qui en Ă©mane, seraient donc des valeurs » humaines et littĂ©raires donnant au rĂ©cit son poids, Ă  l’écriture son prix, et Ă  l’auteur sa raison d’ĂȘtre elle a le sentiment d’appartenir Ă  une espĂšce de Gens Ælia, de faire partie de la foule des secrĂ©taires du grand homme, de participer Ă  cette relĂšve de la garde impĂ©riale que montent les humanistes et les poĂštes se relayant autour d’un grand souvenir » p. 344. Cependant Marguerite Yourcenar s’attache Ă  gommer autant que possible de son Ɠuvre les traces de ce savoir la Note est un texte tardif, qui ne lui a pas toujours paru indispensable aux MĂ©moires d’Hadrien et dont elle remet en cause l’utilitĂ©, alors mĂȘme qu’elle la publie Une reconstitution du genre de celle qu’on vient de lire [...] touche par certains cĂŽtĂ©s au roman et par d’autres Ă  la poĂ©sie ; elle pourrait donc se passer de piĂšces justificatives » p. 351. InterrogĂ©e sur ses mĂ©thodes de travail par Matthieu Galey, elle nie avoir effectuĂ© des recherches systĂ©matiques en bibliothĂšque, et met en avant un long et profond processus d’imprĂ©gnation, qui n’a pas nĂ©cessairement Ă©tĂ© menĂ© en vue de la rĂ©daction des MĂ©moires d’Hadrien YO, p. 139-140 la passion de connaĂźtre est bien lĂ , mais non le dĂ©sir de savoir dans un but purement utilitaire. Dans le rĂ©cit lui-mĂȘme enfin, tout ce qui pourrait rappeler au lecteur le sous-bassement Ă©rudit de l’Ɠuvre disparaĂźt l’étude gĂ©nĂ©tique du roman49 rĂ©vĂšle que Marguerite Yourcenar, en mĂȘme temps qu’elle corrigeait ce que son lexique pouvait avoir de trop actuel, a supprimĂ© des fragments de texte consacrĂ©s Ă  la description des mƓurs romaines. 105Cette volontĂ© de fondre dans le creuset du livre la somme de connaissances qui entre dans sa composition relĂšve d’abord d’un souci de vraisemblance. Ce qui n’est accessible Ă  l’écrivain ou au lecteur du XXe siĂšcle que grĂące Ă  des fouilles presque archĂ©ologiques dans d’épaisses strates de tĂ©moignages et de documents est familier Ă  Hadrien et Ă  son correspondant rien ne justifierait donc que l’épistolier s’attarde longuement sur les realia du monde romain, moins encore qu’il s’attache Ă  les expliquer. Mais la dĂ©fiance que l’on perçoit chez Marguerite Yourcenar Ă  l’égard du substrat savant qu’elle considĂšre pourtant comme indispensable Ă  son Ă©criture a Ă©galement des raisons plus profondes, dont la lettre d’Hadrien se fait l’écho. Apprendre tout ne suffit pas Ă  tout savoir, telle semble ĂȘtre la conviction partagĂ©e par l’auteur et son personnage. Avant d’entreprendre le rĂ©cit de son existence, Hadrien examine en effet les moyens de connaissance qui s’offrent Ă  lui pour parler au plus juste, et les dĂ©clare tous imparfaits Comme tout le monde, je n’ai Ă  mon service que trois moyens d’évaluer l’existence humaine l’étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus fĂ©conde des mĂ©thodes ; l’observation des hommes, qui s’arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu’ils en ont ; les livres, avec les erreurs particuliĂšres de perspectives qui naissent entre leurs lignes. p. 30 106S’il dĂ©clare prĂ©fĂ©rer la connaissance par les livres Ă  l’observation directe des hommes », mĂ©thode moins complĂšte encore » p. 31, il juge lacunaire par nature le savoir livresque, qui ne fait sens qu’au regard de l’expĂ©rience la vie [lui] a Ă©clairci les livres » p. 30, et ses rĂ©serves rejoignent et explicitent tout Ă  la fois l’attitude prudente de Marguerite Yourcenar Ă  l’égard de ses sources. Selon Hadrien, l’écrit, transmutation du rĂ©el, n’en retient qu’un reflet fragmentaire ou Ă©purĂ©, c’est-Ă -dire nĂ©cessairement faussĂ©, gauchi Je m’accommoderais fort mal d’un monde sans livres, mais la rĂ©alitĂ© n’est pas lĂ , parce qu’elle n’y tient pas tout entiĂšre », rĂ©sume-t-il p. 31. 50 Les philosophes font subir Ă  la rĂ©alitĂ©, pour pouvoir l’étudier pure, Ă  peu prĂšs les mĂȘmes trans ... 107Livre bĂąti avec et sur des livres, les MĂ©moires d’Hadrien disent la passion de lire, le caractĂšre indispensable de la lecture, les pouvoirs du livre, et notamment de la fiction Ă  propos des contes, Hadrien admet bien que ces derniers soient rĂ©putĂ©s frivoles, je leur dois peut-ĂȘtre plus d’informations que je n’en ai recueilli dans les situations assez variĂ©es de ma propre vie » p. 30. Marguerite Yourcenar, et Hadrien plus encore, qui vit Ă  une Ă©poque oĂč une culture exhaustive est encore possible, semblent avoir lu tous les livres » J’ai lu Ă  peu prĂšs tout ce que nos historiens, nos poĂštes, et mĂȘme nos conteurs ont Ă©crit », affirme l’empereur ibid. Ils y puisent un savoir immense, mais aussi la conscience aiguĂ« de ce qui leur Ă©chappe les livres, lieu de naissance de l’Hadrien pensant qui a pu y port[er] pour la premiĂšre fois un coup d’Ɠil intelligent sur soi-mĂȘme » p. 43, ne suffisent cependant pas Ă  lui expliquer sa propre vie. De mĂȘme, pour Marguerite Yourcenar recomposant l’homme qu’il a Ă©tĂ©, Hadrien n’est pas, ou n’est plus, ou n’est pas tout entier dans les livres qui le dĂ©peignent, ni mĂȘme dans les textes qu’il a Ă©crit. Est-il davantage dans MĂ©moires d’Hadrien ? Le roman peut-il autre chose qu’approcher la vĂ©ritĂ© d’un ĂȘtre tout en suggĂ©rant honnĂȘtement, sinon sa propre vanitĂ©, du moins ses limites ? Les impressions Ă©prouvĂ©es par le lecteur et par l’auteur elle-mĂȘme au cours de son travail laissent Ă  penser que oui. Hadrien parle Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi », disent les Carnets de notes, p. 330, il ment, parfois À de certains moments, d’ailleurs peu nombreux, il m’est mĂȘme arrivĂ© de sentir que l’empereur mentait. Il fallait alors le laisser mentir, comme nous tous », p. 341 et, parce qu’il ment, s’affranchit ce cette rĂ©alitĂ© pure mais atomisĂ©e des philosophes que lui-mĂȘme rĂ©cuse50 le temps d’une lecture, Hadrien existe, parce qu’à l’amour du savoir et de la sagesse se mĂȘlent, dans l’écriture de Marguerite Yourcenar, d’autres amours. ... et magie sympathique » 108La connaissance, et en particulier la connaissance de l’autre ses contemporains pour Hadrien, et Hadrien lui-mĂȘme pour Marguerite Yourcenar, ne relĂšve en effet pas exclusivement de la saisie intellectuelle. Elle peut aussi ĂȘtre le fruit d’une rencontre plus intuitive, presque d’ordre mystique. À seize ans, Hadrien apprend du mĂ©decin LĂ©otichyde, esprit positif et adepte d’une mĂ©thode empirique Ă  prĂ©fĂ©rer les choses aux mots » p. 47. C’est pourtant bien grĂące aux mots, et plus prĂ©cisĂ©ment grĂące Ă  la rhĂ©torique, qu’il a dĂ©couvert peu auparavant la facultĂ© de devenir autre par un effort de l’esprit Quant aux exercices de rhĂ©torique oĂč nous Ă©tions successivement XerxĂšs et ThĂ©mistocle, Octave et Marc-Antoine, ils m’enivrĂšrent ; je me sentis ProtĂ©e. Il m’apprirent Ă  entrer tour Ă  tour dans la pensĂ©e de chaque homme, Ă  comprendre que chacun dĂ©cide, vit et meurt selon ses propres lois. p. 44 51 Edith Marcq, L’empathie ou une maniĂšre d’écriture yourcenarienne », dans Marguerite Yourcenar, Ă© ... 109L’ivresse Ă  la fois naĂŻve et profonde de l’étudiant grec » n’est pas sans lien avec les rituels d’écriture mis en place par Marguerite Yourcenar elle-mĂȘme, que les mots mĂšnent aux choses et aux ĂȘtres. La connaissance Ă©rudite et aussi exhaustive que possible de son sujet lui offre en effet la possibilitĂ© d’une intimitĂ© vĂ©ritable avec les ĂȘtres qu’elle Ă©voque comme on Ă©voque un esprit. Les Carnets de notes dĂ©crivent une mĂ©thode dans laquelle savoir et sensation sont indissociables, et qui conduit Ă  un contact, Ă  une communication, voire Ă  une communion avec ce qui Ă©chappe Ă  l’intellect Un pied dans l’érudition, l’autre dans la magie, ou plus exactement, et sans mĂ©taphore, dans cette magie sympathique qui consiste Ă  se transporter en pensĂ©e Ă  l’intĂ©rieur de quelqu’un » p. 330. Pour que les MĂ©moires d’Hadrien dĂ©passent l’aporie des livres oĂč la rĂ©alitĂ© n’entre pas tout entiĂšre », il ne suffit pas de tout savoir de l’empereur l’auteur Ă©prouve Ă©galement le besoin de sentir avec lui, de sentir en lui ce qu’il a Ă©tĂ©. La sympathie est alors Ă  entendre dans son sens le plus courant comme dans son sens Ă©tymologique la magie » sans doute, ne saurait opĂ©rer sans certaines affinitĂ©s Ă©lectives qui unissent la crĂ©atrice et son personnage, mais elle consiste Ă  participer Ă  ses joies, Ă  ses peines, Ă  ses passions, Ă  Ă©prouver les propres lois » de l’autre, Ă  un tel degrĂ© que l’on a pu qualifier d’empathique l’écriture yourcenarienne51. 110Et peut-ĂȘtre est-ce par ce goĂ»t et cette facultĂ© de se fondre en l’autre que Marguerite Yourcenar rejoint le plus Ă©troitement le personnage qu’elle rĂ©invente. Il s’agit lĂ  en effet de l’une des prĂ©occupations constantes d’Hadrien tel qu’elle le reprĂ©sente, tel qu’elle dit l’avoir entendu. Tout au long de son existence, il semble chercher Ă  retrouver l’éblouissement causĂ© par les exercices de rhĂ©torique qui avaient ressuscitĂ© en lui d’illustres disparus. Mais le prodige, alors, s’étend aux vivants comme aux morts, aux intimes comme aux inconnus, et potentiellement Ă  tout ĂȘtre. Lorsqu’il s’agit d’AntinoĂŒs, ces tentatives achoppent les marbres les plus criants de ressemblance ne peuvent redonner vie au dĂ©funt, les efforts les plus douloureux pour retrouver ses ultimes sensations ne peuvent permettre Ă  l’endeuillĂ© de vivre sa mort Je reconstituais le flĂ©chissement de la passerelle sous les pas pressĂ©s, la berge aride, le dallage plat ; le couteau qui scie une boucle au bord de la tempe ; le corps inclinĂ© ; la jambe qui se replie pour permettre Ă  la main de dĂ©nouer la sandale ; une maniĂšre unique d’écarter les lĂšvres en fermant les yeux. Il avait fallu au bon nageur une rĂ©solution dĂ©sespĂ©rĂ©e pour Ă©touffer dans cette boue noire. l’essayai d’aller en pensĂ©e jusqu’à cette rĂ©volution par oĂč nous passerons tous, le coeur qui renonce, le cerveau qui s’enraye, les poumons qui cessent d’aspirer la vie. Je subirai un bouleversement analogue. Mais chaque agonie est diffĂ©rente ; mes efforts pour imaginer la sienne n’aboutissaient qu’à une fabrication sans valeur il Ă©tait mort seul. p. 223-224 111Le caractĂšre ineffable et incomprĂ©hensible de chaque mort n’est cependant peut-ĂȘtre pas le vĂ©ritable obstacle Ă  cette tentative de souffrir le trĂ©pas d’un autre. Marguerite Yourcenar dit s’y ĂȘtre essayĂ©e, et semble-t-il avec plus de succĂšs, puisque l’expĂ©rience de la mort revĂ©cue d’Hadrien a donnĂ© naissance aux derniĂšres pages du livre Le 26 dĂ©cembre 1950, par un soir glacĂ©, au bord de l’Atlantique, dans le silence presque polaire de l’Île des Monts DĂ©serts, aux États-Unis, j’ai essayĂ© de revivre la chaleur, la suffocation d’un jour de juillet 138 Ă  BaĂŻes, le poids du drap sur les jambes lourdes et lasses, le bruit presque imperceptible de cette mer sans marĂ©es arrivant çà et lĂ  Ă  un homme occupĂ© des rumeurs de sa propre agonie. J’ai essayĂ© d’aller jusqu’à la derniĂšre gorgĂ©e d’eau, le dernier malaise, la derniĂšre image. L’empereur n’a plus qu’à mourir. p. 342-343 112Si Hadrien ne peut faire l’expĂ©rience des derniers instants d’AntinoĂŒs, c’est plus vraisemblablement parce que la solitude extrĂȘme, par essence, ne se partage pas rejoindre le jeune homme, sympathiser avec lui dans son suicide impliquerait qu’il cesse d’ĂȘtre lui-mĂȘme, et Hadrien se montre attentif Ă  ne pas dĂ©naturer le dernier acte de son amant, dĂ»t-il pour cela renoncer Ă  le comprendre En prenant sur moi toute la faute, je rĂ©duis cette jeune figure aux proportions d’une statuette de cire que j’aurais pĂ©trie, puis Ă©crasĂ©e entre mes mains. Je n’ai pas le droit de dĂ©prĂ©cier le singulier chef-d’Ɠuvre de son dĂ©part ; je dois laisser Ă  cet enfant le mĂ©rite de sa propre mort » p. 189. 113Hors de cet extrĂȘme, tout paraĂźt avoir Ă©tĂ© accessible aux facultĂ©s sympathiques d’Hadrien. Sans doute mĂȘme a-t-il vu parfois la figure opaque d’AntinoĂŒs s’éclairer pour lui grĂące Ă  la communion sensuelle dans laquelle il trouve le plus sĂ»r moyen de connaĂźtre vĂ©ritablement l’autre J’ai rĂȘvĂ© parfois d’élaborer un systĂšme de connaissance humaine basĂ© sur l’érotique, une thĂ©orie du contact, oĂč le mystĂšre et la dignitĂ© d’autrui consisteraient prĂ©cisĂ©ment Ă  offrir au Moi ce point d’appui d’un autre Monde. La voluptĂ© serait dans cette philosophie une forme plus complĂšte, mais aussi plus spĂ©cialisĂ©e, de cette approche de l’Autre, une technique de plus mise au service de la connaissance de ce qui n’est pas nous. Dans les rencontres les moins sensuelles, c’est encore dans le contact que l’émotion s’achĂšve ou prend naissance [...]. Avec la plupart des ĂȘtres, les plus superficiels de ces contacts suffisent Ă  notre envie, ou mĂȘme l’excĂšdent dĂ©jĂ . Qu’ils insistent, se multiplient autour d’une crĂ©ature unique jusqu’à la cerner tout entiĂšre ; que chaque parcelle d’un corps se charge pour nous d’autant de significations bouleversantes que les traits d’un visage ; qu’un seul ĂȘtre, au lieu de nous inspirer tout au plus de l’irritation, ou du plaisir, ou de l’ennui, nous hante comme une musique et nous tourmente comme un problĂšme ; qu’il passe de la pĂ©riphĂ©rie de notre univers Ă  son centre, nous devienne plus indispensable que nous-mĂȘmes, et l’étonnant prodige a lieu, oĂč je vois bien davantage un envahissement de la chair par l’esprit qu’un simple jeu de la chair. p. 22-23 114Sous les espĂšces du prodige et du jeu sĂ©rieux oĂč tout l’ĂȘtre s’engage, c’est bien d’un rituel magique que le narrateur construit ici la thĂ©orie, et il ne diffĂšre somme toute guĂšre des pratiques apotropaĂŻques de la sorciĂšre de Canope. De mĂȘme que le sacrifice d’une crĂ©ature protĂšge son propriĂ©taire selon une logique de contiguĂŻtĂ©, le contact avec un corps permet d’atteindre l’esprit qu’il recĂšle. Une fois de plus, les mĂ©ditations du personnages viennent redoubler les expĂ©riences qui ont prĂ©sidĂ© Ă  sa crĂ©ation, car Marguerite Yourcenar a elle aussi vĂ©cu des rencontres spirituelles suscitĂ©es par un contact physique. L’émotion avec laquelle elle dĂ©crit, dans les Carnets de notes, un profil d’AntinoĂŒs ciselĂ© dans une sardoine laisse deviner les vertus qu’elle accorde Ă  cet objet ; la pierre lui permet de rejoindre, non pas l’éphĂšbe dont elle garde l’image, ni mĂȘme l’artiste qui l’a finement sculptĂ©e, mais l’homme qui l’a tenue entre ses mains Le second de ces chefs-d’Ɠuvre est l’illustre sardoine qui porte le nom de Gemme Marlborough, parce qu’elle appartient Ă  cette collection aujourd’hui dispersĂ©e ; cette belle intaille semblait Ă©garĂ©e ou rentrĂ©e sous terre depuis plus de trente ans. Une vente publique l’a remise en lumiĂšre en janvier 1952 ; le goĂ»t Ă©clairĂ© du grand collectionneur Giorgio Sangiorgi l’a ramenĂ©e Ă  Rome. J’ai dĂ» Ă  la bienveillance de ce dernier de voir et de toucher cette piĂšce unique. [...] De tous les objets encore prĂ©sents aujourd’hui Ă  la surface de la terre, c’est le seul dont on puisse prĂ©sumer avec quelque certitude qu’il a souvent Ă©tĂ© tenu entre les mains d’Hadrien. p. 338 115Le puissant rituel du contact n’est toutefois pas toujours nĂ©cessaire pour qu’opĂšre la magie de la rencontre sympathique. Une alchimie immĂ©diate, au-delĂ  des gestes et des mots, permet ainsi la comprĂ©hension parfaite et rĂ©ciproque d’Hadrien et de Plotine L’intimitĂ© des corps, qui n’exista jamais entre nous, a Ă©tĂ© compensĂ©e par ce contact de deux esprits Ă©troitement mĂȘlĂ©s l’un Ă  l’autre. Notre entente se passa d’aveux, d’explications, ou de rĂ©ticences les faits eux-mĂȘmes suffisaient », se souvient l’empereur p. 96. Aussi le miracle d’une communion poursuivie au-delĂ  de la mort peut-il advenir la mort changeait peu de chose Ă  cette intimitĂ© qui depuis des annĂ©es se passait de prĂ©sence ; l’impĂ©ratrice restait ce qu’elle avait Ă©tĂ© pour moi un esprit, une pensĂ©e Ă  laquelle s’était mariĂ©e la mienne » p. 182. Et l’on se plaĂźt Ă  imaginer que Marguerite Yourcenar, nouvelle Plotine, n’avait pas mĂȘme besoin d’une gemme passĂ©e entre les mains de son personnage pour marier sa pensĂ©e Ă  la sienne. À travers lui, elle accĂšde Ă©galement Ă  la connaissance de chaque ĂȘtre, puisqu’Hadrien affirme y ĂȘtre parvenu par la mĂ©moire des gestes et des sensations auxquels la maladie l’a contraint de renoncer Ainsi, de chaque art pratiquĂ© en son temps, je tire une connaissance qui me dĂ©dommage en partie des plaisirs perdus. J’ai cru, et dans mes bons moments je crois encore, qu’il serait possible de la sorte de partager l’existence de tous, et cette sympathie serait l’une des espĂšces les moins rĂ©vocables de l’immortalitĂ©. p. 15 116 L’une des espĂšces [...] de l’immortalitĂ© », et non la seule, Ă©crit Hadrien. Le livre en est une autre. En immortalisant par l’écriture un ĂȘtre auquel elle donne la conscience d’avoir Ă©tĂ© reliĂ© Ă  tout et tous, Marguerite Yourcenar prolonge la grande chaĂźne des sympathies et offre Ă  ses lecteurs de s’y rattacher. Vecteur d’un autre contact magique, un petit volume de papier imprimĂ©, parce qu’il peut ĂȘtre multipliĂ© presque Ă  l’infini, s’avĂšre un talisman plus puissant encore que l’unique et sublime sardoine oĂč se lit le profil d’un adolescent grec.
Voustrouverez dans cet article, un rĂ©sumĂ© sur la question. Voici ce que je vous conseille. Commencez tout travail spirituel par une relaxation profonde. C’est une Ă©tape trĂšs importante Ă  ne pas nĂ©gliger qui est nĂ©cessaire pour accĂ©der Ă  votre subconscient. Parmi les maniĂšres de se relaxer profondĂ©ment, c’est la respiration profonde. Inspirez profondĂ©ment,
Dans la mythologie Ă©gyptienne, dieu du Ciel, de la LumiĂšre et de la BontĂ©. Horus Ă©tait le fils d’Isis, dĂ©esse de la Nature et d’Osiris, dieu du Monde souterrain. Sommaire PrĂ©sentation Iconographie Un dieu complexe Mythe archaĂŻque Origines de l’État pharaonique Dieu dynastique Horus dans le mythe osirien Horus contre Seth Bibliographie Horus de l’égyptien Hor / Horou est l’une des plus anciennes divinitĂ©s Ă©gyptiennes. Les reprĂ©sentations les plus communes le dĂ©peignent comme un faucon couronnĂ© du pschent ou comme un homme hiĂ©racocĂ©phale. Son nom signifie le Lointain » en rĂ©fĂ©rence au vol majestueux du rapace. Son culte remonte Ă  la prĂ©histoire Ă©gyptienne. La plus ancienne citĂ© Ă  s’ĂȘtre placĂ©e sous son patronage semble ĂȘtre Nekhen, la Ville du Faucon » HiĂ©rakonpolis. DĂšs les origines, Horus se trouve Ă©troitement associĂ© Ă  la monarchie pharaonique en tant que dieu protecteur et dynastique. Les Suivants d’Horus sont ainsi les premiers souverains Ă  s’ĂȘtre placĂ©s sous son obĂ©dience. Aux dĂ©buts de l’époque historique, le faucon sacrĂ© figure sur la palette du roi Narmer et, dĂšs lors, sera constamment associĂ© au pouvoir royal. Dans le mythe le plus archaĂŻque, Horus forme avec Seth un binĂŽme divin caractĂ©risĂ© par la rivalitĂ©, chacun blessant l’autre. De cet affrontement est issu Thot, le dieu lunaire, considĂ©rĂ© comme leur fils commun. Vers la fin de l’Ancien Empire, ce mythe est rĂ©interprĂ©tĂ© par les prĂȘtres d’HĂ©liopolis en intĂ©grant le personnage d’Osiris, l’archĂ©type du pharaon dĂ©funt divinisĂ©. Cette nouvelle thĂ©ologie marque l’apparition du mythe osirien oĂč Horus est prĂ©sentĂ© comme le fils posthume d’Osiris nĂ© des Ɠuvres magiques d’Isis, sa mĂšre. Dans ce cadre, Horus joue un rĂŽle majeur. En tant que fils attentionnĂ©, il combat son oncle Seth, le meurtrier de son pĂšre, le dĂ©fait et le capture. Seth humiliĂ©, Horus est couronnĂ© pharaon d’Égypte et son pĂšre intronisĂ© roi de l’au-delĂ . Cependant, avant de pouvoir combattre vigoureusement son oncle, Horus n’est qu’un ĂȘtre chĂ©tif. En tant que dieu-enfant Harpocrate, Horus est l’archĂ©type du bambin soumis Ă  tous les dangers de la vie. FrĂŽlant la mort Ă  plusieurs reprises, il est aussi l’enfant qui, toujours, surmonte les difficultĂ©s de l’existence. À ce titre, il est un dieu guĂ©risseur et sauveur trĂšs efficace contre les forces hostiles. Outre ses traits dynastiques et royaux, Horus est une divinitĂ© cosmique, un ĂȘtre fabuleux dont les deux yeux sont le Soleil et la Lune. L’Ɠil gauche d’Horus, ou ƒil oudjat, est un puissant symbole associĂ© aux offrandes funĂ©raires, Ă  Thot, Ă  la Lune et Ă  ses phases. Cet Ɠil, blessĂ© par Seth et guĂ©ri par Thot, est l’astre nocturne qui constamment disparaĂźt et rĂ©apparaĂźt dans le ciel. Sans cesse rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e, la lune est l’espoir pour tous les dĂ©funts Ă©gyptiens d’une possible renaissance. Sous ses multiples aspects, Horus est vĂ©nĂ©rĂ© dans toutes les rĂ©gions Ă©gyptiennes. À Edfou, un des plus beaux temples ptolĂ©maĂŻques, le dieu reçoit la visite annuelle de la statue de la dĂ©esse Hathor de DendĂ©rah et forme, avec Harsomtous, une triade divine. À KĂŽm Ombo, Horus l’Ancien est associĂ© Ă  Sobek, le dieu crocodile. Fort de cette renommĂ©e, le culte d’Horus s’est exportĂ© hors d’Égypte, plus particuliĂšrement en Nubie. À partir de la Basse Ă©poque, grĂące aux cultes isiaques, la figure d’Harpocrate s’est largement popularisĂ©e Ă  travers tout le bassin mĂ©diterranĂ©en sous influence hellĂ©nistique puis romaine. PrĂ©sentationDieu faucon Horus est l’une des plus anciennes divinitĂ©s Ă©gyptiennes. Ses origines se perdent dans les brumes de la prĂ©histoire africaine. À l’instar des autres principales dĂ©itĂ©s du panthĂ©on Ă©gyptien, il est prĂ©sent dans l’iconographie dĂšs le quatriĂšme millĂ©naire avant notre Ăšre. La dĂ©nomination contemporaine d’Horus est issue du thĂ©onyme grec áœŻÏÎż Hƍros Ă©laborĂ© au cours du premier millĂ©naire avant notre Ăšre au moment de la rencontre des cultures Ă©gyptienne et grecque. Ce thĂ©onyme est lui-mĂȘme issu de l’égyptien ancien Hor qui Ă©tymologiquement signifie le lointain », le supĂ©rieur ». L’écriture hiĂ©roglyphique ne restituant pas les voyelles, l’exacte prononciation Ă©gyptienne n’est plus connue, probablement Horou ou HĂąrou. Dans la langue proto-Ă©gyptienne, Horus devait dĂ©signer le faucon d’oĂč son idĂ©ogramme. DĂšs la pĂ©riode protodynastique aux alentours de 3300 avant notre Ăšre, le hiĂ©roglyphe du faucon Hor dĂ©signe aussi le souverain, qu’il soit en exercice ou dĂ©funt, et peut mĂȘme Ă©quivaloir au mot netjer, dieu », avec toutefois une connotation de souverainetĂ©. Dans les Textes des pyramides, l’expression Hor em iakhou, Horus dans le rayonnement », dĂ©signe ainsi le roi dĂ©funt, devenu un dieu parmi les dieux Ă  son entrĂ©e dans l’au-delĂ . En Égypte antique, plusieurs espĂšces de faucons ont coexistĂ©. Les reprĂ©sentations de l’oiseau d’Horus Ă©tant le plus souvent trĂšs stylisĂ©es, il est assez difficile de l’identifier formellement Ă  une espĂšce en particulier. Il semble toutefois que l’on puisse y voir une image du faucon pĂšlerin Falco peregrinus. Ce rapace de taille moyenne et au cri perçant est rĂ©putĂ© pour sa rapiditĂ© en piquĂ© lorsque, du haut du ciel, il fond sur ses petites proies terrestres. Ce faucon prĂ©sente aussi la particularitĂ© d’avoir des plumes sombres sous les yeux la moustache » selon les ornithologues qui dessinent une sorte de croissant. Cette marque distinctive n’est pas sans rappeler le graphisme de l’Ɠil oudjat associĂ© Ă  Horus et aux autres dieux HiĂ©racocĂ©phales. Iconographie La divinitĂ© d’Horus se manifeste dans l’iconographie de multiples façons. Dans la plupart des cas, il est reprĂ©sentĂ© comme un faucon, comme un homme Ă  tĂȘte de faucon ou, pour Ă©voquer sa jeunesse, comme un jeune enfant nu et chauve. La forme animale est la plus ancienne. Jusqu’à la fin de la pĂ©riode protodynastique, les animaux, dont le faucon, apparaissent comme Ă©tant bien plus efficaces et bien supĂ©rieurs aux hommes. De ce fait, les puissances divines sont alors exclusivement figurĂ©es sous une forme animale. Le faucon et son majestueux vol planant dans le ciel ont Ă©tĂ© manifestement interprĂ©tĂ©s comme la marque ou le symbole du Soleil, son nom le Lointain » faisant rĂ©fĂ©rence Ă  l’astre diurne. Vers la fin de la Ire dynastie, aux alentours de -2800, en parallĂšle au dĂ©veloppement de la civilisation Ă©gyptienne diffusion de l’agriculture, de l’irrigation et de l’urbanisme, la mentalitĂ© religieuse s’inflĂ©chit et les forces divines commencent Ă  s’humaniser. À cette Ă©poque apparaissent les premiers dieux entiĂšrement anthropomorphes et momiformes Min et Ptah. Concernant Horus, durant les deux premiĂšres dynasties, la forme animale reste la rĂšgle. Les premiĂšres formes composites hommes Ă  tĂȘte animale font leur apparition Ă  la fin de la IIe dynastie et, en l’état des connaissances, la plus ancienne reprĂ©sentation connue d’Horus en homme hiĂ©racocĂ©phale date de la IIIe dynastie. Elle figure sur une stĂšle Ă  prĂ©sent conservĂ©e au MusĂ©e du Louvren oĂč le dieu est montrĂ© en compagnie du roi Houni-Qahedjet.. Parmi les plus cĂ©lĂšbres reprĂ©sentations figure un fragment d’une statue conservĂ©e au MusĂ©e Ă©gyptien du Caire et montrant KhĂ©phren assis sur son trĂŽne IVe dynastie. Le faucon est debout sur le dossier du siĂšge et ses deux ailes ouvertes enveloppent la nuque royale afin de signifier sa protection. Dans le mĂȘme musĂ©e est conservĂ©e la statue en or de l’Horus de Nekhen. Sa datation est discutĂ©e VIe ou XIIe dynastie . Il ne subsiste plus que la tĂȘte du falconidĂ© coiffĂ©e d’une couronne constituĂ©e de deux hautes plumes stylisĂ©es. Ses yeux en pierre d’obsidienne imitent le regard perçant de l’oiseau vivant. Le MusĂ©e du Louvre prĂ©sente Ă  l’entrĂ©e de ses collections Ă©gyptiennes une statue d’Horus d’environ un mĂštre de haut, datĂ©e de la TroisiĂšme PĂ©riode intermĂ©diaire. Le Metropolitan Museum of Art de New York possĂšde quant Ă  lui une statuette oĂč le roi NectanĂ©bo II de la XXXe dynastie, dernier pharaon de l’Égypte indĂ©pendante, est montrĂ© petit et debout entre les pattes d’un majestueux faucon couronnĂ© du pschent. Un dieu complexe Le panthĂ©on Ă©gyptien compte un grand nombre de dieux faucons ; Sokar, Sopdou, Hemen, Houroun, DĂ©doun, Hormerty. Horus et ses multiples formes occupent toutefois la premiĂšre place. Dieu Ă  multiples facettes, les mythes qui le concernent s’enchevĂȘtrent. Il est toutefois possible de distinguer deux aspects principaux une forme juvĂ©nile et une forme adulte. Dans sa pleine puissance guerriĂšre et sa maturitĂ© sexuelle, Horus est Horakhty, le soleil au zĂ©nith. À HĂ©liopolis, en tant que tel, il est vĂ©nĂ©rĂ© concurremment avec RĂȘ. Dans les Textes des pyramides, le pharaon dĂ©funt ressuscite sous cette apparence de faucon solaire. Par un syncrĂ©tisme frĂ©quent dans la religion Ă©gyptienne, Horakhty fusionne avec le dĂ©miurge hĂ©liopolitain, sous la forme de RĂȘ-Horakhty. À Edfou, il est Horbehedety, le soleil ailĂ© des temps primordiaux. À KĂŽm Ombo, il est Horus l’Ancien HaroĂ«ris, un dieu cĂ©leste imaginĂ© comme un immense faucon dont les yeux sont le Soleil et la Lune. Quand ces astres sont absents du ciel, cet Horus est dit aveugle. À Nekhen HiĂ©rakonpolis, la capitale des tout premiers pharaons, ce faucon cĂ©leste est Hor-Nekheny, dont les aspects guerriers et royaux sont trĂšs prononcĂ©s. Le jeune Horus apparaĂźt lui aussi sous de multiples formes. Dans le mythe osirien, Horus est le fils d’Osiris et d’Isis. Osiris, assassinĂ© par son frĂšre Seth, est ramenĂ© Ă  la vie, le temps d’une union charnelle, grĂące aux efforts conjuguĂ©s d’Isis et de Nephtys. C’est de cette union miraculeuse que naĂźt Horus l’Enfant, Harpocrate, aussi dĂ©nommĂ© Harsiesis, Horus fils d’Isis et Hornedjitef Horus qui prend soin de son pĂšre. Sous ce dernier aspect, pour venger la mort de son pĂšre, Horus affronte son oncle Seth. AprĂšs moult pĂ©ripĂ©ties, il gagne le combat et reçoit le trĂŽne d’Égypte en hĂ©ritage. La vaillance et la fidĂ©litĂ© familiale d’Horus font de ce dieu l’archĂ©type du pharaon. Cependant, sa lĂ©gitimitĂ© est sans cesse contestĂ©e par Seth. Lors d’un combat qui l’oppose Ă  son rival, Horus perd son Ɠil gauche, qui est reconstituĂ© par Thot. AppelĂ© Oudjat ou Ɠil d’Horus, cet Ɠil, que les Égyptiens ont portĂ© sur eux sous forme d’amulette, possĂšde des vertus magiques et prophylactiques. Cet Ɠil gauche reconstituĂ© morceau par morceau par Thot reprĂ©sente la lune qui jour aprĂšs jour s’accroĂźt. À l’opposĂ© de Seth, qui reprĂ©sente la violence et le chaos, Horus pour sa part incarne l’ordre et, tout comme pharaon, il est l’un des garants de l’harmonie universelle ; cependant, il ne faut pas rĂ©duire la thĂ©ologie complexe des Égyptiens Ă  une conception manichĂ©enne du Bien et du Mal, car, dans un autre mythe, Seth est l’auxiliaire indispensable de RĂȘ dans son combat nocturne contre le serpent Apophis. Bien et mal sont des aspects complĂ©mentaires de la crĂ©ation, tous deux prĂ©sents en toute divinitĂ©. Mythe archaĂŻque DĂšs les origines de l’État pharaonique, Horus est la divinitĂ© protectrice de la monarchie. Le dieu faucon, plus particuliĂšrement celui adorĂ© Ă  Nekhen, est la puissance Ă  laquelle Pharaon s’identifie en se voyant comme son successeur et son hĂ©ritier. Avant mĂȘme la crĂ©ation du mythe osirien, le combat d’Horus et Seth est Ă  la base de l’idĂ©ologie royale. La rĂ©conciliation des deux divinitĂ©s rivales en la personne du roi en exercice est lourde de signification et transparaĂźt notamment lors des cĂ©rĂ©monies d’investiture. Origines de l’État pharaoniquePouvoir pharaonique Le pouvoir pharaonique apparaĂźt vers 3300 avant notre Ăšre, ce qui fait de l’Égypte antique le premier État connu au monde. Sa durĂ©e couvre plus de trente-cinq siĂšcles et, durant toute cette pĂ©riode, le faucon Horus est le dieu protecteur des pharaons. Depuis l’historien ManĂ©thon, un Égyptien hellĂ©nisĂ© au service de PtolĂ©mĂ©e II, la chronologie des rĂšgnes est dĂ©coupĂ©e en trente dynasties, des origines jusqu’à la conquĂȘte du pays par Alexandre le Grand en -322. Le premier nom de cette liste royale est celui du pharaon MĂ©nĂšs, Celui qui fonde » ou Celui qui Ă©tablit l’État ». L’identitĂ© de ce personnage reste problĂ©matique ; il s’agit soit d’un personnage mythique, soit d’un souverain rĂ©el, Narmer ou Aha selon les propositions communĂ©ment avancĂ©es. L’émergence d’une autoritĂ© unique sur le territoire Ă©gyptien rĂ©sulte de multiples facteurs gĂ©ographie, Ă©conomie, politique, etc.. Les dĂ©tails de ce processus d’unification restent encore nĂ©buleux. Il s’est peut-ĂȘtre d’abord produit une agrĂ©gation des populations dans le sud de la vallĂ©e du Nil, en Haute-Égypte autour de deux ou plusieurs chefs puis d’un seul victoire de la ville de Nekhen sur Noubt. Puis, soumission de la Basse-Égypte par MĂ©nĂšs et ses successeurs. DĂšs les origines, le mythe de la victoire d’Horus le faucon sur Seth, la crĂ©ature du dĂ©sert, sert Ă  symboliser le pouvoir du pharaon. Les actions royales, qu’elles soient guerriĂšres ou pacifiques, s’inscrivent dans des rituels politico-religieux oĂč le roi, considĂ©rĂ© comme le successeur d’Horus, est capable d’influer sur les cycles naturels crue du Nil, courses du soleil et de la lune afin de satisfaire aux besoins matĂ©riels de ses sujets. La Palette de Narmer inaugure une scĂšne rituelle qui perdure jusqu’à la fin de la civilisation Ă©gyptienne le massacre des ennemis, dont la tĂȘte est fracassĂ©e par une massue vigoureusement brandie par Pharaon. Sur la palette, Narmer debout et coiffĂ© de la couronne blanche assomme un ennemi agenouillĂ© qu’il maintient immobile en l’empoignant par les cheveux. Au-dessus de la victime, la prĂ©sence et l’approbation d’Horus se manifestent sous la forme d’un faucon qui maintient enchaĂźnĂ© un fourrĂ© de papyrus muni d’une tĂȘte, symbole probable de la victoire du Sud sur le Nord. Suivants d’Horus D’aprĂšs les fouilles archĂ©ologiques menĂ©es dans la haute vallĂ©e du Nil, il semble qu’aux alentours de -3500, les deux villes dominantes aient Ă©tĂ© Nekhen et Noubt, respectivement patronnĂ©es par Horus et Seth. AprĂšs la victoire de la premiĂšre sur la seconde, les rois de Nekhen ont rĂ©alisĂ© l’unification politique de l’Égypte. Avant le rĂšgne du pharaon Narmer-MĂ©nĂšs vers -3100, le premier reprĂ©sentant de la Ire dynastie, une douzaine de roitelets se sont succĂ©dĂ© Ă  Nekhen dynastie 0. Ces dynastes se sont tous placĂ©s sous la protection du dieu faucon en adoptant un Nom d’Horus » Hor, Ny-Hor, Hat-Hor, Pe-Hor, etc.. À des degrĂ©s divers, tous ont jouĂ© un rĂŽle Ă©minent dans la formation du pays. Dans la pensĂ©e religieuse Ă©gyptienne, le souvenir de ces roitelets a perdurĂ© sous l’expression des Suivants d’Horus ». Dans le Papyrus de Turin, ces Suivants sont magnifiĂ©s et idĂ©alisĂ©s en voyant placĂ©e leur lignĂ©e entre la dynastie de dieux de l’EnnĂ©ade et celles des pharaons humains historiques. Les Textes des pyramides, les plus anciens textes religieux Ă©gyptiens, accordent trĂšs naturellement une place importante au dieu faucon de Nekhen adorĂ© par les Suivants d’Horus. On le trouve dĂ©signĂ© sous diffĂ©rentes expressions Horus de Nekhen », Taureau de Nekhen », Horus du Sud », Horus, seigneur de l’élite », Horus qui rĂ©side dans la Grande Cour », Horus qui est dans la Grande Cour », etc. Nekhen HiĂ©rakonpolis Connue des Grecs sous le toponyme de HiĂ©rakonpolis, la Ville des Faucons », Nekhen est une trĂšs antique citĂ© aujourd’hui identifiĂ©e aux ruines arasĂ©es du KĂŽm el-Ahmar, la Butte Rouge ». FondĂ©e Ă  la PrĂ©histoire, vers la fin du quatriĂšme millĂ©naire, Nekhen est durant la pĂ©riode prĂ©dynastique la capitale de la Haute-Égypte. Par la suite, durant la pĂ©riode pharaonique, Nekhen sur la rive gauche du Nil et Nekheb sur la rive droite forment la capitale du IIIe nome de Haute-Égypte. DĂšs sa fondation, Nekhen dispose d’une forte enceinte en briques crues large de dix mĂštres qui enserre un espace de sept hectares. D’aprĂšs les secteurs fouillĂ©s, la ville s’organise en des rues quasi-rectilignes se coupant Ă  angle droit. Le centre est occupĂ© par un bĂątiment officiel, sans doute un palais rĂ©sidentiel muni de sa propre enceinte afin de l’isoler du reste de la ville. Le temple d’Horus, souvent remaniĂ©, occupait l’angle sud-ouest mais ses vestiges ne se signalent plus que par une butte artificielle vaguement circulaire. En 1897, deux fouilleurs anglais, James Edward Quibell et Frederick William Green, explorent le site du temple de Nekhen et dĂ©couvrent un trĂ©sor » de piĂšces archĂ©ologiques une tĂȘte de faucon d’or, des objets en ivoire, des vases, des palettes, des Ă©tiquettes commĂ©moratives, des statuettes humaines et animales. Ces reliques de la pĂ©riode prĂ©dynastique, conservĂ©es par les premiers pharaons memphites, ont probablement Ă©tĂ© confiĂ©es, pour prĂ©servation, aux prĂȘtres de l’Horus de Nekhen. Il est tentant d’imaginer que ce don pieux soit l’Ɠuvre de PĂ©py Ier VIe dynastie, une statue en cuivre grandeur nature le reprĂ©sentant avec son fils MĂ©renrĂȘ ayant Ă©tĂ© dĂ©couverte prĂšs du dĂ©pĂŽt principal. Dieu dynastiqueLes Deux Combattants Dans la mythologie Ă©gyptienne, Horus est surtout connu pour ĂȘtre le fils d’Osiris et le neveu de Seth ainsi que l’assassin de ce dernier. Si les dĂ©itĂ©s Horus et Seth sont trĂšs anciennement attestĂ©es — dĂšs la pĂ©riode prĂ©dynastique —, la figure d’Osiris est apparue bien plus tardivement, au tournant des IVe et Ve dynasties. L’intĂ©gration d’Osiris, au cours du XXVe siĂšcle, dans le mythe d’Horus et Seth est par consĂ©quent le rĂ©sultat d’une reformulation thĂ©ologique qualifiĂ©e par l’égyptologue français Bernard Mathieu de RĂ©forme osirienne ». Les Textes des pyramides sont les plus anciens Ă©crits religieux disponibles. Ces formules magiques et religieuses apparaissent gravĂ©es sur les murs des chambres funĂ©raires Ă  la fin de l’Ancien Empire. Leur Ă©laboration est cependant bien plus primitive et certaines strates rĂ©dactionnelles semblent remonter Ă  la pĂ©riode thinite Ire et IIe dynasties. LĂ , certains passages mentionnent un conflit entre Horus et Seth sans que n’intervienne la personne d’Osiris. Ces donnĂ©es peuvent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es comme les traces tĂ©nues d’un mythe archaĂŻque prĂ©-osirien. Plusieurs expressions lient Horus et Seth en un binĂŽme en les appelant les Deux Dieux », les Deux Seigneurs », les Deux Hommes », les Deux Rivaux » ou les Deux Combattants ». Leur mythe n’est pas exposĂ© en un rĂ©cit suivi mais seulement Ă©voquĂ©, çà et lĂ , au moyen d’allusions Ă©parses qui mentionnent qu’Horus et Seth se chamaillent et se blessent l’un l’autre ; le premier perdant son Ɠil, le second ses testicules15 Horus est tombĂ© Ă  cause de son Ɠil, Seth a souffert Ă  cause de ses testicules. § 594a » Horus est tombĂ© Ă  cause de son Ɠil, le Taureau a filĂ© Ă  cause de ses testicules. § 418a » pour qu’Horus se purifie de ce que lui a fait son frĂšre Seth, pour que Seth se purifie de ce que lui a fait son frĂšre Horus § *1944d-*1945a » — Textes des pyramides extraits. Traduction de Bernard Mathieu. Horus ou la victoire sur la confusion En son temps, l’égyptologue allemand Kurt Sethe a postulĂ© que le mythe du conflit d’Horus et Seth trouve son Ă©laboration dans la rivalitĂ© entre les deux royaumes primitifs rivaux de la Basse et de la Haute-Égypte. Cette hypothĂšse est maintenant rejetĂ©e et le consensus se porte sur la rivalitĂ© archaĂŻque entre les villes de Nekhen et Noubt. Cette idĂ©e a Ă©tĂ© avancĂ©e en 1960 par John Gwyn Griffiths dans son ouvrage The Conlict of Horus and Seth. DĂšs les plus anciennes attestations Ă©crites, le faucon Horus est liĂ© Ă  la ville de Nekhen HiĂ©rakonpolis et son rival Seth Ă  la ville de Noubt Ombos. À la fin de la pĂ©riode protohistorique, ces deux citĂ©s de Haute-Égypte jouent un rĂŽle politico-Ă©conomique essentiel et des tensions tribales existent alors entre les deux villes concurrentes. La lutte des Deux Combattants » pourrait symboliser les guerres menĂ©es par les fidĂšles d’Horus contre ceux de Seth. Sous le roi Narmer, probablement le lĂ©gendaire MĂ©nĂšs, ce conflit s’est soldĂ© par la victoire de Nekhen. D’autres universitaires comme Henri Frankfort et Adriaan de Buck ont minorĂ© cette thĂ©orie en considĂ©rant que les Égyptiens, Ă  l’instar d’autres peuplades antiques ou primitives, apprĂ©hendent l’univers selon des termes dualistes fondĂ©s sur des paires contraires mais complĂ©mentaires homme / femme ; rouge / blanc ; ciel / terre ; ordre / dĂ©sordre ; Sud / Nord, etc. Dans ce cadre, Horus et Seth sont les parfaits antagonistes. Leur lutte symbolise tous les conflits et toutes les disputes oĂč finalement l’ordre incarnĂ© par Horus doit soumettre le dĂ©sordre personnifiĂ© par Seth. En 1967, Herman te Velde abonde dans ce sens dans Seth, God of Confusion, une monographie consacrĂ©e au turbulent Seth. Il estime que le mythe archaĂŻque de l’affrontement d’Horus et Seth ne peut avoir Ă©tĂ© entiĂšrement inspirĂ© d’évĂ©nements guerriers survenus Ă  l’aube de la civilisation pharaonique. Les origines du mythe se perdent dans les brumes des traditions religieuses de la prĂ©histoire. Les mythes ne sont jamais inventĂ©s de toutes piĂšces mais rĂ©sultent de reformulations successives professĂ©es des croyants inspirĂ©s. Les maigres donnĂ©es archĂ©ologiques qui nous sont parvenues de cette lointaine Ă©poque sont d’interprĂ©tation dĂ©licate et ne peuvent guĂšre aider Ă  reconstituer la genĂšse de ce mythe. Contrairement Ă  Horus qui incarne l’ordre pharaonique, Seth est un dieu sans limites, irrĂ©gulier et confus qui veut avoir des relations tantĂŽt hĂ©tĂ©rosexuelles, tantĂŽt homosexuelles. Les testicules de Seth symbolisent tant les aspects dĂ©chaĂźnĂ©s du cosmos tempĂȘte, bourrasques, tonnerre que ceux de la vie sociale cruautĂ©, colĂšre, crise, violence. D’un point de vue rituel, l’ƒil d’Horus symbolise les offrandes offertes aux dieux et a pour contrepartie les testicules de Seth. Pour que l’harmonie puisse advenir, Horus et Seth doivent ĂȘtre en paix et dĂ©partagĂ©s. Une fois vaincu, Seth forme avec Horus un couple pacifiĂ©, symbole de la bonne marche du monde. Lorsque le pharaon est identifiĂ© Ă  ces deux divinitĂ©s, il les incarne donc comme un couple de contraires en Ă©quilibre. Investiture pharaonique Le couronnement de pharaon est un enchaĂźnement complexe de rituels variĂ©s dont l’ordonnancement exact n’est pas encore bien reconstituĂ©. Le papyrus dramatique du RamessĂ©um, trĂšs fragmentaire, semble ĂȘtre un guide ou un commentaire illustrĂ© du rituel mis en place pour l’avĂšnement de SĂ©sostris Ier XIIe dynastie. L’interprĂ©tation de ce document difficile Ă  comprendre est encore dĂ©battue. Selon l’Allemand Kurt Sethe et le Français Étienne Drioton, l’investiture pharaonique est une sorte de spectacle sacrĂ© avec le nouveau souverain pour principal acteur. L’action est centrĂ©e sur les dieux Osiris et Horus et son dĂ©roulement s’inspire du mythe archaĂŻque de l’affrontement d’Horus et Seth augmentĂ© de l’épisode plus rĂ©cent d’Horus condamnant Seth Ă  porter la momie d’Osiris. L’Égypte antique a fondĂ© sa civilisation sur le concept de la dualitĂ©. Le pays est ainsi perçu comme l’union des Deux Terres ». Principal symbole de la royautĂ©, la couronne Pschent, les Deux Puissances », est la fusion de la couronne rouge de Basse-Égypte avec la couronne blanche de Haute-Égypte. Le pharaon incarne dans sa personne les Deux Combattants », Ă  savoir Horus de Nekhen et Seth de Noubt. Le second est toutefois subordonnĂ© au premier et, dans les textes, la prĂ©sĂ©ance est toujours accordĂ©e Ă  Horus. EmblĂšme de l’unification rituelle du pays, Horus et Seth dĂ©signent l’autoritĂ© monarchique. DĂšs la Ire dynastie, le roi en exercice est un Horus-Seth » comme l’indique une stĂšle datĂ©e du roi Djer oĂč la reine est Celle qui voit Horus, sceptre hĂ©tes d’Horus, celle qui Ă©paule Seth ». Plus tard, sous KhĂ©ops, ce titre est simplifiĂ© et la reine est Celle qui voit Horus-Seth ». Sous la IIe dynastie, le faucon d’Horus et le canidĂ© de Seth surmontent conjointement le Serekh du roi KhĂąsekhemoui. DĂšs l’Ancien Empire, l’iconographie royale montre le binĂŽme Horus et Seth en train de couronner le pharaon ou sous le Moyen Empire en train d’unir le papyrus et le lotus, les plantes hĂ©raldiques des deux royaumes, dans les scĂšnes du Sema-taouy ou rite de la RĂ©union des Deux-Terres ». Horus et la titulature royale La titulature du pharaon avait une grande importance et Ă©tait chargĂ©e d’une puissance magique considĂ©rable. Elle s’enrichit et se dĂ©veloppe Ă  partir de la Ire dynastie et parvient Ă  son aboutissement — cinq noms diffĂ©rents mis ensemble — sous la Ve dynastie. L’assemblage des cinq composantes constitue le ren-maĂą ou nom authentique » par lequel pharaon dĂ©finit sa nature divine. La titulature est Ă©tablie lors du couronnement mais est susceptible d’évoluer au cours du rĂšgne selon les circonstances politiques et les Ă©volutions religieuses du moment. Toute modification signale ainsi des inflexions dans les intentions royales ou des dĂ©sirs divins nouveaux imposĂ©s au souverain. Quels que soient son aspect et son rĂŽle — faucon cĂ©leste, dieu crĂ©ateur ou fils d’Osiris — Horus est le dieu dynastique par excellence. Aussi la premiĂšre composante de la titulature royale est-elle le Nom d’Horus, dĂ©jĂ  portĂ© par les souverains de la Dynastie 0, Ă  savoir les prĂ©dĂ©cesseurs de Narmer, considĂ©rĂ© dans l’historiographie comme le premier des pharaons. DĂšs les origines, le nom d’Horus s’est inscrit dans le Serekh, un rectangle toujours surmontĂ© du faucon sacrĂ©. Le registre infĂ©rieur reprĂ©sente la façade stylisĂ©e du palais royal vue de face tandis que l’espace oĂč est inscrit le nom est le palais vu en plan. La signification du Serekh est Ă©vidente le roi dans son palais est l’Horus terrestre, Ă  la fois l’incarnation du dieu faucon et son successeur lĂ©gitime sur le trĂŽne d’Égypte. Sous la Ire dynastie, se mettent en place le Nom de Nesout-bity, symbole de l’union des Deux-Terres, et le Nom de Nebty patronnĂ© par les dĂ©esses Ouadjet et Nekhbet. Plus tard, sous la IVe dynastie s’ajoute le Hor Noubt ou Nom de l’Horus d’Or », dont l’interprĂ©tation est incertaine ; sous l’Ancien Empire, il semble qu’il ait Ă©tĂ© perçu comme l’union des dieux Horus et Seth rĂ©conciliĂ©s en la personne royale. Finalement, sous le rĂšgne de DjĂ©defrĂȘ apparaĂźt le cinquiĂšme nom, le Nom de Sa-RĂȘ ou Fils de RĂȘ » qui place le pharaon sous la filiation spirituelle de RĂȘ, autre dieu faucon aux aspects cĂ©leste et solaire. Horus dans le mythe osirien En tant que fils d’Osiris, Horus occupe une grande place dans le mythe osirien. Adulte, le dieu faucon est le dĂ©fenseur acharnĂ© des droits rĂ©galiens de son pĂšre dĂ©funt. Encore enfant, ses annĂ©es de jeunesse sont troublĂ©es par de nombreux alĂ©as. Constamment proche de la mort en raison des attaques de scorpions et de serpents, le jeune Horus, toujours sauvĂ© par Isis, est devenu dans la croyance populaire un dieu sauveur et guĂ©risseur. Horus, protecteur d’OsirisHorus, fils d’Osiris Selon l’égyptologue français Bernard Mathieu, l’apparition d’Osiris au tournant des IVe et Ve dynasties est le rĂ©sultat d’une rĂ©forme religieuse de grande ampleur menĂ©e par les thĂ©ologiens d’HĂ©liopolis. Le mythe osirien provient d’un processus de reformulation oĂč le trĂšs archaĂŻque Horus, archĂ©type du dieu-souverain, a d’abord Ă©tĂ© assimilĂ© aux dieux Atoum-RĂȘ et Geb puis s’est vu dotĂ© d’un aspect purement funĂ©raire sous les traits d’Osiris, chef des esprits dĂ©funts. La rĂ©forme conduit Ă  la crĂ©ation d’une lignĂ©e de neuf divinitĂ©s, l’EnnĂ©ade d’HĂ©liopolis composĂ©e d’Atoum, Shou, Tefnout, Geb, Nout, Osiris, Isis, Seth et Nephtys. Dans ce mythe renouvelĂ©, Horus devient le fils du couple Osiris-Isis et le neveu de Seth. Ce dernier tue Osiris qui ressuscite grĂące Ă  l’intervention d’Isis. Les Textes des pyramides attestent des nouveaux liens familiaux attribuĂ©s Ă  Horus. L’expression Hor sa Ousir Horus fils d’Osiris » apparaĂźt dans de nombreux passages. Dans une moindre mesure, on rencontre les appellations Hor renpi Horus le jeune » et Hor khered nechen Horus l’enfant nourrisson », prĂ©figurations du thĂ©onyme tardif de Hor pa khered Horus l’enfant » Harpocrate seulement forgĂ© aprĂšs la fin du Nouvel Empire. L’expression Hor sa Aset Horus fils d’Isis » HorsaĂŻsĂ© n’apparaĂźt qu’au sortir de la PremiĂšre PĂ©riode intermĂ©diaire. Les Textes des pyramides n’ignorent toutefois la filiation par la mĂšre, dont tĂ©moignent les expressions son Horus Ă  elle », son Horus » en parlant d’Isis. Osiris, le dieu assassinĂ© Osiris est le plus cĂ©lĂšbre des dieux funĂ©raires Ă©gyptiens. Avec Isis, son Ă©pouse, sa popularitĂ© ira croissante durant toute l’histoire religieuse Ă©gyptienne. À la Basse Ă©poque puis durant la pĂ©riode grĂ©co-romaine, le dieu bĂ©nĂ©ficie d’une ou plusieurs chapelles dans les principaux temples du pays. LĂ , durant le mois de Khoiak, s’exercent les cĂ©rĂ©moniels des MystĂšres d’Osiris qui sont la rĂ©actualisation du mythe par la grĂące du rite. L’histoire de son assassinat et de son accĂšs Ă  la vie Ă©ternelle a fait sa gloire, chaque individu en Égypte s’identifiant Ă  son sort. Les sources Ă©gyptiennes sont assez elliptiques Ă  propos du meurtre d’Osiris. Les grandes lignes du mythe ont Ă©tĂ© exposĂ©es pour la premiĂšre fois par le Grec Plutarque au IIe siĂšcle. Seth, jaloux de son frĂšre, assassine le roi Osiris en l’enfermant dans un coffre et en jetant celui-ci dans le fleuve. AprĂšs de longues recherches, Isis retrouve la dĂ©pouille Ă  Byblos, la ramĂšne au pays et la cache dans les marais du Delta. Au cours d’une partie de chasse, Seth dĂ©couvre le corps et, fou furieux, dĂ©membre Osiris en quatorze morceaux qu’il jette au loin. AprĂšs une longue quĂȘte, Isis retrouve les membres Ă©pars et reconstitue le corps en le momifiant. TransformĂ© en oiseau-rapace, Isis s’accouple avec son dĂ©funt mari et conçoit Horus, un fils prĂ©maturĂ© et malingre. Devenu adulte, Horus entre en lutte contre Seth. AprĂšs plusieurs combats, Horus dĂ©fait son rival et se fait proclamer roi d’Égypte Sur Isis et Osiris, § 13-19. HarendotĂšs ou la solidaritĂ© familiale Connu en Ă©gyptien comme Hor-nedj-itef Horus le dĂ©fenseur de son pĂšre » ou Horus qui prend soin de son pĂšre », HarendotĂšs est la forme d’Horus sous l’apparence du fils attentionnĂ©. En Égypte antique, l’amour du fils envers le pĂšre est une des plus hautes valeurs morales. Cet amour filial est tout aussi important que l’amour qui doit rĂ©gner au sein du couple homme-femme incarnĂ© par la relation Osiris-Isis. Bien que fils posthume, Horus est le dĂ©fenseur pugnace des droits de son pĂšre usurpĂ©s par Seth. AprĂšs son assassinat, Osiris se trouve retranchĂ© de la communautĂ© des dieux et privĂ© de son statut royal. Devenu adulte, Horus ne poursuit qu’un seul but rĂ©tablir Osiris dans sa dignitĂ© et son honneur de roi. DĂšs les Textes des pyramides, nombre de textes affirment qu’Horus a rendu Ă  son pĂšre ses couronnes et qu’il a fait de lui le roi des dieux et le souverain de l’empire des morts. Le rĂ©tablissement social d’Osiris s’incarne dans deux images constamment rappelĂ©es dans les liturgies funĂ©raires celle du redressement de la momie Osiris ne gĂźt plus, mais est debout et celle de l’humiliation de Seth, l’assassin Ă©tant condamnĂ© par Horus Ă  porter la lourde momie d’Osiris vers son tombeau30 Ô Osiris roi ! Horus t’a mis Ă  la tĂȘte des dieux, il a fait en sorte que tu prennes possession de la couronne blanche, de la dame ou tout ce qui est tien. Horus t’a trouvĂ©, et c’est heureux pour lui. Sors contre ton ennemi ! Tu es plus grand que lui en ton nom de grand sanctuaire ». Horus a fait en sorte de te soulever en ton nom de grand soulĂšvement », il t’a arrachĂ© Ă  ton ennemi, il t’a protĂ©gĂ© en son temps. Geb a vu ta forme et t’a mis sur ton trĂŽne. Horus a Ă©tendu pour toi ton ennemi sous toi, tu es plus ancien que lui. Tu es le pĂšre d’Horus, son gĂ©niteur en ton nom de gĂ©niteur ». Le cƓur d’Horus occupe une place prééminente auprĂšs de toi en ton nom de Khentimenty. » — Textes des pyramides, chap. 371. Traduction de Jan Assmann1. Jugement du mort Bien plus que les Textes des pyramides et les Textes des sarcophages, assez mĂ©connus des contemporains, le Livre des Morts, du fait de ses riches illustrations, bĂ©nĂ©ficie d’une grande notoriĂ©tĂ© auprĂšs du grand public. Parmi les illustrations les plus fameuses figure la scĂšne du jugement de l’ñme chapitres 33B et 125. Le cƓur du mort est posĂ© sur l’un des deux plateaux d’une grande balance Ă  flĂ©au, tandis que la dĂ©esse MaĂąt Harmonie, sur l’autre plateau, sert de poids de rĂ©fĂ©rence. La mise en image de cette pesĂ©e ne remonte pas au-delĂ  du rĂšgne d’Amenhotep II dĂ©but de la XVIIIe dynastie mais sera inlassablement reproduite durant seize siĂšcles jusqu’à la pĂ©riode romaine. Selon les exemplaires du Livre des Morts, Horus sous son aspect d’homme hiĂ©racocĂ©phale est amenĂ© Ă  jouer deux rĂŽles diffĂ©rents. Il peut apparaĂźtre prĂšs de la balance comme le maĂźtre de la pesĂ©e ». Il maintient Ă  l’horizontale le flĂ©au afin que le cƓur et la MaĂąt se trouvent Ă  l’équilibre. Le dĂ©funt est considĂ©rĂ© comme exempt de fautes et se voit proclamĂ© Juste de voix », c’est-Ă -dire admis dans la suite d’Osiris. À la fin de la XVIIIe dynastie ce rĂŽle de contrĂŽleur est le plus souvent confiĂ© Ă  Anubis. Horus apparaĂźt alors dans le rĂŽle d’ accompagnateur du mort ». AprĂšs la pesĂ©e, le mort est conduit devant Osiris assis sur son trĂŽne et accompagnĂ© d’Isis et Nephtys, les deux sƓurs debout derriĂšre lui. Dans quelques exemplaires, le rĂŽle d’accompagnateur est dĂ©volu Ă  Thot mais, le plus souvent, c’est Ă  Horus que revient cette charge. D’une main, Horus salue son pĂšre et de l’autre, il tient la main du dĂ©funt, qui, en signe de respect, s’incline devant le roi de l’au-delĂ . Reçu en audience, le dĂ©funt s’assoit devant Osiris. Le chapitre 173 du Livre des Morts indique les paroles prononcĂ©es lors de cette entrevue. Le dĂ©funt s’approprie l’identitĂ© d’Horus et, dans une longue rĂ©citation, Ă©numĂšre une quarantaine de bonnes actions qu’un fils attentionnĂ© se doit d’effectuer pour son pĂšre dĂ©funt dans le cadre d’un culte funĂ©raire efficace Paroles Ă  dire Je te fais adoration, maĂźtre des dieux, dieu unique qui vit de la vĂ©ritĂ©, de la part de ton fils Horus. Je suis venu Ă  toi pour te saluer ; je t’apporte la vĂ©ritĂ©, lĂ  oĂč est ton ennĂ©ade ; fais que je sois parmi elle, parmi tes suivants, et que je renverse tous tes ennemis ! J’ai perpĂ©tuĂ© tes galettes d’offrande sur terre, Ă©ternellement et Osiris, je suis ton fils Horus. Je suis venu te saluer, mon pĂšre Osiris. Ô Osiris, je suis ton fils Horus. Je suis venu renverser tes ennemis. Ô Osiris, je suis ton fils Horus. Je suis venu chasser tout mal de toi. Ô Osiris, je suis ton fils Horus. Je suis venu abattre ta souffrance. ... Ô Osiris, je suis ton fils Horus. Je suis venu alimenter pour toi tes autels. ... Ô Osiris, je suis ton fils Horus. Je suis venu te consacrer les veaux-qehhout. Ô Osiris, je suis ton fils Horus. Je suis venu Ă©gorger pour toi les oies, les canards. Ô Osiris, je suis ton fils Horus. Je suis venu prendre au lasso pour toi tes ennemis dans leurs liens. ... — Paul Barguet, Livre des Morts, extraits du chap. 173 Horus l’EnfantConception posthume d’Horus D’aprĂšs le mythe osirien rapportĂ© par Plutarque au IIe siĂšcle av. le jeune Horus est le fils posthume d’Osiris, conçu par Isis lors de son union avec la momie de son Ă©poux. Cet enfant serait nĂ© prĂ©maturĂ© et imparfait car faible des membres infĂ©rieurs . Dans la pensĂ©e pharaonique, les annĂ©es bĂ©nĂ©fiques du rĂšgne d’Osiris ne sont qu’une sorte de prĂ©lude destinĂ© Ă  justifier la proclamation d’Horus en tant que juste possesseur du trĂŽne. La transmission de la royautĂ© depuis Osiris le pĂšre assassinĂ©, via Seth le frĂšre usurpateur, vers Horus le fils attentionnĂ©, n’est possible que grĂące Ă  l’action efficace de la rusĂ©e Isis, une magicienne hors norme. AprĂšs l’assassinat et le dĂ©membrement de son Ă©poux, Isis retrouve les membres Ă©pars et reconstitue le corps dĂ©pecĂ© en le momifiant. GrĂące Ă  son pouvoir magique, la dĂ©esse parvient Ă  revivifier la dĂ©pouille du dieu dĂ©funt, juste le temps d’avoir une relation sexuelle avec lui, afin de concevoir Horus. Selon Plutarque, la seule partie du corps d’Osiris qu’Isis ne parvint pas Ă  retrouver est le membre viril car jetĂ© dans le fleuve et dĂ©vorĂ© par les poissons pagres, lĂ©pidotesn et oxyrhynques. Pour le remplacer, elle en fit une imitation . Cette affirmation n’est cependant pas confirmĂ©e par les Ă©crits Ă©gyptiens pour qui le membre fut retrouvĂ© Ă  MendĂšs. L’accouplement mystique d’Osiris et Isis est dĂ©jĂ  connu des Textes des pyramides oĂč il s’intĂšgre dans une dimension astrale. Osiris est identifiĂ© Ă  la constellation Sah Orion, Isis Ă  la constellation Sopedet Grand Chien et Horus Ă  l’étoile Soped Sirius. Dans l’iconographie, le moment de l’accouplement posthume n’apparaĂźt qu’au Nouvel Empire. La scĂšne figure gravĂ©e sur les parois de la chapelle de Sokar dans le [1] en Abydos. Sur l’un des bas-reliefs, Osiris est montrĂ© Ă©veillĂ© et couchĂ© sur un lit funĂ©raire. À l’image d’Atoum lorsqu’il Ă©mergea des eaux primordiales afin de concevoir l’universn 4, Osiris stimule manuellement son pĂ©nis en Ă©rection afin de provoquer une Ă©jaculation. Sur la paroi d’en face, un second bas-relief montre Osiris, en Ă©rection, s’accouplant avec Isis transformĂ©e en oiseau rapace et voletant au-dessus du phallus. La dĂ©esse est figurĂ©e une seconde fois, Ă  la tĂȘte du lit funĂ©raire tandis qu’Horus est lui aussi dĂ©jĂ  prĂ©sent, aux pieds de son pĂšre, sous l’apparence d’un homme hiĂ©racocĂ©phale. Les deux divinitĂ©s Ă©tendent leurs bras au-dessus d’Osiris en guise de protection. Dans ces deux fresques mythologiques qui se dĂ©roulent Ă  l’intĂ©rieur mĂȘme du tombeau d’Osiris, prĂ©sent et futur se confondent en montrant l’accouplement et en anticipant la rĂ©alisation de la future triade divine par la prĂ©sence conjointe d’Osiris, Isis et Horus. Horus contre Seth Deux Ă©pisodes majeurs ponctuent le mythe de la lutte d’Horus et Seth. Le premier est la naissance de Thot, le dieu lunaire, nĂ© de la semence d’Horus et issu du front de Seth. Le second est la perte momentanĂ©e de l’Ɠil gauche d’Horus, endommagĂ© par Seth. Cet Ɠil est le symbole du cycle lunaire et des rituels destinĂ©s Ă  revivifier les dĂ©funts. Aventures d’Horus et SethPapyrus Chester Beatty I Le mythe de l’affrontement d’Horus et Seth est attestĂ© dans les plus anciens Ă©crits Ă©gyptiens que sont les Textes des pyramides. Cet ensemble de formules magiques et d’hymnes religieux se trouve gravĂ© dans les chambres funĂ©raires des derniers pharaons de l’Ancien Empire. Il ne s’agit toutefois lĂ  que d’allusions Ă©parses, ces Ă©crits Ă©tant des liturgies destinĂ©es Ă  la survie post mortem et non pas des rĂ©cits mythologiques. Par la suite, ce conflit est Ă©voquĂ© tout aussi allusivement dans les Textes des sarcophages et le Livre des Morts. Dans l’état actuel des connaissances Ă©gyptologiques, il faut attendre la fin du Nouvel Empire et la PĂ©riode ramesside XIIe siĂšcle pour voir rĂ©digĂ© un vĂ©ritable rĂ©cit suivi des pĂ©ripĂ©ties des deux divinitĂ©s rivalesn 6. Le mythe est consignĂ© sur un papyrus en Ă©criture hiĂ©ratique trouvĂ© Ă  Deir el-MĂ©dineh ThĂšbes dans les restes d’une bibliothĂšque familiale. AprĂšs sa dĂ©couverte, le papyrus intĂšgre la collection de l’industriel millionnaire Alfred Chester Beatty et demeure depuis conservĂ© Ă  la BibliothĂšque Chester Beatty Ă  Dublin. Son premier traducteur est l’égyptologue britannique Alan Henderson Gardiner publiĂ© en 1931 par l’Oxford University Press. Depuis lors ce rĂ©cit est connu sous le titre des Aventures d’Horus et Seth en anglais The Contendings of Horus and Seth. Ce savant a portĂ© un regard assez condescendant sur ce rĂ©cit qu’il jugeait appartenir Ă  la littĂ©rature populaire et ribaude, sa morale puritaine dĂ©sapprouvant certains Ă©pisodes comme les mutilations d’Isis et Horus dĂ©capitation, amputation, Ă©nuclĂ©ation ou les penchants homosexuels de Seth. Depuis cette date, les Aventures ont Ă©tĂ© maintes fois traduites en langue française ; la premiĂšre Ă©tant celle de Gustave Lefebvre en 1949. Dans les travaux Ă©gyptologiques rĂ©cents, on peut se borner Ă  citer la traduction livrĂ©e en 1996 par MichĂšle Broze. Cette analyse poussĂ©e a dĂ©montrĂ© la richesse littĂ©raire et la cohĂ©rence subtile d’une Ɠuvre Ă©laborĂ©e par un scribe Ă©rudit, trĂšs habile dans une narration non dĂ©nuĂ©e d’humour. RĂ©sumĂ© du mythe AprĂšs la disparition d’Osiris, la couronne d’Égypte revient de droit au jeune Horus, son fils et hĂ©ritier. Mais son oncle Seth, le jugeant trop inexpĂ©rimentĂ©, dĂ©sire ardemment se faire proclamer roi par l’assemblĂ©e des dieux. Horus, appuyĂ© de sa mĂšre Isis, fait convoquer le tribunal des dieux Ă  toute fin de rĂ©gler ce contentieux. RĂȘ prĂ©side, tandis que Thot tient le rĂŽle du greffier. Quatre-vingts ans s’écoulent sans que le dĂ©bat progresse. Le tribunal est partagĂ© entre les tenants de la royautĂ© lĂ©gitime revenant Ă  Horus, et RĂȘ qui voit en Seth son perpĂ©tuel dĂ©fenseur contre Apophis le monstrueux serpent des origines. Les dĂ©bats tournent en rond et nĂ©cessitent un avis extĂ©rieur. C’est donc Ă  Neith, dĂ©esse de SaĂŻs, rĂ©putĂ©e pour son infinie sagesse, que Thot adresse une missive. La rĂ©ponse de la dĂ©esse est sans ambiguĂŻtĂ© la couronne doit revenir Ă  Horus. Cependant, pour ne pas pĂ©naliser Seth, Neith propose de lui offrir les dĂ©esses Anat et AstartĂ© comme Ă©pouses. Le tribunal se rĂ©jouit de cette solution, mais RĂȘ, lui, reste sceptique. Horus ne serait-il pas un peu jeune pour assumer la direction du royaume ? AprĂšs quelques heurts entre les deux parties et excĂ©dĂ© par tant de tergiversations, RĂȘ ordonne le dĂ©placement des dĂ©bats vers l’Île-du-Milieu. Furieux contre Isis, Seth demande que les dĂ©bats se poursuivent en son absence. La requĂȘte est acceptĂ©e par RĂȘ qui ordonne Ă  Anti d’en interdire l’accĂšs Ă  toute femme. Mais c’était compter sans la tĂ©nacitĂ© de la dĂ©esse. Elle soudoie Anti et se rĂ©introduit dans l’enceinte du tribunal sous les traits d’une belle jeune femme. Rapidement, elle ne manque pas d’attirer l’attention de Seth. Tous deux finissent par converser et, troublĂ© par tant de beautĂ©, Seth s’égare dans des propos compromettants en reconnaissant sous cape la lĂ©gitimitĂ© filiale d’Horus ! La rusĂ©e Isis se dĂ©voile alors. Le coup de théùtre laisse Seth sans voix. Quant Ă  RĂȘ, il ne peut que juger de l’imprudence de Seth qui s’est confiĂ©, sans prendre garde, Ă  une inconnue. DĂ©pitĂ©, il ordonne le couronnement d’Horus et punit Anti pour s’ĂȘtre laissĂ© corrompre par Isis. Mais le colĂ©rique Seth n’est pas dĂ©cidĂ© Ă  en rester lĂ . Il propose Ă  Horus une Ă©preuve aquatique oĂč les deux dieux se transforment en hippopotames. Celui qui restera le plus longtemps sous l’eau pourra devenir roi. Mais Isis, qui suit de prĂšs les mĂ©saventures de son fils, perturbe la partie. Elle s’attire finalement le mĂ©contentement d’Horus qui fou de rage la dĂ©capite et la transforme en statue de pierre. Mais Thot lui redonne la vie en lui fixant au cou une tĂȘte de vache. AprĂšs son mĂ©fait, Horus, prend la fuite vers le dĂ©sert. Mais, poursuivi par Seth il est rapidement rattrapĂ©. Prestement, Seth jette Horus Ă  terre et lui arrache les deux yeux qu’il enterre. La dĂ©esse Hathor, Ă©mue par le triste sort d’Horus, le guĂ©rit grĂące Ă  un remĂšde de lait d’antilope. Apprenant cette histoire et lassĂ© de ces sempiternelles chamailleries, RĂȘ ordonne la rĂ©conciliation des deux belligĂ©rants autour d’un banquet. Mais une fois encore, Seth dĂ©cide de troubler la situation. Il invite son neveu Ă  passer la soirĂ©e chez lui, ce que ce dernier accepte. La nuit, Seth s’essaye Ă  fĂ©miniser Horus lors d’une relation homosexuelle afin de le rendre indigne du pouvoir royal. Toutefois, Horus parvient Ă  Ă©viter l’assaut et recueille la semence de son oncle entre ses mains. Le jeune dieu accourt vers sa mĂšre. HorrifiĂ©e, elle coupe les mains de son fils et les jette dans le fleuve pour les purifier. Par la suite, elle masturbe son fils, recueille sa semence et la dĂ©pose sur une laitue du jardin de Seth. Insouciant, Seth mange la laitue et se trouve engrossĂ©. Devant tous les dieux, il donne naissance au disque lunaire qui s’élance hors de son front. Seth veut le fracasser Ă  terre mais Thot s’en saisit et se l’approprie. AprĂšs une ultime Ă©preuve aquatique, proposĂ©e par Seth et remportĂ©e par Horus, Osiris, restĂ© jusqu’alors silencieux, intervient depuis l’au-delĂ  et met directement en cause le tribunal qu’il juge trop laxiste. En tant que dieu de la vĂ©gĂ©tation, il menace de couper les vivres Ă  l’Égypte et de dĂ©cimer la population par la maladie. Les dieux, bousculĂ©s par tant d’autoritĂ©, ne tardent pas Ă  rendre un verdict favorable Ă  Horus. Mais Seth n’est pas oubliĂ©. PlacĂ© aux cĂŽtĂ©s de RĂȘ, il devient celui qui hurle dans le ciel », le trĂšs respectĂ© dieu de l’orage. Mythe de l’ƒil d’HorusHorus aveuglĂ© par Seth Dans le papyrus des Aventures d’Horus, Seth pour se dĂ©partager d’Horus propose qu’ils se transforment tous deux en hippopotames et qu’ils plongent en apnĂ©e dans les eaux du fleuve. Celui qui remonte avant trois mois rĂ©volus, ne sera pas couronnĂ©. Les deux rivaux se jettent dans le Nil. Mais Isis, craignant pour la vie de son fils, dĂ©cide d’intervenir. Elle confectionne une lance magique afin de harponner Seth pour l’obliger Ă  Ă©merger hors des eaux. Elle lance son harpon mais celui-ci touche malheureusement Horus. Sans s’interrompre, la dĂ©esse lance une seconde fois son harpon et touche Seth. Ce dernier l’implore piteusement de lui retirer l’arme hors son corps ; ce qu’elle fait. En constatant cette clĂ©mence, Horus se met en colĂšre et dĂ©capite sa mĂšre. AussitĂŽt, Isis se transforme en statue de pierre acĂ©phale RĂȘ-Harakhty poussa un grand cri et dit Ă  l’EnnĂ©ade HĂątons-nous et infligeons-lui un grand chĂątiment ». L’EnnĂ©ade grimpa dans les montagnes pour rechercher Horus, le fils d’Isis. Or, Horus Ă©tait couchĂ© sous un arbre au pays de l’oasis. Seth le dĂ©couvrit et s’empara de lui, le jeta sur le dos sur la montagne, arracha ses deux yeux Oudjat de leur place, les enterra dans la montagne pour qu’ils Ă©clairassent la terre ... Hathor, Dame du sycomore du sud, s’en alla et elle trouva Horus, alors qu’il Ă©tait effondrĂ© en larmes dans le dĂ©sert. Elle s’empara d’une gazelle, lui prit du lait et dit Ă  Horus Ouvre les yeux, que j’y mette du lait ». Il ouvrit les yeux, et elle y mit le lait elle en plaça dans le droit, elle en plaça dans le gauche, et ... elle le trouva rĂ©tabli. » — Aventures d’Horus et Seth extraits. Traduction de MichĂšle Broze Durant la pĂ©riode grĂ©co-romaine, soit plus d’un millĂ©naire aprĂšs la rĂ©daction des Aventures d’Horus et Seth, le Papyrus Jumilhac, une monographie consacrĂ©e aux lĂ©gendes anubiennes de la Cynopolitaine, ne manque pas d’évoquer le mythe de la perte des yeux d’Horus. Seth ayant appris que les yeux Ă©taient enfermĂ©s dans deux lourds coffrets en pierre ordonne Ă  des complices de les voler. Une fois en ses mains, il charge les coffrets sur son dos, les dĂ©pose au sommet d’une montagne et se transforme en gigantesque crocodile pour les surveiller. Mais Anubis transformĂ© en serpent se glisse auprĂšs des coffrets, prend possession des yeux et les dĂ©pose dans deux nouveaux coffrets en papyrus. AprĂšs les avoir enterrĂ©s plus au nord, Anubis s’en retourne auprĂšs de Seth afin de le consumer. À l’endroit oĂč Anubis enterra les yeux Ă©mergea un vignoble sacrĂ© oĂč Isis Ă©tablit une chapelle pour rester au plus prĂšs d’eux. BibliographieArchitecture Nathalie Baum, le Temple d’Edfou À la dĂ©couverte du Grand SiĂšge de RĂȘ-Harakhty, Monaco, le Rocher, coll. Champollion », 2007, 366 p. ISBN 9782268057958 S. AufrĂšre, Golvin, Goyon, L’Égypte restituĂ©e Tome 1, Sites et temples de Haute Égypte, Paris, Errance, 1991, 270 p. ISBN 2-87772-063-2 Daniel SouliĂ©, Villes et citadins au temps des pharaons, Paris, Perrin, 2002, 286 p. ISBN 2702870384GĂ©nĂ©ralitĂ©s Jan Assmann, Mort et au-delĂ  dans l’Égypte ancienne, Monaco, Éditions du Rocher, 2003, 685 p. 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